Il y a quelques semaines, lors du repli des marchés suite au discours d’Obama, nous avions évoqué l’hypothèse d’un moyen de pression contre le gouvernement américain de la part des banques d’affaires, opposées aux mesures prises.
S’en est suivi une nouvelle vague de défiance sur les marchés avec l’affaire
de l’endettement de la Grèce, rapidement étendu à ce que l’on a appelé les PIIGS, à savoir le Portugal, l’Irlande, l’Italie, la Grèce et l’Espagne (Spain).
L’endettement des états européens au cœur de
l’actualité
Au delà de la signification pour le moins
douteuse de cette appellation qui est peut être très révélatrice du but recherché (Pigs = Cochons pour ceux qui auraient quelques lacunes en anglais), j’aimerais m’appuyer sur l’article de Gilles
Caye du 11 février dernier, et notamment sur son rappel très important des
principes fondateurs de la zone euro et du pacte de stabilité, à savoir un déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB annuel, et un endettement limité à 60% de ce même
PIB.
Si ces critères ont clairement volé en éclat avec la crise, c’est notamment sur l’endettement record de la Grèce, qui se
monterait actuellement à 125% du PIB pour un déficit budgétaire de l’ordre de 13% du PIB que s’est subitement focalisé le marché ! Des chiffres qui ont conduit certains analystes à annoncer
que la Grèce était au bord de la faillite.
Au delà de chiffres effectivement inquiétants,
et d’une situation qui ne pourra durer éternellement ainsi et nécessitera des mesures draconiennes, on est en droit de se demander pourquoi ces inquiétudes arrivent maintenant sur la table, et
quel peut d’ailleurs bien être leur impact réel à terme sur les marchés financiers.
Et pourquoi un effet sur les marchés
maintenant, alors que l’alerte avait déjà été donnée le 9 décembre dernier, quelques jours seulement après l’épisode Dubaï, avec une dégradation de la note de la
Grèce par l’agence de notation Fitch, suivie quelques jours plus tard par Standard and Poor’s puis Moody’s, ce qui n’avait pas empêché les marchés de terminer l’année en
trombe.
L’endettement exagéré de la Grèce n’est en
effet pas arrivé subitement à de telles proportions. Ainsi, en 2007, il se montait déjà à 97% du PIB, et personne à l’époque ne semblait réellement se soucier d’un tel
niveau.
Mais comme si cela ne suffisait pas, et n’avait
pas suffisamment fait baisser les marchés, voilà que des analystes se sont mis à évoquer le cas des fameux PIIGS, les mauvais élèves de la zone euro. Si l’Irlande et l’Italie sont eux aussi
clairement dans une situation délicate d’un point de vue endettement (mais ce n’est là non plus pas nouveau), le cas de l’Espagne est un peu plus
suspect.
L’endettement de l’Espagne a certes presque
doublé depuis 2007, mais il ne devrait atteindre qu’environ 66% du PIB à la fin de l’année, soit un niveau très inférieur à la moyenne européenne, et très loin du niveau de l’endettement Grec en
2007 par exemple, qui ne semblait gêner personne.
En 2008 d’ailleurs, l’endettement de la France,
jugée par beaucoup comme plus sérieuse et plus sûre que l’Espagne, se montait déjà près de 70% du PIB, et devrait atteindre près de 80% du PIB fin 2009, tandis que celui de l’Allemagne est
légèrement inférieur.
Un simple
prétexte ?
Cette « crise de l’endettement », qui
a fait plonger l’euro et les marchés actions européens, a donc de quoi susciter quelques interrogations.
Ne serait-ce tout simplement pas un os à ronger
qu’ont trouvé les investisseurs pour provoquer une saine pause dans l’évolution des marchés, et permettre au dollar de retrouver quelques couleurs face à l’euro ? Si on peut bien entendu
considérer qu’un trop fort endettement est un problème à terme pour l’économie européenne, avec une pression fiscale supplémentaire sur les particuliers et les entreprises qui finira par peser
sur les bénéfices, justifiant donc un certain repli sur l’euro et les marchés actions, il faut aussi noter que ces replis tombent à point nommé. Il permettent en effet aux marchés action de
souffler après le fort rebond enregistré depuis mars 2009, tandis que l’euro avait bien besoin de retrouver quelques arguments baissiers face au
dollar.
