2010 sera l’année de l’avènement du plus gros réseau d’opticien. En effet, Harmonie Mutuelles, le premier pôle mutualiste français, et Malakoff Méderic, premier groupe paritaire de protection sociale (dont le délégué général n’est autre que le frère de Nicolas Sarkozy) s’allient pour créer Kalivia, dont l’objectif est de devenir un réseau d’opticiens agréés incontournable « qui doit permettre d’offrir aux clients des tarifs avantageux« .
Et oui les amis, c’est pour notre bien….
Le plan est simple : avec 6 millions de clients potentiels (2/3 assurés chez Harmonie, 1/3 chez Malakoff Médéric), Kalivia veut à terme agréer entre 1/4 et 1/3 des 11 500 opticiens de France. Soit un objectif de 3 000 à 3 500 enseignes liés pendant 2 ans et demi. Tout opticien satisfaisant la charte qualité (exigences qualitatives et surtout tarifaires) pourra rejoindre le réseau, s’agissant d’un réseau « ouvert », non limité par un numerus clausus.
Kalivia cherche à avoir une couverture du territoire optimale pour jouer la carte de la proximité: «notre engagement (ou notre intérêt plutot NDLR) est d’avoir un opticien agrée Kalivia dans chaque ville ou chaque campagne dans un rayon de 20 kilomètres », explique aux Echos Guillaume Sarkozy, délégué général de Malakoff Médéric.
Les opticiens membres du réseau Kalivia s’engageront à adhérer à une charte qualité et à proposer des tarifs compétitifs. Les engagements qualité, qui dépasseront les pré-requis élémentaires (garantie casse des verres et de la monture par exemple) permettront d’offrir un service optimal aux assurés tout en « valorisant la profession ». En échange, les opticiens agréés Kalivia bénéficieront du volume d’affaires potentiellement apporté par les 6 millions de personnes couvertes par Malakoff Médéric et Harmonie Mutuelles.
Quel sera le bénéfice pour les patients?
Guillaume Sarkozy déclare qu »ils se verront offrir des avantages conséquents qui visent à réduire leur reste à charge« . Il s’agit de « répondre au besoin d’orientation dans le système de santé et de limiter le reste à charge des 6 millions de personnes protégées par les deux groupes ».
« Nos adhérents attendent qu’on les conseille dans les meilleures conditions possibles de tarifs, mais aussi de qualité », complète François Venturini, directeur général d’Harmonie Mutuelles. Ceux de Malakoff Médéric pourront ainsi bénéficier de 30% de réduction sur les verres et 10% sur les montures. Ceux d’Harmonie Mutuelles, de 25 à 30% de réduction chez les opticiens libéraux, un peu moins pour les opticiens mutualistes qui pratiquent des prix moins élevés.
L’appel d’offres a commencé le 5 mars 2010 auprès de tous les opticiens de France. Il va sans nul doute remporter un franc succès. Quel opticien refuserait en effet de participer à une telle entreprise (et surtout prendrait le risque d’en être exclu…)? On ne leur donne pas le choix, étant donné que peu de français accepteront de payer plus cher leurs lunettes par fidélité pour leur opticien… « Nous ne sommes pas là pour étrangler les opticiens, mais pour chercher le juste prix dans une logique partenariale ». L’idée nous avait effleuré…
Et comme le linge n’est jamais mieux lavé qu’en famille, le réseau s’appuiera sur les outils de tiers payant développés par Viamédis, dont Malakoff Méderic est actionnaire. Kalivia devrait être opérationnel dès les 15 mai pour les clients de Malakoff Méderic, et en janvier 2011 pour ceux d’Harmonie Mutuelles (regroupant Prévadiès, Harmonie Mutualité, Mutuelle Existence et la Mutuelle Nationale Aviation Marine).
« Ce partenariat représente une illustration de la stratégie de notre groupe qui s’est résolument engagé dans la voie de la maîtrise des coûts et des services à valeur ajoutée tels que l’accompagnement et l’orientation dans le système de soins », a souligné Guillaume Sarkozy. «Je suis convaincu que cette démarche, élargie progressivement à d’autres champs que l’optique, nous permettra de faire avancer la question de la qualité et du coût des soins de façon positive et efficace, en partenariat avec les professionnels de santé»
Des altruistes on vous dit
En fait, la naissance de Kalivia s’inscrit dans un mouvement général de plateformes de service se révélant encore assez mal perçues par les professionnels de la santé.
