Violation par la France du droit au logement des gens du voyage (Comité européen des droits sociaux, DBFR, 20 octobre 2009, Centre européen des droits des Roms - CEDR)

Publié le 03 mars 2010 par Combatsdh

Selon le communiqué de presse du Comité européen des droits sociaux, “dans une décision rendue publique le 27 février dans la réclamation collective Centre européen des droits des Roms (CEDR) c. France (n° 51/2008), le Comité européen des Droits sociaux a dit qu’il y a violation du droit effectif au logement des gens du voyage entraînant leur exclusion sociale et une discrimination (création insuffisante d’aires d’accueil, mauvaises conditions de vie et dysfonctionnements des aires d’accueil, absence de possibilités d’accès à des logements permanents et violences injustifiées pratiquées lors des expulsions des aires d’accueil) en violation de l’article 31§§1 et 2, de l’article E combiné avec l’article 31, de l’article 16 et de l’article E combiné avec l’article 16, de l’article 30, de l’article E combiné avec l’article 30 et de l’article 19§4c de la Charte révisée.

Le rapport insiste notamment sur “le Droit à un abri adéquat pour les enfants en situation irrégulière sur le territoire d’un Etat aussi longtemps qu’ils relèvent de sa juridiction (et sur) l’interdiction de les expulser de l’abri car cela les priverait de toute défense et serait contraire au respect de leur dignité humaine.”

(Le Monde du 12 décembre 2007)

- Présentation résumée de la décision en PDF

- Décision sur le bien-fondé en PDF

“COMITE EUROPEEN DES DROITS SOCIAUX (CEDS) : violation par la France du droit au logement des gens du voyage”,

Organe d’origine COMITE EUROPEEN DES DROITS SOCIAUX
Décision
Type Décision sur le bien-fondé
Date 20/10/2009

Niveau d’importance 1*
Conclusion Article 31§1, non applicable ; violation de l’article 31§2 ; violation de
l’article 17§1.c, article E, pas applicable
Opinion séparée Non
Publiée dans Procédure de réclamations collectives : décisions de bien-fondé
Réclamation
Numéro / Intitulé 47/2007 – Défense des Enfants International (DEI) c. Pays Bas
Etat défendeur PAYS BAS
Date d’enregistrement 04/02/2008
Articles 11, 13, 16, 17, 30, 31 et E

Droit à un abri adéquat pour les enfants en situation irrégulière sur le territoire d’un Etat aussi longtemps qu’ils relèvent de sa juridiction ; interdiction de les expulser de l’abri car cela les priverait de toute défense et serait contraire au respect de leur dignité humaine.


“Questions préliminaires
A- Rôle du Comité européen des droits sociaux (en réponse aux observations du
gouvernement)

Il résulte clairement du texte-même du Protocole prévoyant un système de réclamations collectives que seul le Comité européen des droits sociaux peut juger si une situation est en conformité ou non avec la Charte. Il en va ainsi dans le cas de traités qui ont instauré un organe de régulation, qu’il soit juridictionnel ou quasi-juridictionnel, chargé d’apprécier la conformité des situations des Etats parties au traité. Le rapport explicatif au Protocole précise d’ailleurs explicitement que le Comité des Ministres n’a pas la faculté de remettre en cause l’appréciation juridique du Comité. Il a la faculté de décider seulement d’y ajouter ou non une recommandation à l’encontre de l’Etat concerné. Le Comité des Ministres, lorsqu’il décide d’utiliser cette faculté, peut certes tenir compte de considérations d’ordre économique et social dans la motivation de l’éventuelle recommandation mais pas remettre en cause l’appréciation juridique (Confédération française de l’Encadrement (CFE-CGC) c. France,
réclamation n° 16/2003, décision sur le bien-fondé du 12 octobre 2004, §§ 20 et 21).


B - Droits de l’enfant au titre de la Charte révisée
La Charte sociale européenne garantit à chaque enfant – c’est-à-dire aux personnes âgées de moins de 18 ans – un nombre important de droits fondamentaux. La Charte considère tout d’abord les enfants comme sujets de droits à part entière dont la dignité d’êtres humains appelle une pleine garantie de tous les droits fondamentaux reconnus aux adultes. De plus, leur situation spécifique, qui conjugue fragilité, autonomie limitée ainsi que potentiel d’évolution et d’accession à l’âge adulte, implique que les Etats leur reconnaissent des droits spécifiques, tels que ceux consacrés dans les dispositions ci-après de la Charte:


– droit à un abri (article 31§2),
– droit à la santé (articles 8, 11, 7, 19§2),
– droit à l’éducation (articles 9, 10, 15, 17, 19§§11-12),
– protection de la famille et droit au regroupement familial (articles 16, 27, 19§6),
– protection contre les dangers et l’exploitation (articles 7§1, 17),
– interdiction du travail des enfants de moins de 15 ans (article 7§1 et §3),
– conditions de travail spécifiques pour les travailleurs entre 15 et 18 ans (article 7).


