En Pologne, ce sont des enfants Tziganes, qu'une horrible marâtre va contraindre son nouveau mari à perdre dans une forêt.
En Suède, ce sont deux enfants qui se perdent au cœur de la forêt, alors qu'ils sont allés couper des aiguilles de sapin.
Au Canada, c'est Rose-des-Bois, "une jeunette", qui va être conduite avec ses deux sœurs loin du pauvre domicile familial.
En Corse, ce sont deux petits qui devront survivre aux sales intentions du "Magu".
En Amérique du Nord, c'est Jack et son jeune frère, bien trop goulus, que les parents vont éloigner de la maison, et qui devront affronter un mangeur d'hommes.
Et, en France, c'est notre petit Poucet national, dont vous connaissez certainement l'aventure...
Tous ces contes déclinent, avec leurs particularités culturelles, des histoires d'enfants que les parents ne peuvent assumer faute d'argent. On reconnaît, dans chacun d'entre eux, certaines constantes : la pauvreté, la disparition de la mère, l'arrivée d'une belle-mère qui mène son homme par le bout du nez, la rupture du lien qui unit les enfants à leurs parents... On retrouve aussi les traits d'ingéniosité des petits qui sont amenés à se débrouiller pour assurer leur survie. On repère la présence du personnage fantastique qui va soit aider les enfants, soit contrecarrer leurs entreprises : un dragon, en Pologne ; un ogre, en Suède ; une fée généreuse au Canada ; un corbeau et un "magu" (magicien maléfique) en Corse ; un cannibale en Amérique du Nord ; et l'ogre célèbre aux bottes de sept lieues en France.
L'image de la mère ou de la marâtre y est souvent caricaturale : ce sont des viragos, ces femmes qui peuplent les contes ! Les pères, eux, sont dépeints comme aimants mais soumis à l'autorité malfaisante de leurs compagnes. Mais les situations se renversent lorsqu'il s'agit d'aider les enfants : on rencontre souvent des femmes qui les prennent sous leurs ailes pour les protéger des griffes de leurs monstres de maris.
Je citerai Bruno Bettelheim : « Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu'exige notre passage de l'immaturité à la maturité. Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d'abord refléter notre image ; mais derrière cette image, nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts. »
Sous leurs airs anodins, les contes parlent aux enfants (et aux grandes personnes) des tumultes de leur inconscient psychique. Ce magnifique album donne à voir que dans chaque pays du monde, il fut des conteurs qui, sous forme d’images symboliques, ont traduit les problèmes auxquels nous sommes confrontés dès l’enfance, et qui touchent à la fois aux relations dans la famille (rivalité fraternelle, inceste…) et aux problèmes personnels (renoncement aux dépendances de l’enfance, affirmation de la personnalité, prise de conscience de ses propres valeurs).
Quel fantasmagorique voyage !