Nicolas Sarkozy a donc annoncé une série de mesures pour une nouvelle politique industrielle française.
Avant toute chose, rappelons que la politique industrielle ne peut être efficace que sous certaines conditions qui vont de la stabilité politique à l’éducation en passant par l’existence d’une classe dirigeante intéressée au développement du pays. Il n’est pas certains que ces simples conditions soient aujourd’hui parfaitement réunies en France. Dans ces conditions, les propositions dont a fait part le chef de l’État sont au mieux utiles mais parfaitement banales, au pire naïves et bien insuffisantes.
Nous savons que notre industrie a subi une érosion rapide durant la décennie 2000 : sa part dans la population active est passée de 16% à moins de 13% ; sa part dans la valeur ajoutée a chuté de 22% à 16%. Nous savons aussi que le cas français fait écho à la situation de toute l’Union européenne, incapable de se doter d’une stratégie industrielle comme le montre l’échec du processus de Lisbonne.
Les conséquences économiques de la désindustrialisation de la France et de l’Europe sont évidentes : baisse des normes sociales et perte d’emplois qualifiés, concurrence des pays émergents dans les secteurs à haute valeur ajoutée, échec de la transition écologique que permettraient les technologies propres.
Depuis plusieurs mois, plusieurs responsables socialistes et quelques ‘think tanks’ se sont penchés sur la problématique industrielle. Nous saluons d’ailleurs l’intéressant travail mené par Terra Nova et, au PS, par le secrétariat national à l’industrie.
Souhaitant répondre aux formulations de Nicolas Sarkozy, nous tenons ici à mettre en avant quelques pistes qui nous semblent essentielles pour assurer la pertinence et l’efficacité de toute politique industrielle :
- La nécessité d’une ‘Europe puissance’. Cela fait bien longtemps que l’on défend ce concept désormais approuvé de tous (ou presque) mais rien ne bouge tant les intérêts corporatistes (à court terme) de certaines entreprises couplés à un souverainisme des politiques de droite semblent insurmontables. Pourtant, seule une UE forte peut permettre la mise en œuvre effective de grands projets industriels et l’affirmation d’une stratégie européenne qui pondérera la priorité donnée à la monnaie et à la concurrence. Cela peut supposer la création d’un grand ministère européen de l’Industrie (MITI européen).
- Surtout, seule une Europe puissance aura la capacité de mettre un terme réel aux paradis fiscaux et de garantir de nouvelles régulations économiques internationales remédiant aux distorsions de concurrence créées d’une part par les désalignements monétaires et d’autre part par les écarts de normes environnementales et sociales.
- C’est ainsi que pourront être proposées des « écluses fiscales» aux frontières de l’Union sur les produits ne respectant pas les normes environnementales et sociales internationales. L’Europe ne peut pas imposer à ses propres entreprises des standards écologiques et sociaux auxquels échapperaient totalement les produits importés du reste du monde.
- Nous devons aussi radicalement modifier notre conception de l’entreprise en y installant la cogestion et une meilleure représentation des salariés (30% dans les conseils d’administration par exemple).
- En parallèle de la refonte nécessaire du crédit d’impôt recherche (qui aujourd’hui bénéficie d’abord aux grands groupes), il nous faut soutenir et faire grossir les PME, notamment via des aides publiques davantage orientées vers elles.
- Il est également nécessaire de mieux orienter la dépense publique vers les investissements d’avenir, au premier rang desquels figurent ceux à mobiliser au profit de
l’économie de la connaissance et de l’innovation industrielle.
- Cela suppose aussi le renforcement de l’éducation, de la recherche, des énergies renouvelables et de l’aménagement du territoire : si certains investissements ne sont pas rentables directement (et ne sont donc pas portés par le marché), ils ont néanmoins une rentabilité indirecte en contribuant à accroître le potentiel de croissance du pays en créant un environnement favorable.
- À l’inverse de la politique rétrograde du gouvernement actuel, renforcer les collectivités locales pour renforcer la qualité des infrastructures est primordiale. Un environnement économique favorable suppose des réseaux de transport, de communication, de distribution d’eau et d’énergie d’excellence.
- La protection du modèle social français et des services publics est un autre préalable : les dépenses sociales ont certes un coût, mais elles permettent aussi une mutualisation favorable aux entreprises.
- La question du coût du travail (élevé en France) ne peut être occultée Nous devrons donc moduler l’impôt sur les sociétés en fonction des bénéfices réinvestis ou versés sous forme de dividendes.
- Mesure plus simple mais non moins pertinente, pour favoriser certaines bonnes pratiques il s’agira de fournir une meilleure information aux consommateurs-citoyens.
- Quant aux pôles de compétitivité, ils devront être revus sous deux angles : la gouvernance, aujourd’hui défaillante, doit être réformée en donnant un vrai rôle d’orientation stratégique à l’État et aux régions ; la constitution de pôles de compétitivité européens doit devenir effective.
- Enfin, cela est connu mais finalement peu pratiqué : la conditionnalité stricte des aides publiques aux entreprises doit être appliquée et les fermetures de sites pour des raisons financières découragées fiscalement et juridiquement.
Jean-Louis Bianco & Nicolas Cadène