Le Comité tient compte de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, en reprenant l’interprétation qu’en donne le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies (voir OMCT c. Irlande, réclamation n° 18/2003, décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2004, § 61) lorsqu’il statue sur la violation alléguée de tout droit de l’enfant établi par la Charte. En particulier, le Comité s’estime lié par l’obligation internationalement reconnue d’appliquer le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant : « Chaque institution ou organe législatif, administratif ou judiciaire est tenu de se conformer au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant en se demandant systématiquement comment les droits et les intérêts de l’enfant seront affectés par ses décisions et ses actes – par exemple, par une loi ou une politique proposée ou déjà en vigueur, une mesure administrative ou une décision judiciaire, y compris celles qui n’intéressent pas directement les enfants mais peuvent avoir des répercussions sur eux » (Observation générale n° 5, document CRC/GC/2003/5, §§ 45-47),


C- Interprétation du paragraphe 1er de l’Annexe relatif au champ d’application de la Charte révisée en termes de personnes protégées

La Charte a été élaborée comme un instrument de droits de l’homme destiné à compléter la Convention européenne des droits de l’homme. Elle est un instrument vivant, voué à certaines valeurs qui l’inspirent: la dignité, l’autonomie, l’égalité, la solidarité (FIDH c. France, réclamation n° 14/2003, décision sur le bien-fondé du 8 septembre 2004, § 27) et d’autres valeurs généralement reconnues. La Charte doit être interprétée de manière à donner vie et sens aux droits sociaux fondamentaux (FIDH c. France, réclamation n° 14/2003, décision sur le bienfondé du 8 septembre 2004, § 29).
Le Comité interprète la Charte à la lumière des règles énoncées dans la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, notamment son article 31§3(c), qui dispose qu’il doit être tenu compte de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ». La Charte ne peut en effet être interprétée en vase clos. Elle doit, dans la mesure du possible, être interprétée en harmonie avec les autres règles du droit international dont elle fait partie, notamment en l’espèce celles qui concernent la mise à disposition d’un abri approprié à toute personne dans le besoin, qu’elle soit ou non en situation régulière dans l’Etat en question.
Il convient de suivre une approche téléologique pour l’interprétation de la Charte, c.-à-d. qu’il faut rechercher l’interprétation du traité la plus propre à atteindre le but et à réaliser l’objet de ce traité, et non celle qui donnerait l’étendue la plus limitée aux engagements des Parties (OMCT c. Irlande, réclamation n° 18/2003, décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2004, § 60). Il en résulte notamment que les restrictions apportées aux droits doivent être interprétées strictement, c.-à-d. comprises d’une manière qui laisse intacte l’essence du droit en question et permette d’atteindre l’objectif général de la Charte (FIDH c. France, réclamation n° 14/2003, décision sur le bien-fondé du 8 septembre 2004, §§ 27-29). En outre, la restriction figurant au
paragraphe 1er de l’annexe concerne un large éventail de droits sociaux et les affecte diversement (FIDH c. France, réclamation n° 14/2003, décision du 8 septembre 2004, § 30).
Cette restriction ne doit pas produire des conséquences préjudicielles déraisonnables lorsque la protection des groupes vulnérables est en jeu.
Par conséquent, pour chaque violation alléguée, le Comité détermine au préalable si le droit invoqué s’applique à la catégorie de personnes vulnérables concernée, à savoir les enfants en situation irrégulière aux Pays-Bas.


PREMIERE PARTIE : VIOLATION ALLEGUEE DU DROIT AU LOGEMENT
i. Sur la violation alléguée de l’article 31§1 pour dénis d’accès a un logement d’un niveau suffisant aux enfants en situation irrégulière aux Pays-Bas.

