Certains personnages historiques occupent un tel espace dans l’imaginaire qu’ils ne laissent aucune place à la réincarnation, même par les plus talentueux comédiens.
Louise Michel est de ceux-là.
Comment camper cette femme à l’image si stéréotypée aujourd’hui, dont les intentions, les pensées, les actes ont été si mâchonnés puis régurgités depuis un siècle par des hordes de prétendus historiens ou manipulateurs politiques ? Comment rendre ses certitudes, ses doutes, ses douleurs, sa générosité, son courage ?
Admirable Sylvie Testud !
Comment inviter à comprendre ce qui a poussé cette jeune Michel, fille de la campagne, à marcher vers la ville, cette poétesse ivre des cordialités de Victor Hugo à escalader les barricades, cette disciple inspirée, nourrie des grands textes sacrés à rejeter toute soumission à toutes les églises ? Comment ? En quelques postures de mise en scène, deux ou trois répliques glanées dans les mémoires de la Dame, une floraison d’images dues à l’extraordinaire lumière calédonienne plutôt qu’à des solutions techniques étudiées dans les écoles de cinéma ?
Admirable Sylvie Testud qui, seule, a tout tenté pour y parvenir !
Le sujet était trop grand pour un petit film !
Le drame (oui, il s’agit bien d’un drame !), c’est que la fascinante dimension de la Femme qui pulvérisait tous les cadres de son temps -et du nôtre !- a été, une fois de plus, réduite à une portée de regard de myope !
Car… où est le souffle qui l’a portée, sa vie durant, la foi en l’humanité qui a inspiré tous ses écrits, toutes ses prises de parole, toutes ses décisions d’action ? Où est sa générosité légendaire, sa vision d’une colonisation tellement vantée par les Jules d'une fausse République, son espoir de jours meilleurs pour tous les petits écrasés par les puissants ? Où est l’acharnement de ceux qui prêchaient au Parlement et ailleurs l’aliénation de l’autre « Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit sur les races inférieures » (Jules Ferry, discours du 28 juillet1885 devant la Chambre des députés), qui faisaient fouetter, bastonner quotidiennement, et mourir de faim les vrais républicains déportés au bout du monde ?
Il ne suffit pas de promener une caméra dans la forêt primaire de Nouvelle Calédonie, de filmer une arrivée microscopique de déportés Kabyles, de faire de Rochefort un maladroit pêcheur à la ligne, de montrer plein cadre une petite arrogante, fille du maître français des lieux, pour évoquer l’amplitude de pensée de cette Femme et toute la force de son action !
Problème de moyens… dira-t-on peut-être.
Problème de connaissance trop superficielle du personnage historique dont on a voulu faire une bonne affaire d'audience et commerciale, plutôt qu’un exemple de courage et de conscience citoyenne !
Admirable Sylvie Testud, qui a su être grande comédienne dans un tout petit film !
Mais où est la conscience citoyenne, à l’heure de la suppression de l’histoire des programmes scolaires ?
Une redoutable logique, aujourd’hui, formate en même temps les mécanismes politiques et… la « création » télévisuelle !
Admirable Sylvie Testud !