Avec "Blues from Laurel Canyon" de John Mayall,
j'inaugure, attention : roulement de tambours, ruban, ciseaux, champagne, coque, crac, applaudissements de la foule en délire, c'est fait, une nouvelle catégorie d'articles qui reviendra quand
ça lui chantera à intervalles totalement irréguliers mais pas forcément. Cette catégorie s'intitule Les Disques d'Or de moi et ce sont les miens et pas forcément ceux des autres, alors si ça ne
vous plaît pas, allez lire ailleurs. Ces albums ne seront pas présentés dans un quelconque ordre de préférence mais ils ont tous été essentiels à un point de mon existence turbulente, torturée
et néanmoins musicale par moments. Bonne écoute et ce, même s'il y aura plus à lire et à voir qu'à écouter.
JOHN MAYALL - BLUES
FROM LAUREL CANYON
Blues from Laurel Canyon est un album de 1968. Etant
né en 1970, je ne l'ai donc pas connu à sa sortie mais bien plus tard à l'occasion d'un baby-sitting chez des amis où l'on baby-sittait autant les enfants pendant la première partie de soirée
que les parents une fois rentrés. Ma femme et moi, on dirait du Colombo, gardions ces enfants à tour de rôle pour nous faire de l'argent de poche afin de pouvoir ensuite se galocher dans une
salle de cinéma obscure sans prêter un instant attention au film. Ah si, une fois, on était allé voir Alien 2.
Ces soirées extraordinaires, nous les passions
chez Florence et Marc, couple d'amis érudits en art, en musique et en plein d'autres choses encore, notamment les spaghettis, le Yam et les tisanes. C'est grâce à Florence, qu'elle en soit
ici remerciée mille fois, que j'ai commencé cette longue montée du Golgotha qu'est ma "carrière" artistique. Je me faisais cordialement engueuler par Florence qui avait cru déceler en moi
cette fibre et me poussait sans cesse à exprimer ma créativité artistique en me nourrissant de ses découvertes, des expos qu'elle venait de voir et de ses immenses connaissances culturelles
cachées sous forme de centaines de livres dans la bibliothèque immense de leur salon. Ayant fréquenté Aragon et d'autres grands, elle en connaît un rayon comme aime à le répéter
inlassablement avec une certaine perspicacité le salarié de l'hypermarché de rase campagne tout en achalandant des mètres de linéaires d'un geste quasi-automatique, les yeux aussi morts que
la daurade qu'il vient de déposer en sa dernière demeure sur un lit de glaçons décoré avec goût de quelques feuilles factices de fougères amères et peu fières de leur funeste
sort.
Les Doors, c'est eux. Fante, c'est eux. Staël,
c'est eux. John Mayall, tout pareil. À l'époque, nous avions en Florence et Marc un grand frère et une grande sœur. Et en plus, on se faisait de la maille à leur garder leurs adorables
moufflards. Le rêve. Bref, un jour, Marc sort de son imposante discothèque "Blues from Laurel Canyon" et me dit : "Tu connais John Mayall ?"
Il allume son ampli à lampes, laissez tomber les jeunes vous ne pouvez pas
comprendre, pose délicatement sa galette sur sa platine de compétition branchée à des enceintes d'1 mètre 50. Un mur de son me tombe sur le corps. Un 747 passe au dessus de moi, à quinze
mètres, peut-être dix au dessus de ma tête.
Une voix un peu nasillarde se met à psalmodier deux phrases.
"Ten hours in a plane, England left behind. Back here in LA, wonder what
i'll find."
Et là, un énooorme solo de guitare de deux minutes, blues à souhait, brut,
brutal, monumental, me débite le cerveau en tranches fines façon carpaccio. Mick Taylor, 19 ans, futur Rolling Stones enfourche sa guitare comme un bronco ruant et fumant de naseaux pour
donner le ton. Ce sera blues, ce sera rock, ce sera furieux, ce sera roots.
Tandis que la guitare s'échappe dans le ciel, John Mayall ajoute juste deux
autres phrases :
"Summertime, my plane is coming down, i'm a wandering man and this is gonna be my
town".