Au regard du droit international, les Etats ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des ressortissants étrangers de leur territoire (voir, mutatis mutandis, Cour européenne des droits de l’homme, Moustaquim c. Belgique, arrêt du 18 février 1991, Série A n° 193, p. 19, § 43, et Cour européenne des droits de l’homme, Beldjoudi c. France, arrêt du 26 mars 1992, Série A n° 234-A, p. 27, § 74). Le fait que les Pays-Bas traitent différemment les enfants présents sur leur territoire selon qu’ils sont en situation régulière ou irrégulière est donc justifié.
Cependant le souci des Etats de déjouer les tentatives de contourner les règles d’immigration ne doit pas priver les mineurs étrangers, de surcroît non accompagnés, de la protection liée à leur état. Il y a donc nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et les impératifs de la politique d’immigration des Etats (voir, mutatis mutandis, Cour européenne des droits de l’homme, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, arrêt du 12 octobre 2006, § 81).
Au regard de l’article 31§1 (droit à un logement d’un niveau suffisant), la fourniture temporaire d’un hébergement ne peut être tenue pour une solution adéquate et il faut proposer aux intéressés un logement d’un niveau suffisant dans des délais raisonnables (CEDR c. Italie, réclamation n° 27/2004, décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005, § 35, et CEDR c. Bulgarie, réclamation n° 31/2005, décision sur le bien-fondé du 6 décembre 2006, § 34). Un logement d’un niveau suffisant au regard de l’article 31§1 signifie un logement salubre et sain, c.-à-d. disposant de tous les éléments de confort essentiels : eau, chauffage, évacuation des ordures ménagères, installations sanitaires, électricité, présentant des structures de sécurité, non surpeuplé et assorti d’une garantie légale de maintien dans les lieux (Conclusions 2003, Article 31§1, France et FEANTSA c. France, réclamation n° 39/2006, décision sur le bien-fondé, 5 décembre 2007, § 76).
Les objectifs de la politique d’immigration des Etats ne sauraient être conciliés avec leurs obligations en matière de droits de l’homme si l’on déniait aux enfants, quelle que soit leur situation au regard de la résidence, une protection minimale et si leurs conditions de vie intolérables n’étaient pas prises en compte. En ce qui concerne l’article 31§1, le déni d’un logement d’un niveau suffisant, qui suppose une garantie légale de maintien dans les lieux au profit des enfants en situation irrégulière, n’entraine pas automatiquement un refus d’accorder
une protection minimale nécessaire pour éviter que les intéressés ne vivent pas dans des conditions intolérables. En outre, exiger d’un Etat partie qu’il mette à disposition un logement permanent serait contraire à l’objectif de la politique d’immigration, qui consiste à encourager les personnes en situation irrégulière à retourner dans leur pays d’origine.
Par conséquent, les enfants en situation irrégulière présents sur le territoire d’un Etat partie n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 31§1.
ii. Sur la violation alléguée de l’article 31§2 pour incapacité à prévenir ou réduire l’état de sans-abri faute de fournir un abri aux enfants en situation irrégulière aux Pays-Bas aussi longtemps qu’ils relèvent de la juridiction de ce pays
L’article 31§2 (prévention et réduction de l’état de sans-abri) vise spécifiquement des catégories de personnes vulnérables. Il exige des Parties qu’elles s’engagent à réduire progressivement l’état de sans-abri en vue de l’éliminer. Pour diminuer le nombre de sansabri, des mesures d’urgence et à plus long terme s’imposent ; elles consistent notamment à leur fournir immédiatement un abri et à mettre en place des dispositifs pour les aider à surmonter leurs difficultés et ne pas y retomber (Conclusions 2003, Italie, article 31 et FEANTSA c. France, réclamation 39/2006, décision sur le bien-fondé, 5 décembre 2007, § 103).
Le droit à un abri est étroitement lié au droit à la vie et est crucial pour le respect de la dignité humaine de tout individu. Si tous les enfants sont vulnérables, le fait de grandir dans la rue les prive de toute défense. Le déni du droit à un abri leur serait donc préjudiciable.
Les enfants, quelle que soit leur situation en termes de résidence, entrent dans le champ d’application personnel de l’article 31§2.
Il n’existe pas d’obligation légale de fournir un abri aux enfants en situation irrégulière aux Pays-Bas aussi longtemps qu’ils relèvent de leur juridiction. De plus, aux termes de l’article 43 de la loi de 2000 sur les étrangers, à l’expiration du délai fixé par la Loi relative à l’organisation centrale de l’accueil des demandeurs d’asile ou par toute autre disposition légale régissant les prestations en nature, les agents chargés du contrôle des étrangers peuvent les contraindre à quitter le logement ou la place dans le foyer d’accueil qui leur a été fourni à titre de prestation en nature.
L’article 31§2 vise à empêcher que des personnes vulnérables soient privées d’abri, et ne subissent les conséquences liées à cet état sur leur sécurité et leur bien-être (Conclusions 2005, Norvège, et CEDR c. Italie, réclamation 27/2004, décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2005, § 18). Lorsque les catégories vulnérables concernées sont des enfants en situation irrégulière sur le territoire d’une Partie comme en l’espèce, il faut, pour prévenir l’état de sans-abri, que les Etats fournissent un abri aussi longtemps que les enfants relèvent de leur juridiction. Par ailleurs, des solutions alternatives à la détention devraient être recherchées afin de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les Etats parties doivent, au regard de l’article 31§2, fournir un abri adéquat aux enfants qui se trouvent en situation irrégulière sur leur territoire aussi longtemps qu’ils relèvent de leur juridiction. Toute autre solution serait contraire au respect de leur dignité humaine et ne tiendrait pas dûment compte de la situation particulièrement vulnérable des enfants. Tel n’étant pas le cas en l’espèce, la situation des Pays-Bas est contraire à l’article 31§2.

