"Sandrine", de Dieudonné

Publié le 04 mars 2010 par Gjouin @GilbertJouin


Théâtre de la Main d’Or
15, passage de la Main d’Or
75011 Paris
Tel : 01 43 38 06 99
Métro : Ledru-Rollin
Spectacle écrit, mis en scène et interprété par Dieudonné
Ma note : 7,5/10
L’argument : Un des précédents spectacles de Dieudonné s’intitulait Le divorce de Patrick. Aujourd’hui, six ans plus tard, le divorce est consommé. Mais Patrick n’a pas pu oublier Sandrine, son ex. Et il continue à la harceler et à lui pourrir la vie. Seulement, il est allé un trop loin. Il a frappé madame et elle a porté plainte. Il s’en suit donc un procès pour coups et blessures que nous sommes invités à suivre dans ses moindres détails…
Mon avis : On peut dire tout ce que l’on veut de Dieudonné, mais il reste un de nos plus grands talents en matière de one-man show. Que ce soit dans son écriture, nerveuse et acérée, et dans son jeu, d’une formidable étendue, il fait preuve d’une originalité totale. Il possède une science du comique qui n’appartient qu’à lui.
Son nouveau spectacle, Sandrine, est de la même veine que tous ceux qu’il présente depuis qu’il se produit en solo sur scène. C’est-à-dire qu’il fait une nouvelle fois appel à toute une galerie de personnages hauts en couleur qui apportent chacun son éclairage et son témoignage sur une affaire donnée. Ici il s’agit d’un procès pour coups et blessures qu’intente madame Sandrine à son ex-mari, Patrick.
Personnellement, je me rends au théâtre de la Main d’Or à chaque nouveau spectacle de Dieudonné uniquement dans le but d’y passer un grand moment d’humour fin et caustique. Je n’y vais pas pour assister à une tribune politique – d’ailleurs il n’y en a pas – ou à une quelconque diatribe raciale ou sociale. J’aime l’humoriste Dieudonné et ça fait vingt ans que ça dure. Point !
Bien sûr, son sens exacerbé de la provoc’ n’est pas toujours du meilleur goût, mais tous les humoristes vous le diront, ils sont prêts à se damner pour sortir un bon mot ou pour dénicher la plus cinglante des métaphores. Le préambule du spectacle de Dieudonné, entièrement en voix off, ne déroge pas à cette règle. Il faut bien avouer que l’idée, même choquante, est imparable. Etre choqué, ça fait partie aussi de ces petits plaisirs intimes que l’on garde de l’enfance. Au fond de nous, on aime bien ça. Agissant comme une soupape face à des réalités parfois dures à accepter, l’humour noir fait partie de la culture française. Et il est souvent réconfortant de sourire de certains sujets qui ont trop fait pleurer. Ce n’est parce qu’on rit d’une formule acide ou d’une situation horrible qu’on est insensible et indifférent. Au contraire, même. C’est une manière de l’accepter, de ne pas faire l’autruche. Lorsqu’on possède un certain recul, on peut rire de tout. Il est arrivé que ce soit une question de survie, une manière de se protéger de l’inacceptable. Et tant que ça fait partie de sketches et que ce sont des mots prononcés par des personnages, il faut savoir s’en amuser.


Pour en revenir à Dieudonné, lorsqu’il apparaît sur scène, il ne nous livre pas tout de suite le procès de Patrick. Il s’attarde d’abord un temps sur sa situation de comique interdit, d’artisan de l’humour qui ne peut plus exercer son métier librement. Sur son permis de faire rire, on lui a ôté tous les points. Ne circulez plus, il n’y a rien à voir ! Sans misérabilisme aucun, il raconte ses difficultés à partir en tournée et sa parade mobile (un bus) pour continuer à donner ses spectacles en province.
En ayant terminé avec ces petites digressions liminaires, Dieudonné entre dans le vif du sujet. Il nous emmène au tribunal pour nous y faire vivre l’affaire « Boulard contre Boulard », Sandrine contre Patrick. Et il commence son festival en endossant les voix, les accents, les caractères, les mentalités, les tics de langage des protagonistes de ce procès somme toute banal. Le premier individu qu’il campe est le juge. Un juge fantasque et affreusement subjectif qui dresse le rappel des faits… Patrick Boulard tente alors d’assurer sa défense. C’est un homme fruste, qui fait énormément de fautes de langage et qui, comme beaucoup de personnes limitées, appuie ses dires avec force gestes très explicites. C’est un primaire qui estime que frapper sa femme, ce n’est pas si méchant que ça… L’avocat représentant la plaignante, Sandrine, intervient alors. S’appuyant sur des péripéties réelles, il dépeint Boulard comme un être odieux, infect, dénué de tout scrupule. Il remémore ainsi un accident de la circulation dont Sandrine a été le témoin muet et soumis et dans lequel Patrick a eu une attitude particulièrement sordide… Lequel Patrick n’a pas grand-chose à espérer de la part de son avocat commis d’office, maître Akébé, qu’il traite d’ailleurs de « pygmée », et pour lequel Dieudonné adopte évidemment un savoureux accent africain… Un accent qu’il troque avec virtuosité pour prendre celui du Midi afin de faire intervenir un personnage pittoresque qui intervient en tant que représentant du MIF (Mouvement contre l’Impérialisme Féminin)… Ensuite, toujours aussi bon dans l’exercice, Dieudonné prend successivement les accents asiatique, arabe et antillais avant de nous faire assister à l’interview de Sandrine par un journaliste télé et de terminer par un sketch aussi subtil que truculent sur le séjour de Patrick en prison dont je vous laisse découvrir tout le sel.


Enfin, il termine son spectacle par un superbe hommage à Claude Nougaro, suivi d’un sketch qui, tout remarquablement écrit qu’il soit (ou peut-être à cause de ça) crée un certain malaise. J’aurais préféré terminer sur une note un peu plus joviale.


Vous l’aurez compris, tout au long de ce spectacle, Dieudonné se livre à un exercice ébouriffant de comédie pure. Il fait vivre chaque personnage devant nous avec son accent, ses mimiques, ses gestes propres. Et comme d’habitude, cette galerie est particulièrement croquignolette, c’est toujours aussi bien écrit et aussi formidablement interprété. Et puis il a toujours cette façon si personnelle de jouer avec le public, attentif à la moindre réaction intempestive ou décalée pour l’interrompre d’une de ces boutades ou réflexions dont il a le secret. C’est vraiment du grand art.


Et bien il ne me reste plus qu’à attendre son prochain one-man show. Ce qui ne saurait beaucoup tarder vu le rythme auquel il écrit et sort ses spectacles.