C'est bizarre : personne ne parle plus d'Armand Robin (1912-1961). Un grand poète pourtant (natif de Plouguernével, en Bretagne). Aujourd'hui encore, il nous semble que ce n'est pas rien, poète, même si le métier, comme tant d'autres, s'est quelque peu perdu au fil des années Il est vrai aussi qu'Armand Robin a laissé derrière lui une oeuvre peu considérable (en qualité, s'entend) : juste trois recueils. Certains prétendent qu'ils seraient d'inégale valeur : Ma Vie sans Moi (1940), Les Poèmes indésirables (1945) et Le Cycle Séverin (1957). S'y ajoutent plusieurs textes publiés en revues ou semés par l'auteur lui-même au gré des vents, sur de simples feuilles volantes. Poète, il pratiqua en outre la traduction. Quel traducteur ! Il lisait au moins 22 langues parmi lesquelles plusieurs étaient mortes. Essayiste, journaliste furent ses autres métiers. Au passage, il fut également communiste, puis anarchiste. Il se dévoua à ces activités avec une égale conviction. Ses vers, d'une grande et sobre beauté, portent l'empreinte d'un engagement poétique plutôt que politique, il va sans dire. Mais nous savons bien que les poètes ne rêvent pas. Les poètes ne rêvent jamais parce qu'ils voient le monde tel qu'il est. Peut-être est-ce pour cela qu'Armand Robin se sentit si seul tout au long de sa vie. A la fin, il occupait une chambre misérable à Paris. Il n'y possédait rien, sinon lui-même, bien entendu, et une malle hébétée de papiers. Il mangeait peu. Il ne dormait jamais, ou bien, s'il dormait, c'était tout en marchant, ce qui au passage le faisait ressembler à un hibou singulier. Il paraît qu'il écoutait les radios du monde entier. Un soir de mars, il pousse la porte d'un café de la rue Saint-Dominique, dans le VIIème, où un conflit d'opinions ne tarde pas à l'opposer à un cercle de boulistes. Comme tout le monde est un peu gris, une lutte s'engage entre les partis. Alerté, le commissaire d'arrondissement, à qui Armand Robin a déjà eu maintes fois affaire, rapplique aussitôt et l'expédie sur-le-champ au ballon. Or Armand Robin est plutôt mal en point, ce soir-là. Et ce n'est pas seulement le fait des coups reçus, non. Le mal dont il souffre depuis longtemps ne cesse en effet de s'aggraver. Des témoignages l'affirmaient la veille : son corps est à peine plus épais que sa défroque. Bien qu'il n'ait pas cinquante ans, il ne reverra plus jamais la lumière du jour. Il meurt au cours de la nuit à l'Infirmerie Spéciale du Dépôt d'une cirrhose du foie. A moins que ce ne soit surtout de fatigue, ou de faim, qui saura jamais ? De désespoir, peut-être ? Les témoins, naturellement, ont disparu depuis. Mais le procès-verbal, sans doute tapé sur une vieille Remington dont quelques touches ne fonctionnaient plus très bien, paraît confirmer que la cirrhose du foie serait l'unique cause de la mort d'Armand Robin. Quant à la malle de papiers retrouvée dans sa chambre le lendemain, on raconte qu'elle fut envoyée à la décharge publique sur ordre du commissaire.
C'est bizarre : personne ne parle plus d'Armand Robin (1912-1961). Un grand poète pourtant (natif de Plouguernével, en Bretagne). Aujourd'hui encore, il nous semble que ce n'est pas rien, poète, même si le métier, comme tant d'autres, s'est quelque peu perdu au fil des années Il est vrai aussi qu'Armand Robin a laissé derrière lui une oeuvre peu considérable (en qualité, s'entend) : juste trois recueils. Certains prétendent qu'ils seraient d'inégale valeur : Ma Vie sans Moi (1940), Les Poèmes indésirables (1945) et Le Cycle Séverin (1957). S'y ajoutent plusieurs textes publiés en revues ou semés par l'auteur lui-même au gré des vents, sur de simples feuilles volantes. Poète, il pratiqua en outre la traduction. Quel traducteur ! Il lisait au moins 22 langues parmi lesquelles plusieurs étaient mortes. Essayiste, journaliste furent ses autres métiers. Au passage, il fut également communiste, puis anarchiste. Il se dévoua à ces activités avec une égale conviction. Ses vers, d'une grande et sobre beauté, portent l'empreinte d'un engagement poétique plutôt que politique, il va sans dire. Mais nous savons bien que les poètes ne rêvent pas. Les poètes ne rêvent jamais parce qu'ils voient le monde tel qu'il est. Peut-être est-ce pour cela qu'Armand Robin se sentit si seul tout au long de sa vie. A la fin, il occupait une chambre misérable à Paris. Il n'y possédait rien, sinon lui-même, bien entendu, et une malle hébétée de papiers. Il mangeait peu. Il ne dormait jamais, ou bien, s'il dormait, c'était tout en marchant, ce qui au passage le faisait ressembler à un hibou singulier. Il paraît qu'il écoutait les radios du monde entier. Un soir de mars, il pousse la porte d'un café de la rue Saint-Dominique, dans le VIIème, où un conflit d'opinions ne tarde pas à l'opposer à un cercle de boulistes. Comme tout le monde est un peu gris, une lutte s'engage entre les partis. Alerté, le commissaire d'arrondissement, à qui Armand Robin a déjà eu maintes fois affaire, rapplique aussitôt et l'expédie sur-le-champ au ballon. Or Armand Robin est plutôt mal en point, ce soir-là. Et ce n'est pas seulement le fait des coups reçus, non. Le mal dont il souffre depuis longtemps ne cesse en effet de s'aggraver. Des témoignages l'affirmaient la veille : son corps est à peine plus épais que sa défroque. Bien qu'il n'ait pas cinquante ans, il ne reverra plus jamais la lumière du jour. Il meurt au cours de la nuit à l'Infirmerie Spéciale du Dépôt d'une cirrhose du foie. A moins que ce ne soit surtout de fatigue, ou de faim, qui saura jamais ? De désespoir, peut-être ? Les témoins, naturellement, ont disparu depuis. Mais le procès-verbal, sans doute tapé sur une vieille Remington dont quelques touches ne fonctionnaient plus très bien, paraît confirmer que la cirrhose du foie serait l'unique cause de la mort d'Armand Robin. Quant à la malle de papiers retrouvée dans sa chambre le lendemain, on raconte qu'elle fut envoyée à la décharge publique sur ordre du commissaire.