Jackie O’Motherfucker et Jeremy Jay, Route du Rock Session, 22 février 2010, Café de la Danse
Ce lundi soir crachotant, pas vraiment remis d’un week-end à cent à l’heure, entre déluge électrique (Chokebore) et orgasmie dancefloor (Desire, Glass Candy), je me prends à compter mes heures de sommeil sur les doigts d’une main quand Jeremy Jay nous rejoint. A l’occasion d’une session organisée par la Route du Rock, qui étrennait sa cinquième collection hivernale du 19 au 21 février, le dandy à la mine blafarde partage l’affiche avec les américains de Jackie O’Motherfucker. Une drôle d’affiche, car mis à part leur stakhanovisme discographique respectif, peu de choses réunissent les deux formations. Jeremy Jay n’était d’ailleurs pas de la programmation festivalière. Dans l’immédiat, on s’en grille une avant de prendre la direction du Trucmush, un troquet sympa non loin du Café de la Danse. Bien aidé par Fab et Nadia - pour le coup, je n’ai eu qu’à siffler l’happy hour - Jeremy répond à nos questions avec une certaine bonhomie. Sirotant son Perrier menthe, il veut nous parler de Splash, son futur disque, qu’il annonce sous des hospices plus lo-fi que les deux précédents A place where we could go (2008) et Slow Dance (2009). Délaissant les années quatre-vingt et une cold-wave dont il extirpait avec nonchalance un groove suranné mais diablement efficace, le trentenaire au visage de jouvenceau s’attaque désormais aux nineties de Pavement et Sonic Youth. Au dépouillement d’une guitare sèche matinée de claviers succède l’abondance sur disque et sur scène de deux guitares électriques. Cause, conséquence, il n’a pas de guitare adéquate pour satisfaire notre invitation à s’exécuter en acoustique pour nous, rien que pour nous… et notre rédac chef (qui télécommande cette entrevue de son Doubs d’élection). Notre caméra a d’ores et déjà repris rendez-vous avec le jeune homme : cette Hardy session doit se faire.
La nuit s’immisce paresseusement dans l’étroit passage Thière provoquant une molle stupeur de cadran : les horaires du Café de la Danse ne sont pas ceux de ma pendule interne déglinguée. Sans révolte, je prends mes clics et mes claques et je me traîne sous une pluie fine et revigorante. 19h30, je me retrouve seul, le cul vissé sur l’un des fauteuils que compte ledit Café. Les Jackie O’Motherfucker sont déjà en piste. J’ai loupé deux morceaux, à savoir : la moitié du set…
Je ne vais pas vous la faire : je connais autant Jackie O’Motherfucker que je suis resté sobre ce foutu week-end… et ce malgré leurs seize années d’existence pour à peu près autant d’albums pondus. Avec un nom pareil, on peut s’attendre à tout. Le groupe d’abord : fondé autour du multi-instrumentiste Tom Greenwood et du saxophoniste Nester Bucket, JOMF a mué sous la forme d’un collectif à géométrie variable en fonction de divers projets discographiques. Musicalement, si l’on fleurte avec les paysages sonores des canadiens de Godspeed You! Black Emperor, les JOMF contractent un refus quasi systématique d’emballer leurs divagations psychés sur une rythmique échevelée. La science improvisée de la retenue, de la frustration sinusoïdale, voilà ce que nous offrent les membres présents de JOMF. Ces-derniers cultivent un style très olympique d’hiver. Les quatre trappeurs arborent presque tous d’inquiétantes chemises à carreaux, le visage serti d’imposantes binocles que l’on jure incassables. Le temps de me demander quelle distance sépare l’Orégon de Vancouver - sans doute une blinde - que la batterie, discrète, tout en cymbales, effeuille progressivement l’appréhension d’un public venu s’enquérir en masse du grand blond. Fatigue aidant ou pas, je m’accommode sans effort d’une virée cosmique de bon aloi, fermant les yeux tout en laissant mes sens s’éprendre de cette vaporeuse déferlante de guitares atmosphériques triturées de pédales d’effets. Insaisissable dans sa forme, la musique des Jackie O’Motherfucker fait étale, même pour le novice que je suis, d’une formule addictive de bonne facture. Une étreinte versatile et fuyante telle une caresse rêvée. Un peu plus et je m’endors sur les genoux de mon voisin… Et pas de rappel. Logique : ce serait repartir pour vingt minutes. Le public n’est pas prêt à ça. Avec regret je vois une jeune fille s’assoir à ma droite : ses genoux ont l’air très confortables. Je me console encore aujourd’hui avec la captation live de Saint-Malo qu’Arte.tv propose sur son site :
Jeremy Jay pointe le bout de sa mèche bien coiffée. Son groupe est composé quasiment des mêmes musiciens qu’au dernier concert de l’échalas quatre mois plus tôt à la Maroquinerie. Ce qui est de mauvais augure tant celui-ci avait été aussi éprouvant pour les oreilles que pour les guiboles. Au moins là, on est assis. JJ trône au centre de la scène, entouré à sa gauche par un second guitariste aux cheveux rabattus sur le visage et à sa droite par un bassiste dodelinant expressivement de la touffe. Seul le batteur est nouveau : on s’excusera donc pour lui de ses approximations. Ses musiciens, rencontrés ici et là, sont payés à la date : leur je-m’en-foutisme et leur turn-over n’a donc rien de très étonnant, les cachets n’étant pas mirobolants ma petite dame… JJ entame pied au plancher un set mariant classiques de son répertoire et morceaux de Splash à paraître le 25 mai (K Records / Differ-ant). Malgré une voix réverbérée retrouvée, n’ayant pas à ferrailler avec des saturations crasses malvenues, un malaise subsiste : ses antiennes d’alors perdent de leur spontanéité à deux guitares quand les nouveaux morceaux sont par définition méconnus d’un public légèrement amorphe (encore un coup de Jackie ça…). JJ enchaîne plus vite que la musique, essayant, en vain et malgré sa timidité apparente, de briser la glace (Breakin the Ice est joliment exécuté). Le faux dadet sautille, mais on sent qu’il n’y est pas. C’est donc dans son répertoire pêchu qu’il excelle tant bien que mal, envoyant valdinguer un Gallop de haute volée. Preuve en est que le garçon a du talent, mais que celui-ci est décalqué sur scène telle une ébauche floutée de ses compositions. Car, merde, j’ai pourtant écouté Spalsh… et je ne reconnais là, de façon évidente, que deux ou trois morceaux dont As You Look Over The City et Whispers Of The Heart. Pas les plus dégueulasses d’ailleurs.
En le contemplant finir sont set comme ses morceaux, en les bâclant sur les entournures, je me demande si après Slow Dance, Jeremy n’aurait pas eu besoin d’un peu de “vacances créatives”. Une interdiction de composer ou de toucher une gratte pendant six mois ou quelque chose comme ça. Une façon de se retrouver et de rassembler ses bonnes idées. Mais bon, il faut bouffer et séparer le grain de l’ivraie ne semble pas être sa priorité. Dommage, car à trop vouloir en faire on tue le savoir-faire. Le sien, auparavant cristallin, joue dangereusement avec le sens commun et risque à un moment ou un autre de faire un beau Splash. C’est facile je sais, mais comme à la Maroquinerie, après une heure de concert, la salle se vide avant même le rappel. Comme on dit : qui aime bien châtie bien. Et souhaiter du repos à quelqu’un ce n’est pas la mort.