Si la malédiction était un concept, le séisme qui a frappé Haïti répondrait surement à des critères métaphysiques. Il n’en est rien et brandir cette notion à la une de la plupart des journaux du
monde entier appelle une sorte de jugement négatif qui n’a pas lieu d’être. Cette catastrophe aurait pu arriver ailleurs dans le monde. Nous sommes face à un phénomène géophysique et non à
une malédiction.
Et si la plupart des journalistes en lieu et place de clichés, portait un autre regard sur Haïti. Certes, le moment est à la compassion, à l’aide humanitaire. Même généreuse et désordonnée, il est réconfortant de voir cette mobilisation internationale en action venir en aide aux victimes et il reste à espérer qu’une fois apaisé jusqu’au silence, le tumulte médiatique, l’assistance à la reconstruction se poursuivra jusqu’à endiguer les effets de ce séisme. Espérer aussi mais est-ce bien raisonnable que ne se perpétue la gouvernance d’une élite, héritière d’une société coloniale, entièrement coupée de sa population. Et en plus, que les 56% d’habitants qui n’avaient pas accès à l’eau potable avant la catastrophe, puissent en bénéficier. après
Merci à Arnaud Robert dont la plume met toujours du plaisir à la lecture de ses articles publiés dans le quotidien suisse « Le temps » mais aussi dont l’intelligence du regard ne tombe jamais dans les lieux communs. « Remettre de la raison quand se propage le sentiment d’une détermination du malheur en Haïti. Le projet n’est pas inutile, même au moment où l’on extrait encore des blessés des décombres de la capitale et du sud du pays. Cet Etat décapité, dont certains ministres ont perdu la vie et dont le président lui-même n’a plus de toit, est le produit d’une histoire coloniale et d’une révolution pionnière. D’échecs intérieurs et d’influences étrangères. Comprendre Haïti n’empêchera pas les éléments de se déchaîner encore. Mais permettra peut-être de faire entrer enfin ce pays dans le monde du possible, plutôt que dans celui des damnés. » écrit-il.
Il n’omet pas de souligner la flamboyance, la culture, la vitalité de la société civile haïtienne. Et que ceux qui méconnaissent ces aspects osent ouvrir un livre de René Depestre « Alléluia pour une femme jardin », de Dany Laférrière, prix Médicis 2009 pour son roman "L'énigme du retour", et Lyonel Trouillot, qui a signé l'an dernier "Yanvalou pour Charlie" - ces deux derniers sont sortis indemnes du séisme - ou encore de tout autre écrivain, pour entrer dans un imaginaire d’une profonde richesse qui redessine le monde. Les organisateurs du festival littéraire "Étonnants voyageurs", dont la deuxième édition devait s'ouvrir aujourd'hui à Haïti et qui s'annonçait comme un évènement culturel majeur, sont inquiets sans nouvelles de la plupart des auteurs haïtiens. Au passage, chapeau, aux organisateurs qui exportent ce festival sans tambour ni trompette à Port-au Prince.
Et tant qu’à parler culture, évoquons la biennale d’art qui s’est tenue
dans les rues de la capitale sur le thème de l’art du Ghetto, une sorte d’art de la récup’ et de la rue en quelque sorte, il y a tout juste un mois. Une trentaine d’artistes du monde entiers
avaient payé leur voyage, l’hôtel ce qui étaient en soi un événement pour exposer loin des regards touristiques et médiatiques.
Alors, évitons autant que possible, le tiers-mondisme, le populisme, n’encourageons pas le fatalisme et
tentons une autre approche de ce pays dont on ne parle que lors des coups d’Etat ou des catastrophes naturelles.