Le bilan est tragiquement lourd. Plus de 50 morts. Noyés. Piégés par les flots en furie. Je m’étais endormie samedi dernier après avoir pris les dernières nouvelles sur France-Info. J’avais entendu Béatrice Lagarde, sous-préfet des Sables-d’Olonne, répéter les consignes de bon sens qu’elle avait formulées dans des communiqués. L’alerte rouge avait été lancée mais c’était la violence du vent de tempête qui était redoutée. Dans la nuit sur le littoral et qui nous atteindrait au petit matin. Comme au lendemain de Noël 1999. Je n’en menais pas trop large en pensant à la fenêtre de la cuisine qui donne à l’Ouest. Tout déglingue.
Mais quand bien même n’aurait-elle pas résisté – je serais vraiment dans la merde ! - que serait-ce comparé au drame vécu par les habitants de la côte Atlantique, de la Vendée à La Rochelle, sans oublier l’Ile de Ré et Noirmoutier ? Certains ont tout perdu en quelques minutes mais les dégâts matériels si importants et désolants soient-ils se réparent toujours plus ou moins. Mais aucune indemnisation ne ramènera jamais à la vie.
Je ne saurais dire à quel moment de la journée de dimanche j’ai entendu sur France-Info parler du grand nombre de personnes noyées dans leur maison ou ailleurs. J’eus le cœur serré et les larmes aux yeux. Depuis lundi nombreux sont les commentateurs qui font le parallèle avec l’ouragan Katrina qui dévasta New Orleans le 29 août 2005.
De même, tous redoutaient la force du vent d’un cyclone classé 4 mais personne n’avait pensé au raz-de-marée concomitant ni à la rupture des digues sous la force conjugée du vent et des flots déchaînés. Alors qu’un tel accident était hautement prévisible. J’avais sué sang et eau à traduire un article du New York Times donné en supplément du Monde quelque temps auparavant, avec cartes, schémas, etc. Certains quartiers de la Nouvelle-Orléans sont à 6 mètres en dessous du niveau de la mer.
Les risques d’inondation aussi dévastatrice sont le lot commun des terres d’alluvions gagnées sur la mer. Il suffit de penser à la dernière crue qui a ravagé la Camargue (là aussi les digues, mal entretenues, ont cédé) et aux terribles inondations dévastant la Hollande en 1953 (?) qui avaient fait l’objet d’un “Théma” sur Arte il y a déjà pas mal d’années. L’incurie des pouvoirs publics avait été gravement mise en cause. Tant en ce qui concerne l’entretien des digues entourant les polders que pour l’organisation des secours, totalement inefficaces sinon pires que le mal.
En France, nous avons une longue tradition de secours d’urgence avec des équipes de pompiers et de la Sécurité civile formées et compétentes. Mais comment n’auraient-elles pas été dépassées devant l’ampleur du phénomène, les appels au secours arrivant de partout à la fois ? Comme d’habitude, elles ont fait le maximum, je pense que tout le monde leur saura gré de cela. J’entendais lundi sur France Info un pompier représentant syndical dire que par chance cela s’était produit un dimanche et qu’ils avaient donc bénéficié du renfort de tous les pompiers volontaires. Et se plaindre que là aussi les pouvoirs publics rognaient toujours davantage sur les effectifs de pompiers professionnels : trop chers ! On ne remerciera jamais assez les Sarko et autres UM/Posteurs qui n’ont qu’une idée en tête : toujours moins de fonctionnaires. Ces inutiles ?
Fallait-il faire évacuer préventivement les populations concernées ? Encore eût-il fallu prévoir la conjonction d’une violente tempête avec des vents d’au moins 130 km/h et des rafales à 160 km /k en certains lieux, d’une forte marée se transformant en quasi raz-de-marée et plus encore la rupture des digues qui ont cédé comme des fétus de paille. Ensuite, il n’est pas certain que la population l’eût accepté. Crainte des pillards et attachement à la propriété. Des campeurs (sous toile de tente) refusaient même de partir samedi, ais-je entendu.
