De l’épouvante (Le Bal des Vampires) au fantastique (La Neuvième Porte), en passant par le film policier (Frantic) ou le drame historique (Le Pianiste), Roman Polanski a abordé à peu près tous les genres cinématographiques. Son dernier film, The Ghost Writer, lorgne quant à lui vers le thriller politique. A partir d’un scénario de facture plutôt classique, le cinéaste y démontre son immense talent de metteur en scène. Résultat: un divertissement superbe de sobriété et de maîtrise, d’une précision inouïe et d’une efficacité redoutable, transporté par l’interprétation d’Ewan McGregor et de Pierce Brosnan.
Du ghost writer joué par Ewan McGregor, l’on ne connaîtra jamais le nom. Embauché pour rédiger les mémoires de l’ex-Premier ministre britannique Adam Lang - Pierce Brosnan - suite au décès de son nègre précédent dans d’étranges circonstances, l’écrivain se retrouve rapidement en villégiature dans la maison high tech de l’homme politique. Sur une petite île battue par la pluie, le long d’une plage proche de l’endroit où fut retrouvé le cadavre de son prédécesseur, l’endroit sinistre dissimule de lourds secrets. Y compris à propos de Lang lui-même, qui se retrouve simultanément mis en examen par le tribunal de La Haye pour une sombre affaire de torture sur des terroristes. Son passé obscur attise la curiosité du jeune nègre, commençant sa propre enquête en parallèle de sa collaboration d’écrivain.
Derrière le calme apparent qui règne en maître dans cette maison de bord de mer, chaque membre de l’entourage de Lang est une énigme. Grâce à sa mise en scène lugubre, froide et très précise, Roman Polanski instaure un climat de soupçon permanent. L’isolement géographique du lieu, le temps constamment pluvieux au dehors et les non-dits font de chaque scène un moment d’oppression où le doute ne cesse de se renforcer. Qui manipule qui ? Embarqué dans une affaire où il ne fait pas bon fourrer son nez, le ghost writer devient un pion sur un échiquier où la vie humaine n’a plus réellement de prix…
Au fur et à mesure que le scénario s’engouffre dans une descente aux enfers, la paranoïa s’installe. Loin de la complexité des enjeux politiques qui pourraient rendre la narration confuse et incompréhensible, Polanski se concentre sur l’intime et l’identification au jeune écrivain. Peu coutumier de la sphère politique, il découvre peu à peu les enjeux qui se dessinent, tandis que le spectateur le suit pas à pas dans son enquête. Ewan McGregor, dont les répliques d’un second degré so british font mouche, crève l’écran et instaure une complicité naturelle. Dans son rôle d’ex-Premier ministre, Pierce Brosnan relève également d’un choix judicieux, à l’image du reste du casting.
On l’aura compris, la véritable surprise de The Ghost Writer ne vient pas de son scénario. Bien ficelé mais relativement classique, il n’est qu’un faire-valoir à la démonstration du savoir-faire de Polanski. A partir d’un rythme parfaitement maîtrisé, qui emporte le film dans un crescendo progressif jusqu’au dénouement final, le cinéaste laisse résonner les problématiques habituelles de son cinéma (l’absurde, l’oppression, les déviances sexuelles, etc.), tandis que l’actualité qui l’a rattrapé depuis quelques mois fait ici curieusement écho. Du spectateur du dimanche au cinéphile le plus averti, tous les publics trouvent ainsi leur compte grâce à une imbrication subtile des niveaux de lecture.
Formellement, la réussite est totale. Rien n’est laissé au gré du hasard. Chaque scène est justifiée dans le cheminement du scénario, chaque réplique habilement pensée, chaque plan méticuleusement construit. Ajoutez-y l’admirable partition d’Alexandre Desplat, faisant référence aux thrillers des 60’s et 70’s, et vous obtenez un grand film. Extrêmement soigné sans en faire des tonnes, The Ghost Writer est un thriller classe, très divertissant et habité d’un rare talent, jusqu’à son plan final. Délicieux.
En salles le 24 février 2010
Crédits photos : © Paramount Pictures France