L’Autorité de la concurrence peut toujours estimer que ces plateformes favorisaient la concurrence et les intérêts des patients, les professionnels de santé restent très prudents. Et ils ont raison de l’être. Car c’est une manière pour les mutuelles de fixer le niveau des prix et de qualité des produits qu’elles remboursent aux patients.
Et ce n’est pas fini, Kalivia devrait être étendue au domaine de l’audioprothèse d’ici fin 2010, et au domaine dentaire en 2011 soit les secteurs les plus mals pris en charge par l’Assurance Maladie.
Autant il paraitrait presque logique que l’Assurance Maladie -en si grand déficit- fasse cette démarche. Autant il peut être choquant que les assurances privées -à but lucratif rappelons le- cherche à ainsi maitriser leurs couts afin de dégager encore plus de marge.
Le chiffre d’affaires de Malakoff Mederic s’élèvait à 3,3 milliards d’euros au 31 décembre 2008 (3 milliards d’euros en 2007), en hausse de +10,3%, dans le contexte de la mise en place d’une nouvelle organisation des réseaux commerciaux et de l’harmonisation de l’offre de produits suite à la fusion. Ce qui ne les empêche pas d’augmenter en 2009 (suite à l’annonce de la taxation des mutuelles de santé) de presque 3% le montant de la cotisation annuelle de leurs assurés.
Boycottés par certains ordres ou syndicats de professionnels de santé, décriés par les associations de défense des droits des malades, les réseaux de soins se développement insidueusement. Ainsi en 2009, AXA lançait Itelis, sa plate-forme de services dédiée à la prévention et la gestion de réseaux dentaire, optique et d’audioprothèse. En janvier dernier, Groupama et Pro BTP inauguraient Sévéane, une plate-forme dédiée au pilotage des relations avec les professionnels de santé.
La stratégie est finalement enfantine. On commence par pénétrer les secteurs de santé considérés comme « accessoires » par les patients et les pouvoirs publics. On peut se passer de lunettes et de prothèses dentaires, celà ne menace pas notre santé (quoique…), on dérembourse progressivement sous couvert de maitrise des couts et on reporte la prise en charge sur les assurances privées. Jusqu’à ce que celle ci veuille maintenant maitriser la filière de soin et le type de produits de santé pris en charge.
Parallèlement, les deux groupes réfléchissent - séparément -aux implications potentielles sur leur offre de complémentaire santé. « Cela pourra se traduire par des bonifications pour les adhérents qui acceptent d’aller dans le réseau ». Et des pénalités s’ils refusent?
Historiquement présent en assurances collectives, Malakoff Médéric lancera prochainement une couverture santé individuelle à bas prix, destinée à ceux qui bénéficient de l’aide à la complémentaire santé. « En incluant l’aide de l’Etat, l’offre devrait coûter 9 euros par mois à un jeune de moins de 25 ans, et 25 euros au-delà », précise Guillaume Sarkozy. Elle s’appuiera sur « l’offre malin » (verres + monture à bas prix) dont l’opticien agréé Kalivia devra obligatoirement disposer.
Ben voyons.
« Pour l’Autorité de la concurrence, « le développement des réseaux de professionnels de santé agréés par les organismes complémentaires d’assurance-maladie apparaît comme plutôt proconcurrentiel . Ce que tendrait à confirmer la jurisprudence. »
« J’ai le sentiment que nous sommes à un tournant. » Marianne Binst, la directrice générale de Santéclair, a longtemps eu l’impression de prêcher dans le désert, avec ses analyses de devis et ses réseaux. Faut dire qu’elle a du frapper aux bonnes portes. Quand la patronne de cette entreprise « d’aide au consommateur dans le domaine de la santé » (détenue par Allianz, MMA-MAAF, la Mutuelle Générale de la Police et Ipeca), ne s’attirait pas les foudres de l’Ordre des médecins ou de syndicats de professionnels de santé. Mais, aujourd’hui, les choses sont en train de changer, et même les plus dubitatifs - chez les assureurs comme chez les clients finaux -commencent à accepter l’idée que les plates-formes de service et de gestion du risque apportent quelque chose dans l’univers encore peu lisible de la complémentaire santé.