Le manque d’entretien des digues semble une des causes. Toujours des questions de gros sous : faut pas que ça coûte ! Mais prévenir revient toujours moins cher que guérir. Les assurances vont sans doute payer mais se rattraperont sur les tarifs l’an prochain. Comme d’hab. Et quid des personnes qui n’ont pas les moyens d’être assurées ? Le problème se pose à chaque fois.
Le vrai problème réside essentiellement dans les permis de construire accordés – par les maires sous contrôle des préfets – en totale contradiction avec les dispositions de la “Loi littoral” du 3 janvier 1986 et dont Cécile Duflot rappelle opportunément qu’en 2007 lors de la campagne présidentielle Nicolas Sarkozy n’avait pas craint de déclarer qu’il fallait l’assouplir… “pour que les communes puissent se développer normalement”… Ben voyons ! Il portait certainement une revendication de ses amis promoteurs…
Aujourd’hui, avec sa tranquille assurance de menteur chronique, il soutient le contraire : “On ne peut pas transiger avec la sécurité” ! lis-je sur le blog de Jean-Marcel Bouguereau dans le Nouvel Observateur qui s’interroge à fort juste titre Mais pourquoi Xynthia a-t-elle fait beaucoup moins de morts au Portugal et en Espagne ?
Le problème du respect des dispositions de la Loi littoral ne date ni de 2007 ni même de 1999 comme le dit Cécile Duflot “On a laissé construire dans ces zones: il y a eu 100.000 logements construits en zone inondable entre 1999 et 2006, donc très récemment”. En 1995, lorsque j’étudiais les arrêts du Conseil d’Etat pour le TD de droit de l’environnement en maîtrise, aussi bien en ce qui concerne la Loi Littoral que la Loi Montagne du 9 janvier 1985, il était évident que leurs dispositions étaient constamment détournées pour des opérations de promotion immobilière – ZAC, Zone d’aménagement concertée - de très grande envergure, alors qu’au surplus une loi limitant les possibilités de recours contre les permis de construire venait d’entrer en vigueur ! Il me semble que depuis, les droits de recours ont encore été limités. Cherchez l’erreur. Je ne vois pas où Nicolas Sarkozy trouverait matière à se plaindre du carcan de la loi littoral !
Le pire en l’espèce étant qu’à l’époque des arrêts du Conseil d’Etat que nous étudiions, le référé administratif n’existait pas ce qui faisait que les promoteurs passaient outre le recours – qui n’était pas suspensif – et qu’en conséquence la décision du Conseil d’Etat intervenait alors que les immeubles ou les maisons étaient déjà achevés, vendus et occupés… Qui aurait pris la décision de faire partir plusieurs centaines d’occupants ?
De surcroît, les règles d’urbanisme sont également régies par les Plans de prévention des risques – documents d’urbanisme en principe obligatoires ! – qui classent les territoires communaux en 3 zones : la “zone blanche” qui est constructible, la “zone bleue” constructible selon certaines conditions et la “zone rouge” totalement inconstructible.
Or, selon ce que je lis sur le Nouvel Observateur Tempête Xynthia: la polémique enfle autour des constructions sur le littoral, Chantal Jouanno déplorerait qu’en dépit de la loi de 1995 instaurant les PPR, complétée par la loi du 30 juillet 2003 (dite Loi Bachelot) pour les risques technologiques (après le drame d’AZF à Toulouse en septembre 2001) et la prévention des risques naturels prévisibles (après plusieurs inondations graves dont Vaison-la-Romaine en 1992) il n’y ait jusqu’à présent que “46 (plans) adoptés” et “c’est très insuffisant”, car “il y a 643 communes qui sont concernées”… Chiffre qui me semble d’ailleurs bien inférieur à la réalité des risques d’inondations encourus par nombre de communes françaises.
En France, nous avons indéniablement le chic pour pondre des réglementations très efficaces… sur le papier ! Mais dont tout le monde essaie de s’abstraire pour un tas de raisons, et en tout premier lieu ceux qui sont chargé de les faire appliquer. Sans doute certains voudraient-ils que l’émotion empêchât de polémiquer. Mais c’est au contraire à la mesure de l’émotion que la polémique fait rage. Tout le monde, maires, conseillers généraux, préfets, Etat, se renvoyant allègrement la balle sur le mode : «ce n’est pas moi, c’est l’autre».