John Mayall a 35 ans. Il a fait
éclore avec son groupe les Bluesbreakers un nombre incroyable d'immenses talents du blues tels Eric Clapton, futur Cream, Mick Taylor, futur Rolling Stones, Peter Greene, futur Fleetwood
Mac avec John Mc Vie, le bassiste des Bluesbreakers de l'époque. De 1963 à aujourd'hui, les Bluesbreakers ont accueilli nombre de stars qui volèrent plus tard de leurs propres ailes. C'est
beau.
Mais en 1968, Mayall en a marre de l'Angleterre, il en fait le tour. Fini
donc les Bluesbreakers.
Il part en vacances à Los Angeles et échoue à Laurel Canyon, LE spot artistique
de l'époque où il rencontrera Frank Zappa, Canned Heat et pas mal d'autres déjantés à cheveux longs et musiques psychédéliques. Mais c'est normal, on est en 1968.
"Walking on Sunset", la deuxième chanson vous traîne directement vers un monde
idyllique : marcher sur Sunset Boulevard. "All the pretty women, never seen a better crop", les filles sont belles, elles sont légion, y'a de la bière, des lumières, Sunset défile comme si
la route n'avait pas de fin. Il est bien le gars, il est bien. Et le blues est bon. Mayall nous fait partager son harmonica merveilleux, il nous invite à la fête. "I'm walking on Sunset,
everything is like a friend". Ambiance cool, on est tous amis, tiens, t'en veux, ouais c'est cool.
Ensuite direction "Laurel Canyon Home", son chez-lui. On calme le tempo. Le jour
se lève. Il déambule, médite, regarde, profite jusqu'au soir. "Each and every morning, when the sun is high, i hunt around the canyon till i find a place to lie". Contemplation,
béatitude, osmose avec la nature. On est bien. Hein Tintin. On est bien. "It's so beautiful to be alone. Got the sun, trees and silence. i'm in my Laurel Canyon home." Rien ne semble avoir
changé en des siècles, le spectacle est immuable. "Looking back a century, i look at where i stand. It must have looked the same as when Apaches roamed the land." Le soleil décline. Le ciel
rougeoie, la lumière flamboie et tout ça et tout ça et pour peu, on entendrait les âmes de chefs indiens nous sussurer des mots doux à l'oreille pour nous endormir.
"2401" casse le trip. Un riff qui tape, l'harmonica qui cingle. C'est le moment de bouger, fini la sieste
tranquilos dans les rochers. Faut se trouver une copine. "Ready to Ride" est chaud, moite, un appel rebelle à la femelle. "Baby, don't you run, you can't hide. My love is boiling over,
cause right now, i'm ready to ride". Je crois que c'est explicite. Explicit lyrics qu'ils mettraient en 2010. "Took me one week to find her, we danced a special way. She got me so excited i
couldn't walk away". Forcément, avec les pantalons en peau de bison, le tipi se voit beaucoup plus.
Je ne saurai vous dire exactement comment s'est passé la soirée avec la damoiselle que John
Mayall poursuivait de ses ardeurs dans le morceau précédent mais le lendemain, John n'est pas au mieux."Medecine Man" est un appel au Doliprane 1000 un lendemain de cuite. En tout cas, ça
va pas fort. Down tempo, pas taper, ouye ça fait mal à la tête. T'aurais pas un remontant, grand Sachem ? "Had a bit of bad luck,
something I would never plan. Got a little trouble, help me anyway you can. I'm out of circulation so take me to your Medecine Man." Va pas fort le John. Désolé, je ne l'ai pas
trouvée sur Deezer. On comprend à la chanson d'après qu'il s'est bien pris la tête avec la jeune fille dans "Somebody's acting like a child". "You shouldn't have been so selfish, i
shouldn't have walked out", allez on s'embrasse, on se réconcilie sur l'oreiller mais c'est quoi ces gamineries les enfants ? Allez faites l'amour, pas la guerre.
