Je suis actuellement en déplacement professionnel et je peux pas poster aussi souvent que je le souhaiterais, je vous prie de m'en excuser. Heureusement, cette absence va vous être profitable, puisque Bernard se propose de continuer à enrichir notre culture bibliophilo-scientifique avec un article sur la pensée newtonienne dans les livres du 18ème. Si cela fait un peu mal à la tête, c'est normal, c'est la pomme. Tous mes remerciements à Bernard qui me sauve une fois de plus.
"Maupertuis introduit le newtonianisme en France après s’y être « converti » lors d’un voyage en Angleterre en 1728. Il fait paraître son Discours sur les différentes figures des Astres en 1732. Il y critique la théorie des tourbillons de Descartes et expose la théorie de Newton. Il n’a aucun écho en France. À l’Académie où les cartésiens sont encore nombreux, il se heurte à l’hostilité de J. Cassini, de Saurin, de Mairan et dans une moindre mesure de Fontenelle. En 1738, il trouve en Voltaire un avocat et un vulgarisateur efficace avec la publication de ses Elémens de la philosophie de Newton, mis à la portée de tout le monde. D’Alembert écrit dans son Discours préliminaire de l’Encyclopédie : « Le premier qui ait osé parmi nous se déclarer ouvertement newtonien est l’auteur du Discours sur la figure des astres, qui joint à des connaissances géométriques très étendues cet esprit philosophique avec lequel elles ne se trouvent pas toujours et ce talent d’écrire auquel on ne croira plus qu’elles nuisent quand on aura lu ses ouvrages. M. de Maupertuis a cru qu’on pouvait être bon citoyen sans adopter aveuglément la physique de son pays ; et pour attaquer cette physique, il a eu besoin d’un courage dont on doit lui savoir gré. »L’enseignement de la physique reste malgré tout cartésienne. Joseph Privat de Molières (1677-1742) élu à l’Académie des sciences en 1721 est nommé en 1723 au Collège Royal pour remplacer Varignon. A sa mort il est remplacé par l’abbé Nollet. Il publie de 1734 à 1739, en quatre volumes ses Leçons de physique (Paris, Chez la Veuve Brocas, Musier, Joseph Bullot. 1734-1736-1737-1739.)
Dans ce cours l’auteur essaie de concilier la théorie de Newton avec les tourbillons de Descartes, « afin que ces systèmes allant de pair, ils puissent contribuer tous deux également à la perfection de la physique. Pendant toute cette période, les Académiciens cartésiens se montrent résolus à défendre bec et ongle la théorie des tourbillons et forment un front uni sur tous les points litigieux. Les Mémoires de Trévoux accordent une attention particulière aux Leçons de physique de Privat de Molières. Ils consacrent un compte rendu détaillé à la parution de chacun des tomes de cet ouvrage. Le premier tome est l’occasion, en novembre 1734, de préciser le projet de l’Académicien :
« Mais ce qui surprendra sans doute dans son dessein, c’est que malgré l’incompatibilité plus qu’apparente du Cartésianisme et du Newtonisme, il entreprenne de réunir en quelque manière Descartes avec Newton, le plein avec le vuide, et l’impulsion avec l’attraction, ou (pour parler plus juste) de nous mettre en état de profiter sans aucun inconvénient, des avantages incontestables de la Physique Angloise, sans rien perdre de la supériorité de la physique Françoise; en un mot de conserver le sistème du plein, et d’y introduire les belles découvertes, qui sembloient réservées uniquement au système du vuide ».Fontenelle écrit dans l’Histoire de l’Académie des Sciences de 1733: « Monsieur l’Abbé de Molières conserve donc toute la théorie de M. Newton; seulement il la rend en quelque sorte moins newtonienne, en la dégageant de l’attraction, et en la transportant dans le plein ». Pierre Sigorgne (1719-1809) polémique avec l’Académicien en écrivant, en 1741son Examen et réfutation des leçons de physique expliquées par M. de Molière au Collège Royal de France.(Paris, Clousier. 1741. 1 volume in-12 ; (2), 452, (4) pp, 6 pl.)Cet ouvrage est une réfutation en règle du système des tourbillons. L’auteur note : «… c’est uniquement aux tourbillons eux même qu’il faut s’en prendre. En effet, souvent où les démonstrations manquent, il se trouve que les propositions sont notoirement fausses, et c’est apparemment ce qui a donné lieu au grand nombre de contradictions qui se sont glissées dans tout le corps de son ouvrage…. Pour exécuter mon projet, je commencerai d’abord par détruire le principe général et la base de tout lesystème, sans laquelle il croule comme de lui-même. Ensuite, entrant dans le détail, je suivrai l’ordre des volumes, des leçons, des propositions tels qu’il se trouve dans le livre que je réfute, afin qu’on puisse plus aisément faire comparaison et porter un jugement plus sur, sur mes réflexions. ». Sigorgne développera plus tard ses idées dans ses Institutions newtoniennes.En revanche, Privat de Molières est défendu par un de ses élèves, Le Corgne de Launay (1724-1804), dans un ouvrage paru en 1743 et intitulé: Principes du système des petits tourbillons, mis a la portée de tout le monde et appliqués aux phénomènes les plus généraux. (Paris, C.A. Jombert. 1743.1 volume in-12 ; XI, (1), 428 pp.). Le « mis à la portée de tout le monde » rappelle le titre des Elémens de Voltaire paru en 1738. Il écrit : « C’est Privat qui dit vrai : suivez donc son système ».L’attribution de cet ouvrage à Le Corgne de Launay est douteuse car celui-ci n’aurait eu que dix-neuf ans en 1743. Outre des ouvrages religieux, on lui attribue également un autre ouvrage de physique, Réponses aux objections contenues dans l’examen des leçons de physique de l’abbé de Molière en forme de lettres à M. Sigorgne, paru en 1741 ; cette attribution est aussi douteuse que la précédente. Quelqu’un a-t-il des informations ?