Nicolas Sarkozy cherche des coupables. Une vraie manie chez lui ! Le Monde du 3 mars 2010 titre Sarkozy : il faut faire la lumière sur ce “drame inacceptable”. Il demande à une mission de d’inspection de l’intérieur de lui remettre sous dix jours - encore sa manie des dates butoir ! - un rapport… encore une manie ! “pour comprendre ce qui s’est passé”…
Il nous prend pour de vrais guiches ! Discours à l’usage des gogos qui ont vendu leur temps de cerveau disponible à Sarko-cola via TF1 : il eût mieux fait de s’intéresser en son temps au rapport de Pascal Raison, de la direction départementale de l’équipement de Vendée qui date de… 2007 ! et avait fait à l’époque l’objet d’une communication à l’occasion des Journées nationales génie côtier-génie civil à Sophia-Antipolis (Alpes-Maritimes) où il expliquait que “La vulnérabilité du littoral vendéen aux submersions marines ne fait aucun doute”.
Prémonitoire rapport… Chronique d’une catastrophe annoncée : «L’expert jugeait nécessaire la mise en place d’un plan de prévention des risques de submersion “dans l’estuaire du Lay sur les communes de La Faute-sur-Mer et de L’Aiguillon-sur-Mer, où la conjonction de deux phénomènes – la crue du Lay et la submersion marine –, pourrait avoir un impact très important sur les zones densifiées à l’arrière d’un réseau de digues vieillissant.” “La rupture des digues engendrerait des dégâts majeurs aux biens et aux personnes”, insistait-il. C’est exactement ce qui est arrivé dans la nuit de samedi à dimanche».
Hélas ! Mais vous pensez bien que Sarko s’en fichait comme de sa première chemise. Rien à secouer jusqu’à la catastrophe. Là, il s’agite comme un beau diable. Les drames, il aime ça, s’en repaît. L’occasion d’afficher sa compassion de pacotille. Argument électoral comme un autre. Du vrai nanan alors même que les sondages donnent l’UMP perdante aux régionales. Espoir de voir remonter sa cote de popularité. La seule chose, avec le flouze, qui l’intéresse véritablement.
Les maires de ces deux communes plaident non coupables ! Pourtant, tout les accable, eux comme les services du département puisqu’il paraît que n’ayant pas les moyens d’instruire les demandes de permis de construire ils leur ont délégué cette mission. Trop d’intérêts mercantis en jeu.
Il suffit pourtant de regarder une photo du lotissement de La Faute-sur-Mer qui porte bien son nom ! Urbanisation pour revenus modestes, retraités et vacanciers attirés par la mer à deux pas. Esquichés pire que dans le métro. Pour le plus grand bonheur des promoteurs et municipalités. Le même rapport mettait en cause l’état des digues de la Faute-sur-Mer. Nicolas Sarkozy saisit la balle au bon et va charger Jean-Louis Borloo – étrangement silencieux ! – de l’élaboration d’un «plan digue»… Le sujet ne prête nullement à sourire – il n’y a guère que Sarko à être connu comme “l’homme qui rit dans les cimetières“, ce qui lui est arrivé à plusieurs reprises – mais je dirais plutôt : plan “dingue”.Comme si les digues étaient l’alpha et l’oméga… de la protection contre les inondations. Au contraire, elles rassurent faussement et autorisent à construire toujours plus près du littoral ou du bord des cours d’eau et des lacs. De surcroît, le remède peut se révéler pire que le mal. Je m’étais intéressée à cette question à l’occasion d’un dossier que je fis paraître sur les crues de la Seine – dont celle de 1910 – sur la Gazette d’Amitiés sans frontières, ainsi qu’en travaillant sur les inondations de la Somme en octobre 2001 quand certains quartiers d’Abbeville avaient été recouverts par deux mètres d’eau.
Là encore, l’on nous avait vraiment pris pour de parfaites guiches ! Sans tomber dans la théorie du complot, il était évident que les vannes de certains canaux du Nord et du Nord-Est avaient délibérément été ouvertes – des témoins en faisaient état – pour épargner Paris et sa région. C’était comme par hasard à un moment où une délégation du CIO devait venir étudier le dossier de candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2008… Tout ça, pour ça !
