Après le décès de son compagnon, un homme qui vivait avec ce dernier depuis plusieurs années a souhaité que la commune de Szczecin (Pologne) - propriétaire de l’appartement où ils vivaient - lui reconnaisse le droit à la transmission du bail, et ce, en se fondant sur la loi polonaise qui confère un tel droit pour les personnes ayant vécu en concubinage (« de facto marital cohabitation »). Cependant, les juridictions polonaises refusèrent de faire droit à cette demande en considérant que seules les relations de couples hétérosexuels, et non homosexuels, peuvent être qualifiées de concubinage.
La Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’une requête alléguant d’une discrimination dans la jouissance du droit au respect de la vie privée (Art. 14 combiné à l’Art. 8), rejette tout d’abord l’ensemble des exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement polonais (§ 56-75), en particulier concernant l’applicabilité ratione materiae de l’article 14 aux faits de l’espèce (§ 76-85).
Sur ce point, la Cour estime qu’il s’agit bien ici d’une “différence de traitement entre les couples hétérosexuels et homosexuels quant au droit de transmission du bail après le décès d’un des partenaires“, différence qui affecte un droit conventionnel car elle rappelle que “l’orientation sexuelle, un des aspects les plus intimes de la vie privée d’une personne, est protégée par l’article 8″, tout comme “le droit au respect de son domicile” (§ 83).
Au fond, la juridiction strasbourgeoise rappelle ses exigences strictes lorsqu’est en cause “l’orientation sexuelle”, car quand “une différence de traitement est basée sur le sexe ou l’orientation sexuelle, la marge d’appréciation accordée à l’État est étroite“. Plus encore, il est rappelé que sera constatée une discrimination contraire à l’article 14 “si les raisons avancées pour justifier une différence de traitement [sont] basées uniquement sur l’orientation sexuelle du requérant” (§ 92).
En l’espèce, la Cour relève que les décisions et jugements internes litigieux se “concentrai[en]t […] sur la nature homosexuelle de la relation” (§ 96). La justification de la position polonaise pour refuser de reconnaître le concubinage des couples homosexuels - “la protection de la famille fondée sur ‘l’union d’un homme et d’une femme’ ” - est admise dans son principe par la Cour qui rappelle que “la protection de la famille au sens traditionnel du terme constitue en principe une raison importante et légitime qui pourrait justifier une différence de traitement“ (§ 98). Le poids accordé à cet but est cependant jugé ici bien inférieur “aux droits conventionnels des minorités sexuelles” (« the Convention rights of sexual minorities »), même si la Cour ne nie pas que l’équilibre entre ces intérêts “est, par la nature des choses, un exercice difficile et délicat” pour l’État (§ 99).
Pour conclure en ce sens, les juges européens rappellent que “la Convention est un instrument vivant qui doit être interprété à la lumière des conditions de vie actuelles“ et que doit donc “être pris en compte les développements de la société et les changements de perception sociale concernant les questions d’état civil et relationnelles, dont le fait qu’il n’y a pas qu’une seule voie ou un seul choix dans la façon de mener et de vivre sa vie privée et familiale” (§ 98 - « must necessarily take into account developments in society and changes in the perception of social, civil-status and relational issues, including the fact that there is not just one way or one choice in the sphere of leading and living one’s family or private life »). La Cour considère donc que les raisons avancées pour justifier ici la différence de traitement au détriment du requérant - et plus généralement, des couples homosexuels - sont insuffisantes.
Partant, la Pologne est condamnée pour discrimination dans la jouissance du droit garanti à l’article 8.
Le refus de la transmission du droit au bail à un membre d’un couple homosexuel par la commune de Szczecin (Pologne) constituait une discrimination selon l’orientation sexuelleKozak c. Pologne (Cour EDH, 4e Section, 2 mars 2010, Req. n° 13102/02) - En anglais
“Refus de transmission du droit au bail au compagnon survivant d’un couple homosexuel”
Actualités droits-libertés du 3 mars 2010 par Nicolas Hervieu
NB: il est juridiquement faux d’affirmer que cette décision ouvrirait “la voie au mariage entre personnes de même sexe” en Pologne comme on le lit dans certains médias
voir par exemples véhiculant cette affirmation fausse:
- “Strasbourg ouvre la voie au mariage gay“, Courrier international 03.03.2010
- “La Cour de Strasbourg entrouvre la voie au mariage gay en Pologne“, presse Europe. l’Europe décalée,03.03.2010.