Les lobbystes ne doivent pas y être complètement étrangers…
De fait, l’environnement juridico-réglementaire est aujourd’hui plus favorable aux réseaux agréés par les organismes complémentaires que par le passé. L’Autorité de la concurrence, saisie par Bercy, a rendu en septembre dernier un avis précisant les conditions dans lesquelles « le développement des réseaux de professions de santé peut être favorable à la concurrence et aux intérêts des patients ». La conclusion est sans appel : « Si le risque d’homogénéisation (voire d’opacité NDLR) des tarifs pratiqués au sein d’un même réseau ne peut être exclu, le développement de réseaux de professionnels de santé agréés par les organismes complémentaires d’assurance-maladie apparaît comme plutôt proconcurrentiel. » Pour Jérôme Da Ros, avocat chez Norton Rose, « un assureur qui fera la promotion d’un réseau ne pourra plus être taxé de pratique anticoncurrentielle. Cela met un point final à toutes les tentatives de certains ordres de voir déclarer ces réseaux illégaux ».
Une seule question : pourquoi la législation régissant le domaine de la santé en France devrait elle se ranger à l’avis de l’Autorité de Concurrence, qui remplit certainement parfaitement son rôle dans le droit commercial mais qui ne devrait pourtant n’avoir aucune autorité en matière d’organisation des soins en France!!
Le libre choix du praticien par le patient est un fondement historique de l’indépendance du praticien et du droit des malades. L’influencer économiquement peut s’apparenter à une tromperie commerciale et nuire aux principes mêmes de la libre concurrence… pourtant si chers à Bruxelles.
Parallèlement, la jurisprudence a évolué. « Nous avons gagné tous nos procès », précise Marianne Binst, actuellement en conflit avec le syndicat des audioprothésistes français. Dans un arrêt du 19 janvier dernier, la cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes et de cinq conseils départementaux à 78.000 euros d’amende pour avoir incité les professionnels, entre 2002 et 2008, au boycott d’un partenariat avec Santéclair.
Il reste que le secteur des réseaux de soins est encore loin de la maturité. « Le modèle économique n’est pas stabilisé », estime Marianne Binst, évoquant les interrogations récurrentes sur l’opportunité de fusionner les métiers de gestion du risque et de tiers payant. Certains prédisent, à terme, une consolidation autour de 3 ou 4 grands réseaux, au motif que la taille critique se situe désormais aux alentours de 10 à 12 millions de personnes protégées.
3 ou 4 grands réseaux? Cela ne vous rappelle rien?
Ce n’est pas un secret. Les organismes de prévoyance sont pour le moment exclus de la possibilité de détenir directement ou indirectement des laboratoires d’analyse médicale. Mais il s’agit d’un point de faiblesse de l’Ordonnance, d’autant que l’Autorité de la Concurrence a rendu un avis défavorable sur ce point.
Prochaine étape très prévisible à horizon 2016 : le déremboursement progressif des analyses médicales, à grand renfort de moulinet de bras et de gros titres dans les journaux.
Et là, ca va être la fiesta !!
- chaque chaine de labo aura sa mutuelle attitrée et agréé (avec un bilan bio annuel offert, rendez vous compte!!)
- dès l’ouverture du capital des laboratoires (verdict de la CJCE en attente), les mutuelles pourront devenir actionnaires de leurs labo
- elles tiendront donc enfin un moyen de gérer le risque assurantiel pour chacun de leur patient; elles auront la possibilité d’ajuster au mieux le montant de la cotisation annuelle à la situation de santé prédictible du patient et ce tout simplement en fonction de ses résultats d’analyses. Ce ne seront enfin plus des « payeurs aveugles « .
De la science fiction pensez vous ? L’avenir nous le dira. La transition se fera tellement progressivement que nous ne nous en rendrons peut etre à peine compte le moment venu, c’est là le génie politique du 21ème siècle.
Les professions libérales de santé sont à un tournant véritablement historique. Celui de s’allier maintenant pour défendre un modèle réellement indépendant et éthique face aux appétits des assureurs privés… dont le métier est d’assurer un risque, pas de verrouiller le système de soin dans leur seul intérêt.