DEUXIEME PARTIE : SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 17 POUR NON ADOPTION DES MESURES APPROPRIEES ET NECESSAIRES POUR ASSURER UNE PROTECTION ET UNE AIDE SPECIALE DE L’ETAT AUX ENFANTS EN SITUATION IRREGULIERE AUX PAYS-BAS EN LEUR REFUSANT LE DROIT A UN ABRI
Les enfants, quelle que soit leur situation au regard de la résidence, relèvent du champ d’application personnel de l’article 17 (FIDH c. France, réclamation n° 14/2003, décision sur le bien-fondé du 8 septembre 2004, § 30 et § 32).
L’article 17§1.c exige des Etats qu’ils prennent les mesures appropriées et nécessaires pour assurer une protection et une aide spéciale aux enfants temporairement ou définitivement privés du soutien familial. Aussi longtemps que perdure leur présence irrégulière aux Pays- Bas, les enfants visés dans la présente affaire se trouvent privés de soutien familial en ce qu’ils ne peuvent, de par la loi (voir article 10 de la loi sur les étrangers), prétendre aux prestations ou aides qui entre autres leur garantiraient un abri.
A ce sujet, les obligations liées à la fourniture d’un abri au titre de l’article 17§1.c sont identiques, en substance, à celles liées à la fourniture d’un abri au titre de l’article 31§2. Le Comité ayant jugé qu’il y avait violation de l’article 31§2 au motif qu’un abri n’était pas garanti aux enfants en situation irrégulière aux Pays-Bas aussi longtemps qu’ils relevaient de la juridiction de cet Etat, considère qu’il y a également violation de l’article 17§1.c de la Charte révisée pour ce même motif.

TROISIEME PARTIE : SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE E EN COMBINAISON AVEC LES ARTICLES 31 ET 17
L’interdiction de la discrimination inscrite à l’article E prévoit l’obligation de veiller à ce que tous les individus ou groupe d’individus entrant dans le champ d’application personnel puissent jouir des droits de la Charte sur un pied d’égalité.

Le principe d’égalité qui transparaît dans l’interdiction de la discrimination, implique d’assurer un même traitement aux personnes se trouvant dans la même situation et de traiter de manière différente des personnes en situation différente (Autisme-Europe c. France, réclamation n° 13/2002, décision sur le bien-fondé du 4 novembre 2003, § 52). Les Etats parties peuvent donc traiter différemment des individus selon qu’ils sont en situation régulière ou non. La dignité humaine, qui est au coeur du droit positif des droits de l’homme en Europe, doit toutefois être respectée.
En l’espèce, la question telle qu’elle est soulevée par l’organisation réclamante ne concerne pas l’égalité de traitement des enfants en situation irrégulière par rapport aux enfants en situation régulière. Elle porte en réalité sur le point de savoir si cette catégorie de personnes peut revendiquer des droits au titre de la Charte et dans quelles conditions. Tel n’est pas l’objet de l’article E.
Pour les motifs ci-dessus, l’article E ne s’applique pas en l’espèce.”