La nature se venge ou reprend ses droits. Les digues – bien entretenues ! – sont nécessaires mais ce n’est pas en les surélevant toujours plus qu’on règle le problème, bien au contraire car en corsetant davantage les rivages ou les fleuves l’on ne fait que déplacer les inondations ou les rendre encore plus dévastatrices. Il faut laisser des zones non construites à l’expansion des flots. J’en ai vu l’exemple à Selles-sur-Cher à plusieurs reprises lors de séjours hivernaux, les prairies latérales recouvertes jusqu’à plat-bord mais les habitations limitrophes, épargnées. Ce qui est possible dans une petite ville de Sologne, ne l’est-il pas ailleurs ?
Intéressant petit rappel historique à lire sur Le Monde La Faute-sur-Mer et L’Aiguillon, victimes d’une urbanisation galopante. Dû aux souvenirs du géographe Jean Renard, professeur émérite de l’université de Nantes et spécialiste du littoral vendéen, qui a assisté - en expert mais aussi en voisin puisqu’il a habité, pendant 35 ans, la commune proche de Talmont-Saint-Hilaire – à cette dérive née lors des «Trente glorieuses» et explique que naguère les terres les plus proches de la mer n’étaient aucunement urbanisées :
“Il y a 50 ans, ces terrains servaient de communal, du nom de ces sols alloués aux agriculteurs, qui, moyennant une petite rétribution, y menaient paître leurs bêtes”. Ces terres agricoles, régulièrement inondées, abritaient aussi “des conches”, ces champs creusés dans le sable. Une petite paysannerie “y cultivait des pommes de terre, des fleurs ou encore de la vigne.” Instruits par l’expérience, les paysans connaissaient les risques et les dangers des inondations et ne construisaient “que sur des îlots surélevés”, comme celui du vieux bourg de L’Aiguillon ou encore l’îlot de la Dive, qui ont d’ailleurs été épargnés par les eaux”.
Les “communaux” ! Institution sans doute aussi ancienne que la commune et les droits conquis de haute lutte par les citadins et les villageois contre les seigneurs. Remise en cause bien avant la Révolution. Devenue plus encore absolument insupportable quand l’idéologie dominante tend à l’appropriation privée de l’espace public.
Quant à la précieuse mémoire des “anciens”… Fi ! donc… Les crânes d’œuf de la technologie – ingénieurs, urbanistes et architectes - forts de leurs modèles physicaux-mathématiques - n’en n’ont la plupart du temps rien à secouer à l’heure du prétendu progrès. Le problème est exactement le même en montagne. Les anciens qui gardaient vivace la mémoire des avalanches qu’ils avaient connues, eux ou leurs parents et aïeux, se gardant bien de construire dans la trajectoire des couloirs d’avalanche.
On connaît la suite : des maisons anciennes construites en retrait de la mer ou des chalets antédiluviens, épargnés par les inondations et les avalanches meurtrières alors que les constructions les plus récentes sont dévastées. Cherchez l’erreur !
Enfin, Nicolas Sarkozy jamais en retard d’une promesse ! mais se gardant bien de les tenir… a promis 3 millions d’euros pour une aide d’urgence. Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture promet pour sa part 20 millions d’aides aux pêcheurs, ostréiculteurs, mytiliculeurs et agriculteurs qui ont tout perdu ou presque.
Qu’en sera-t-il pour ces promesses, sachant que les sylviculteurs des Landes atteints par l’ouragan Klauz en février 2009 attendaient toujours il y a quelques mois les premiers versements de l’aide promise ?
Indubitablement, Nicolas Sarkozy est un écolo expérimenté : il pratique le “recyclage” des… promesses. Nous l’avons vu également naguère, s’agissant de la PAC et des subventions aux agriculteurs. Il a répété quasi mot à mot le même discours et “vendu” les mêmes subventions qu’il n’avait jamais versées. Nous savons le peu de crédit qu’il faut accorder à ces effets d’annonce. Purement médiatiques.