Dans le numéro d’avril 1742, le rédacteur des Mémoires de Trévoux critique le porte parole de Privat de Molières et conclut: « Mais enfin comment concilier les effets que nous voyons avec les principes que l’on veut nous faire admettre? Peut-être sommes-nous trop curieux. La curiosité qui bâtit les sistêmes est la premiere à les renverser »; mais il ajoute: « Il faut aussi convenir qu’il est beaucoup plus difficile de bien soutenir un système que de bien l’attaquer… si l’on réussissoit à crever, ou à dissiper un petit tourbillon il serait fort à craindre qu’avec la même méthode on ne fit bientôt un cahos de ce merveilleux arrangement de tourbillons qui ouvre une si belle carrière à l’imagination ».
En 1752 paraît anonymement un ouvrage intitulé : Théorie des tourbillons cartésiens avec des réflexions sur l’attraction. (Paris, H.L. Guérin. 1752 1 volume in-12 ; XXXI, 215, (5) pp). L’auteur est Bernard le Bouvier de Fontenelle (1657-1757), neveu des deux Corneille, poète, auteur dramatique, moraliste, philosophe. Il fut pendant quarante-deux ans à partir de 1699, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences. Il est resté cartésien jusqu’à sa mort. L’Académicien de la Lande note, dans son édition des Entretiens sur la pluralité des mondes : « Fontenelle élevé dans les idées de tourbillons, les a conservées jusqu’à sa mort ; quoique Newton eut publié en 1687 son fameux livre des Principes, Fontenelle me proposa dans ses dernières années, de faire imprimer un petit ouvrage sur les tourbillons, qu’il avait fait autrefois ; je voulus l’en dissuader. Falconet eut la faiblesse de s’en charger quelque temps après. Cet ouvrage est intitulé : Théorie des tourbillons cartésiens, avec des réflexions sur l’attraction. Mais on n’osa pas y mettre son nom ».En 1750 la quasi totalité des physiciens étaient newtonniens. Il restait quelques irréductibles tels que Charles Hercule de Keranflech (1711-1787), seigneur de Launay qui publie en 1761 : L'Hypothèse des petits tourbillons, justifiée par ses usages, où l'on fait voir que la physique, qui doit son commencement aux tourbillons, ne peut être mieux perfectionnée qu'en poussant le principe qui l'a fait naître ; ce livre est complété par des Observations sur le cartésianisme moderne. (Rennes, Vatar. 1761. 1 volume in-12 ; (4), 317 pp.)
Voltaire a dit de lui : « Dans un siècle éclairé, le chemin qu’a pris M. de Kéranflech l’aurait mené droit aux petites-maisons ; dans le nôtre, il pourrait bien le conduire à la fortune. Des philosophes de l’étoffe de celui-ci risquent à la vérité d’être un peu sifflés et un peu couverts de mépris, mais l’Eglise sait le secret de les dédommager de ces humiliations, d’ailleurs salutaires à un bon chrétien ».
En 1774 Charles Hercule de Keranflech récidive. Il publie Observations sur le cartésianisme moderne pour servir d’éclaircissement au livre de l’hypothèse des petits tourbillons (Rennes, Vatar. 1774. 1 volume in-12 ; 136 pp, 8 pl.)Dans l’avant-propos, l’auteur définit le Cartésianisme moderne initié par Malebranche, Gamache, Privat de Molières, etc. : « … ils ont subdivisé les grands Tourbillons en d’autres indéfiniment petits, composés d’autres encore indéfiniment moindres, et pareillement composés d’un ordre de subalternes ; ainsi de suite à l’infini ; ou, autant qu’il a plu à Dieu de pousser la division de la matière. … C’est enfin cette transformation des trois matières cartésiennes en petits Tourbillons de divers ordres qui fait, ce que nous appelons ici, le Cartésianisme moderne ».Et aujourd’hui où en est-on ? Peut-on considérer que les atomes sont de petits tourbillons ? Qu’est-ce que le vide ? Assez travaillé pour aujourd’hui…Bernard.H