Une mini-série par Warren Ellis & Chris Weston, éditions Semic 2005, collection « Semic
Books ».
Résumé 4e de couverture : Eté 1945, l’armée allemande sur le point d’être vaincue n’est déjà plus le problème des alliés, qui tentent de s’approprier les secrets militaires nazis. La course
effrénée que se livrent Russes et Américains sera gagnée par… les Anglais.
C’est cette course à la maîtrise de l’espace après celle du ciel, et de ses conséquences sur l’Europe, que nous décrit
Warren Ellis avec toute sa clairvoyance et son cynisme habituel…
Une chronique de Vance
Le coin du C.L.A.P. : Engouffré avant la projection de Shutter Island, terminé (il restait une dizaine de pages) le soir même dans mon lit. Le Goldfish
risque de me prendre un poil plus de temps...
Outre le format plaisant et la texture agréable des Semic Books, outre aussi la présence de Warren Ellis dans le
duo créatif, c’est avant tout le sujet qui m’a intéressé. Pensez-donc : loin des super-héros contemporains, on nous livre un one-shot sur une uchronie fascinante, liée à la conquête
spatiale. Ou comment marier SF intelligente, aviation et astronomie, trois de mes passions avouées. Un peu comme si Philip K. Dick réécrivait Jean Maridor, chasseur de V1…
Alors, qu’en est-il ? Evidemment, le pari est osé, et il y avait peu de chances qu’il remplisse pleinement ses promesses.
De fait, l’intrigue est plutôt bien amenée, avec application et une touche d’ironie grinçante, deux facettes du talentueux Ellis, le père d’Authority. Les dessins très
old-fashioned de Weston aident à nous replonger dans ce passé trouble et, à dire vrai, si l’on excepte la colorisation et quelques mises en pages un brin plus audacieuses, on ne
s’étonnerait guère d’être en présence de ces comics des années 60 qui pullulaient dans des petits formats exaltant le Sergent Rock ou l’incroyable Hulk. Mieux : la méticulosité
apportée à la représentation des machines accentue un décalage (volontaire ?) entre le réalisme des Spitfire et des Avro Lancaster (dire que je les avais réalisés en maquettes !) et les
vaisseaux spatiaux. Ces derniers s’inscrivent dans une vision tout aussi surannée d’un futur glorieux : loin des engins hyper-définis, dentelés et imposants de Chris Foss, on se
rapproche des couvertures des pulps et des dessins de l’inénarrable E.E. « Doc » Smith. De la navette britannique aux stations orbitales, tout semble conçu par des architectes
visionnaires… d’il y a 50 ans.
Ensuite, on se rend compte tout de même de la restriction voulue de la portée de l’œuvre :
si quelques figures emblématiques sont reprises (notamment un savoureux Churchill à voir dans un très bon face-à-face), les noms sont savamment éludés. Ainsi, l’artisan, le maître d’œuvre de la
puissance militaire de l’Angleterre, ce savant allemand embarqué de la base de Peenemünde quelques minutes avant l’arrivée des Américains n’est jamais nommé (quand bien même il serait Werner
von Braun, le père des programmes spatiaux américains – dans notre réalité, bien sûr). S’il est au Royaume-Uni, c’est grâce à l’idée d’un certain Dashwood, le personnage central de cette
histoire, un pilote ambitieux qui travaillera d’arrache-pied sur l’idée que l’Angleterre doit être maîtresse du ciel, obtiendra l’autorisation du Premier Ministre et tirera de fonds secrets (dont
l’origine ne sera dévoilée qu’à la toute fin) le potentiel économique nécessaire à la création du Ministère de l’Espace. Dès 1946, sous son impulsion un peu arrogante, le groupe constitué
par ses soins entre savants nazis et capitaines d’industrie parvient à faire décoller une fusée. Ensuite, de la mise en orbite d’un satellite bien plus évolué que notre Spoutnik au premier
alunissage en passant par l’élaboration de stations orbitales, tout est réalisé avec une rapidité qui n’a rien d’extraordinaire : il suffit d’une volonté de tout un peuple et de
financements illimités. Le tout sous-tendu par la rage de réussir d’un homme, pénétré de l’importance de sa mission lorsqu’il annonce calmement à Churchill que les Britanniques pourraient
exploiter la surface lunaire avant 1960 (et qu’il réalise le projet dès 1956). Entretemps, le Royaume-Uni goûte aux retombées d’une telle course en avant technologique : les cieux de Londres
sont emplis de navettes aériennes et les Anglais se déplacent grâce à des dispositifs portatifs dotés d’hélices ou de réacteurs à la Adam Strange ; l’énergie leur est fournie
gratuitement par un gigantesque réseau de capteurs solaires et les ressources des autres planètes sont à portée de bras. Deux ombres au tableau : les Etats-Unis, qui entament leur propre
campagne de conquête spatiale et jalousent le Royaume-Uni, et ces fameuses ressources occultes sur lesquelles un voile sombre et d’infinies précautions ne peuvent empêcher quelques fuites qui
terrorisent ceux qui savent. La révélation, et la chute, mettront aux prises la soif de conquête et d’expansion et les remords tardifs liés à l’Ethique : très pragmatiquement, Dashwood fera
front, clamant qu’on ne peut rien avoir sans rien. Il a accepté la responsabilité des contreparties. Pour l’honneur de son pays. A ses concitoyens désormais d’en assumer les
conséquences.
Ouvrage agréable, un peu trop concis pour le sujet, mais percutant et cynique. Les dernières images semblent montrer que, même
au faîte de la gloire et de l’expansion technologique, un Etat européen conservera quelques vilaines « manies » ancrées dans son tissu social, des accrocs flagrants aux Droits de
l’Homme qui entachent leur âme.