"Yuppisierung" est un drôle de mot anglo-allemand mais qui a le mérite de sa clarté. En français cela donnerait la "yuppysation", ce que l'anglais nomme lui la "gentrification", mot que j'ai déjà entendu ici à Berlin. Il s'agit en bon vieux français d'embourgeoisement et dans une langue plus contemporaine de "boboïsation".
La ville gronde mais le processus est bien là, à moins que la crise actuelle…
Le slogan est clair et radical…
Berlin, ville pauvre, capitale renflouée depuis 20 ans, rénovée, dont les milliers de kilomètres carrés que le mur avait préservé de la construction immobilière, se couvrent peu à peu d'immeubles, (bouchant ici et là des terrains vagues), attire investisseurs, habitants d'anciennes villes de l'est, (villes que les urbanistes nomment "rétrécissantes"), et jeunes artistes croyant à la gloire berlinoise… Berlin, ville renflouée pour certains, flouée pour les autres : pour les artistes qui occupent le Tacheles depuis 20 et au bord de l'expulsion par exemple, pour les habitants de squatts, pour les locataires d'immeubles dont la rénovation prévue et aux loyers "insolemment" trop bas pour les promoteurs sont poussés vers la sortie ou mis carrément à la porte… Des rues résistent encore, combien de temps ?
Dans le quartier de Friedrichshain, derrière l'immense Frankfurter Allee, la Rigaer Strasse montre sur ses façades que ses habitants ne comptent pas se laisser expulser sans protester. La bataille se joue aussi sur le net : Le blog du squatt du n° 94 et un autre proclamant haut et fort que la rue ne capitulera pas.
Au coin de la Rigaer et de la Liebigstrasse
L'autre coin de ces deux rues
"Keine Raümung" signifie "pas d'expulsion". La détermination est là mais le pouvoir de l'argent est grand. Qui des promoteurs ou des locataires gagnera ? Un indice : Lorsque l'on se promène dans Berlin, même un peu loin de Mitte ou des quartiers périphériques, un immeuble pas encore rénové se remarque de suite car ils sont devenus rares. Et la plupart de ceux dont les façades sont toujours rongées par le temps ont déjà une pancarte indiquant un chantier à venir, ou en cours ou des panneaux présentant de futurs appartements à vendre "refaits à neuf"…Hier, en poussant au hasard un porche, j'ai découvert un immense chantier à peine commencé. Mais pour attirer l'acheteur bobo, on lui a déjà déroulé le tapis rouge dans la cour.
En route vers le bonheur du "propriétaire"
Je me suis un peu baladée dans les étages du premier immeuble de briques jaunes. La porte d'un appartement abandonné était ouverte, et sur les murs, s'étalaient des restes de rêves de tranquillité, de nature sauvage et douce à la fois, tandis que les fausses briques révélaient leur subterfuge. Etait-ce pour encadrer une cheminée en trompe-l'oeil ? Dessous, sous les carreaux de crépis, le vrai mur, d'époque…
La cascade, les briques et la fissure…
Sous le porche, en quittant ce lieu, j'ai remarqué de petits autocollants et de minuscules vignettes avec des numéros. J'ai compris que des architectes-archéologues avaient analysé les différentes surfaces, peintures et enduits des murs et que les dernières traces d'un temps bel et bien passé allaient bientôt définitivement disparaître. J'ai photographié quelques avis adressés aux habitants de l'immeuble du temps de La RDA… Avis pour jeter ses encombrants ou avis signalant les jours de rendez-vous de commissions. J'aurais aimé pouvoir délicatement les décoller, au nom de l'Histoire, au nom d'une mémoire qui s'efface sous les coups de pinceaux et sous l'idéologie dominante : La RDA n'a jamais existé.
Les jours de rendez-vous de différentes commissions, Volkspolizei comprise