Les enquêtes sur les usages du net sont fréquentes mais souvent partielles, que ce soit par leurs objets ou leurs échantillons. Elles sont aussi souvent troublées par les a priori d'un imaginaire utopique quand il n'est pas idéologique.
Le monde du marketing se réjouit ainsi bien trop souvent de transformations qui ne sont souvent que des évolutions tenues, d'une révolution qui est à venir, et qu'on repousse de jour en jour, et de la venue d'un paradis sur terre qui ferait que la marque et le consommateur s'embrassent sans conflit, revenant à une sorte de paradis perdu. On en oublie souvent les faits.
Le premier d'entre eux est qu'en une vingtaine d'année, l'équipement des ménages a progressé de manière impressionnante, faisant du mobile et de l'internet une consommation de masse. Recommandons la lecture du rapport du credoc à ce sujet . Les 2/3 des foyers sont connectés au net en 2009 (contre moins de la moitié en 2006), des inégalités d'équipements se réduisent régulièrement, le mobile est omniprésent à plus de 90%, mais l'internet mobile balbutie encore (moins de 10% l'utilisent pour consulter ses mails, et moins de 15% pour surfer sur le web). L'âge est de loin la variable la plus discriminante, une frontière se faisant autour de la cinquantaine. Le revenu compte encore.
Mais l'équipement ne dit pas forcément l'usage, et cet usage peut être extrêmement varié compte-tenu des facultés multifonctionnelles de l'internet qu'il soit fixe, dispersé ou mobile. La base d'enquête du baromètre de l'intrusion nous donne à ce sujet des indications précieuses. Cette enquête qui porte sur une quinzaine de clientèles d'enseignes grand-public rassemble près de 28000 réponses à un questionnaire dont une section porte sur la fréquence d'usage sur le net. Pratiquez vous les activités suivantes, de pas du tout à ocasionnellement, et plus regulièrement chaque mois, chaque semaine ou chaque jour. Une série de 22 activités ordinaires y sont proposées, décrivant un spectre assez large d'activité élémentaire. Il en manque sans doute, mais c'est déjà un échantillon suffisant.
L'échantillon qui est vaste et permet donc des comparaisons précises ne représente pas exactement la totalité de la population, un biais de sélection résulte de ce que les personnes interrogées sont clientes de l'une ou l'autre des enseignes, et que toutes disposent d'une adresse mail par laquelle elles ont été sollicitées. L'échantillon est cependant un bon reflet de la population qui consomme, peu ou prou. Une certaine classe moyenne par l'argent, le statut et l'expérience.
Qu'y apprend-t-on? D'abord que l'usage de l'internet se constitue fondamentale sur le couple du mail et du butinage. Ce sont les seules pratiques communes à tous. Dès lors qu'on s'intéresse à telle ou telle activité, la fréquence de ceux qui en ont un usage au moins hebdomadaire s'effondre en dessous de 20%. Les réseaux sociaux n'échappent pas à cette réalité.
Ensuite que les différences socio-démographiques sont finalement relativement faibles. C'est l'équipement qui fait l'usage, à moins que l'usage ne fasse aussi l'équipement. La variable la plus discriminante reste l'age, encore que les différences majeures ne s'obtiennent que pour quelques activités, notamment l'usage des réseaux sociaux ! La profession fait apparaître des différences signifiantes mais peu discriminantes, comme la taille ou le genre, qui ne fait que rappeler les contraintes de rôle.
Le fait central reste dans une diversité des usages dont les critères habituels socio-démographiques ne rendent pas compte. Ces usages s'organisent en six groupes d'activités principales :
communiquer que ce soit par mail ou par les réseau, de ce point de vue l'internet est le simple substitut des méthodes anciennes.
Acheter et consommer, sans aucun doute l'activité de recherche d'information, de transaction trouve là le moyen de s'exercer de manière beaucoup plus fonctionnel
Se défendre que ce soit contre les virus où les mauvaises promesses. Curieux de voir les anti-virus associé à l'activité consumériste !
Jouer bien sur, les jeux mais aussi les publicités. Le click est un jeu.
Se distraire, ce qui ne se confond pas avec le jouer, il y aura à réfléchir sur cette distinction. Ecouter de la musique, regarder des vidéo, peut être aussi un usage plus mûr des ressources du net.
Participer et produire, mais nous verrons c'est l'activité la plus minoritaire. Le blog n'est pas un activité aussi populaire. Fréquente, et socialement inattendue, elle n'est pas le fait des populations les mieux éduquées. Les cadres blogguent moins que les autres.
Espace de communication au sens le plus strict, espace de consommation fonctionnel, espace de divertissement, l'internet est donc marginalement un espace de production et de création, quoi qu'en pensent les défenseurs de l'utopie web2.0. Moins que des usages nouveaux c'est à un transfert d'usages traditionnels auxquels nous assistons. Les activités les plus ordinaires de la vie quotidienne peu à peu, avec la massification, s'y déplacent. Nous pourrions appeler cela la normalisation de l'internet.
Naturellement ce changement de substrat a dans plus d'un domaine des conséquences cruciales. Le biais d'interrogation nous conduisant dans cette enquête à se focaliser sur les activités de consommation, soulignons à quel point le fait de s'informer sur ce support affecte la quantité et la qualité de l'information dont les consommateurs disposent. Qu'ils le fassent de plus en plus massivement aura des conséquences évidentes. Mais ce ne sont pas celles auxquelles on aurait pu s'attendre. Loin de nous est désormais cette littérature qui voyait le net comme l'espace de nouvelles expériences. Le fonctionnel est de retour.
En s'appuyant sur ces six activités, une analyse typologique est alors conduite (techniquement par une méthode 2-step). Elle fait apparaître des types d'usages très caractérisés. Un gros tiers des consommateurs est confiné à un usage minimal, un autre tiers se partage en deux groupes : ceux qui communiquent (avec leurs proches certainement) et ceux qui achètent et consomment. Les joueurs et les usagers mobiles viennent ensuite pour un peu plus de 10% chacun, les producteurs, nos bloggeurs, ne forment qu'un tout petit 6% de la population. La participation est limitée.
La passivité domine, et quand l'internaute passe à l'action c'est pour accomplir plus efficacement les corvées quotidiennes. Le web social l'est par ses technologies, mais sa pratique est purement fonctionnelle. Pas de communauté sur le net. Il n'y aura donc pas de monde nouveau, juste le même monde que l'on connait depuis l'avènement de la société de la consommation, avec des consommateurs plus solitaires, mieux informés, prêt à se défendre contre les agressions et les intrusions.
Et quitte à décevoir ceux qui rêvent des phalanstères de la consommation, de paradis sur terre, d'un âge post moderne où l'émotion se marie à la communauté, disons que nous assistons aujourd'hui à la même révolution que celle qui a introduit dans les foyers le frigidaire et la machine à laver. Le net améliore la productivité de la consommation. A l'heure de sa massification, c'est un argument pour de faire de la fonctionnalité une priorité.
Dans l'usage ce qui prime est l'utilitaire. Le symbolique appartient au passé des pionniers. L'expérience sera à construire plus tard, même si l'industrie du mot et de l'image s'impatiente d'insuffler de nouvelles émotions. Nous en sommes à l'âge du robot ménager.
l'étude - quelques résultats
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