Mais encore une fois, ce problème n’est pas
nouveau pour les professionnels du marché, et si on peut se demander dans quelle mesure il n’est pas déjà au moins en partie intégré par les marchés, l’impact global sur les résultats des
entreprises pourrait ne pas être si important, pour autant que le problème reste relativement circonscrit à quelques pays comme la Grèce. Le risque principal réside bien sûr dans un phénomène de
propagation à l’ensemble des autres pays.
Bref, si l’endettement de bon nombre de pays
européens (mais pas uniquement, loin de là) est un problème que l’on ne peut prendre à la légère et écarter d’un revers de la main, force est de constater qu’il existe dans le timing et la façon
dont les choses ont été présentées des éléments troublants, et qu’il pourrait bien ne s’agir que de prétextes pour provoquer quelques dégagements sur les marchés, ces risques n’étant pas nouveaux
et sans doute globalement déjà intégrés dans les cours.
Et je n’évoquerai volontairement pas l’affaire
Goldman Sachs, soupçonnée d’avoir aider la Grèce à maquiller ses comptes et spéculé ensuite sur sa déconfiture, ce qui fera peut-être l’objet d’un autre
article.
Quant à l’impact sur l’euro, on pourra le
relativiser également en se tournant du côté de l’endettement des Etats-Unis, qui se sont montés bien discrets ces derniers temps. Un endettement qui ne se monte « qu’à » environ 65% du
PIB (pour un déficit public de l’ordre de 11%), soit tout de même un niveau équivalent à celui de l’Espagne, décrié ces derniers temps, et surtout en valeur absolue des montants qui n’ont rien à
voir avec ceux de la Grèce ou de l’Espagne. De quoi tempérer donc le récent repli de l’euro.
Mais au fait, pourquoi se focaliser sur
l’endettement des états par rapport au PIB ? Est-ce réellement judicieux et cela n’est-il pas un peu réducteur ?
Quel importance accorder au ratio dette /
PIB ?
Loin de moi l’idée de vouloir minimiser ce
ratio, retenu par le pacte de stabilité européen comme un des critères principaux de « convergence » entre les états.
Mais que signifie comparer l’endettement d’un
état par rapport au PIB annuel ? La dette d’Etat représente ce que doit l’état. Quant au PIB, il correspond au revenu généré par le pays.
On pourrait faire un peu la comparaison avec
votre emprunt immobilier, que vous devez rembourser à votre banquier, et vos revenus annuels.
Même si cette comparaison a ses limites,
sachant que le PIB ne correspond pas aux revenus de l’Etat, mais bien aux revenus du pays, on relèvera que ce n’est pas parce que vos revenus annuels sont inférieurs au montant de votre
endettement que vous devez être déclarés en faillite.
Le plus important reste le coût de votre
endettement, qui pourra alors être mis en rapport avec vos revenus.
Il en est de même avec la dette des Etats, pour
lesquels il me semble bien plus intéressant de se focaliser sur le poids de cette dette par rapport aux recettes.
C’est ce que propose le tableau ci-dessous :
Si on note que la Grèce est particulièrement mal placée (et justifie sans doute que l’on se soit focalisé dessus), on notera que l’Inde ou le Brésil ne sont pas mieux placés, même si leur croissance n’est bien évidemment pas la même que celle de la Grèce, et permet donc de tempérer le poids de leurs dettes respectives.
Quant au coût pour la France, il faut aller bien plus bas dans le tableau, autour des 6%, tandis que pour l’Espagne, on n’est à peine à plus de 3%…
Pourquoi l’avoir intégrée dans les fameux
PIIGS alors, si ce n’est pour essayer d’apporter un peu plus de poids à dossier qui n’avait peut-être pas fait plonger les marchés assez loin ? On notera en tout cas que le paroxysme de
la récente baisse des marchés action européens est intervenu au moment du plongeon du marché espagnol, les 4 et 5 février...
Je terminerai enfin par une dernière
considération, à savoir qui est le détenteur de la dette de ces fameux états en difficultés. C’est un paramètre qui est sûrement bien plus délicat que les autres à
obtenir.
Mais je ne pense pas qu’on puisse comparer un
pays dont la dette est détenue essentiellement par ses concitoyens ou pays alliés, et un pays dont la dette est détenue majoritairement par des acteurs
étrangers.
En effet, dans le second cas, les risques de cession des titres de dette, et de la monnaie associée sont bien plus importants en cas de défiance envers les capacités de l’Etat à faire face à son endettement.