La chanson suivante "The Bear" est née de la rencontre de John avec le groupe
Canned Heat, big star de l'époque. Et effectivement, on dirait carrément On the Road Again mais c'est pas On the Road Again puisqu'on vous dit que c'est The Bear. Mais ça sonne très proche.
Mais pas pareil. Mais pas loin pour aboutir enfin à un blues au piano, à la guitare et où la voix de Mayall fait un malheur : "I've been living with The Bear in a big house full of blues.
Going back through the years, hear any record you chose." Il est avec ses potes de Canned Heat, il fait un bœuf, du blues au pays du blues, il s'éclate. " Sun is shining down and The Bear
is rolling in the shades."
Lassé de sa première compagne qui a l'air un tantinet compliquée, John Mayall se met en quête d'une "Miss Jane"
dont on ne connaîtra jamais le nom mais dont on sait que le visage est dans les magazines et que, sous cape, on parle d'elle mais pas forcément en bien. Donc, comme il est curieux le John,
il la cherche. Mais ne la trouve pas. Sur un rythme enjoué, on le voit déambuler en quête de la mystérieuse Jane qui n'a pas l'ombre d'une idée de l'existence de ce Tarzan anglais de
pacotille. Deux semaine plus tard, il rencontre une jeune femme qui lui plait tout comme il faut et devant tant d'appats, en oublie jusqu'à lui demander son nom. Comble de chances, c'est
bien la Jane dont il s'enquèrrait dont il tamponnera bientôt le coquillard. Il appelle la compagnie du téléphone qui lui donne son numéro. Il l'appelle. "Would she see me tonight ? Yeah,
that was allright." Et hop, emballé, c'est pesé, Papa dans Maman, le beurre dans la crémière. Je vous rappelle que nous sommes en 1968.
À la lueur de la chanson suivante saupoudrée d'un orgue délicat, d'un souffle de guitare d'une grande dignité et
de la voix encore chevrotante des efforts de la nuit dans son amour naissant, brûlant tel le poêlon juste sorti du four, on peut donc conclure que John a conclu.
"There was nothing like that first time alone with you. Your bed was so soft with
your sweet whispering, your fingers explore my burning skin, gentle as a butterfly". Il est in love. Raide dingue.
Cruelle désillusion car dans la chanson suivant "Long gone midnight", la poulette
s'est éclipsée et le cri de désespoir de John résonne encore dans le canyon tant il aurait aimé ne pas être vivant car c'est trop dur, il a le cœur déchiré et tout ça à cause de Jane qui
est partie s'accrocher à une autre liane, oyoyoyoo. Mais n'oublions pas, on est en toujours en 1968. Année pré-érotique mais érotique un peu malgré tout.
Et voilà, les vacances sont déjà finies. À peine le temps de ne rien branler dans un canyon, de se balader sur
Sunset, de se taper deux greluches, quelques acides et un bœuf avec des potes que le devoir vous rappelle dans la mère patrie. Amer, parti ou quasi, John clot le bal d'un tambourin indien
lancinant accompagné d'une guitare, d'un fond d'orgue qui va et vient comme le reflux des vagues sur la plage de Santa Monica. Back in the UK. Dommage qu'il n'ait pas été Russe, ça aurait
fait une bonne chanson.
L'année suivante, John Mayall décidera d'aller s'installer définitivement à
Laurel Canyon pour jouer avec des musiciens de blues du pays du blues. Il y restera jusqu'en 1979, date à laquelle sa maison construite de ses mains sur les hauteurs du canyon brûlera avec
les archives de toute sa vie. Un vie de bluesman, quoi.
Blues from Laurel Canyon est un hymne au blues, pur, dur, celui de la joie, des
peines, des coups et des rires en une seule journée. C'est un voyage avec Mayall dans la Californie de l'époque où tout n'était qu'amour et eau fraîche. Une retraite au flambeau blues et
psychédélique qui fait toujours mon bonheur longtemps après l'avoir découvert et qui, j'espère, un jour, fera le votre si je n'ai pas trop mal fait mon boulot.