Une immersion totale et dure qui m’a rappelé bien des souvenirs…
J’ai accompagné Gwen dans ses derniers jours. J’étais là à l’hôpital quand elle n’arrivait plus à respirer et que son corps s’est mis à se secouer de spasmes. L’infirmière nous a fait un signe de la tête et là, j’ai baissé les yeux, la gorge serrée d’émotions. L’envie de chialer, de pleurer des grosses larmes. De se vider de toute cette révolte, parce que Gwen c’est l’amie, la sœur, la cousine fauchée par un cancer à trente-huit ans. Hurler et crier « Gwen, reviens ! t’as pas le droit de mourir pour toi, pour tes enfants, pour ton mari, pour nous. Qu’est ce qu’on va devenir sans toi ? Hein, dis-le-moi. Qui ira se promener avec moi le long de la rade ? Ou alors plus dans les terres, là où la bruyère et les ajoncs tapissent le sol. » On était à ses cotés les bras ballants, statues pétrifiées de sel et de douleur. Ils ont amené Gwen chez elle, dans sa maison. Poupée triste au front froid à qui on allait rendre visite. Des allées et venues surtout le soir car chacun après son travail venait lui dire au revoir et témoigner sa peine à son mari. Pas besoin de longs discours, une poignée de main ou une accolade qui se terminait toujours par un mouchoir tamponné au coin de l’œil. Les hommes étaient rasés de près et sentaient encore le savon, les femmes avaient endossé leurs vêtements du dimanche. Parce que c’est normal de venir rendre hommage à celle que l’on connaissait de près ou de loin. Dans la cuisine, la cafetière fonctionnait sans arrêt. Sur la table : les tasses, des gâteaux, une bouteille de vin ouverte pour ceux qui préféraient un coup de rouge. Les enfants, on les barricadait dans la cuisine, ils auront bien le temps de voir la mort, de connaître son visage. Une cloison ou un couloir les séparait juste de l’effroyable. Ils écoutaient les voix chuchotées, les conversations qui se terminaient par un hochement de tête ou un « c’est la vie » soupiré, sans espoir.
Le lendemain ou le surlendemain, l’enterrement traditionnel : la messe avec le curé qui essaie de faire au mieux. L’église du patelin bondée, pleine à craquer et des murmures de commères qui s’élevaient de rangs « la fille d’untel est à l’hôpital …ah bon, je ne savais pas ». Le cercueil posé avec Gwen dedans, c’est ta dernière demeure, ma belle. Comment tu vas faire maintenant pour regarder le ciel, rire ou pester ?
Au cimetière, on se tenait les uns à côté des autres comme pour éloigner l’Ankou au cas où il reviendrait. Communion des habitants de la côte et de ceux des Terres, pour toi Gwen. On est allé au café du coin où il y avait des tables réservées pour la famille et les proches. Les langues se déliaient petit à petit et on commençait à reparler de la Vie…
Que dire d’un livre qui vous prend aux tripes et qui vous fait replonge des années auparavant ? Sans être une bretonne Bretonnante, mon sang et mes racines sont dans ce livre. Bien plus qu’un roman, c’est un témoignage beau, profond et émouvant qui nous rappelle qu’avant la mort était beaucoup plus humanisée. L’écriture d’Hervé Bellec est limpide, franche et contient à elle seule toutes les racines de la Bretagne. Une lecture dont on ne sort pas indemne...
« Le courage, la bravoure était valeur suprême dont une bonne partie d’entre nous avait été abreuvée, on peut dire engraissée, tout au long de notre jeunesse » .
« Kerascoet, deux kilomètres cinq, j’ai les jambes en coton. J’essuie m es mains moites à mon pantalon. Dès qu’on s’approche du village, les champs deviennent des jardins, les fermes des pavillons. Les géraniums dégoulinent des fenêtres du premier étage. Ici les bourgs embellissent au fur et à mesure qu’ils crèvent. »
Un grand merci à : Yvon qui m’a fait découvrir cet auteur (et à qui je demanderais, la prochaine fois, de me fournir des mouchoirs). Sylire a trouvé cette lecture éprouvante.