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Il arrive que l'Histoire se souvienne davantage des seconds que des premiers. Voire même des troisièmes ou quatrièmes. Prenez le BBC Sound of 2009, tiens. Little Boots, arrivée en tête, a eu une année 2009 en demi-teinte, deçevant par son manque de dynamisme et de charisme, tandis que Florence + The Machine (3e), La Roux (5e) et surtout Lady Gaga (6e), explosaient au Royaume-Uni ou ailleurs (enfin, surtout la dernière). Possible donc d'éspèrer que le Raymond Poulidor du classement 2010 puisse à son tour arriver sous les spotlights - et ce serait loin d'être surprenant, tant Marina livre avec The Family Jewels un album assez hors-normes, loin des dictats pop habituels. Puisqu'apparement aucune critique ne peut faire sans mentionner Kate Bush lorsqu'il s'agit de cet album, on préfère s'en débarasser de suite. Donc voilà, on a parlé de Kate Bush. Pour le reste, c'est un album pop dans le sens le plus profond du terme; il n'y a qu'à constater les thèmes abordés: société de consommation, américanisation du monde, relations qui partent en vrille, féminisme latent et perpétuelle théatralisation. A-t-on déjà fait plus actuel?
Marina, faut le dire, doit agacer autant qu'elle impressionne. Sa façon de chanter, assez particulière et théâtrale (cf: ci-dessus) pourrait lasser, sur le long terme. Mais si l'on est si unanimes, c'est parce que c'est avant tout original et tellement rare dans un monde musical aujourd'hui vocodé à l'extrême. C'est vrai qu'il y a un petit côté vintage, réminescent des années 80 (il n'y a qu'à regarder la pochette de l'album), avec cette pop très franche, très directe, et emplie de gimmicks et de gros refrains chantés à tue-tête. Peut-on vraiment s'en plaindre?Vous l'avez compris, on est charmés, c'est pourquoi on s'est un peu battus pour décrocher l'honneur de faire la critique de cet album. Et puis finalement, comme on aime bien innover, on s'est entendus sur une critique à quatre mains (expression qui m'a toujours perturbé, n'écrivant que de la main droite, bref). Voilà donc non pas un mais deux points de vue sur The Family Jewels. Parce que quand on aime on ne compte pas.
Pour vous y retrouver, Stef a commenté les titres en violet, Romain en orange. Les ajouts en italique sont faits par celui qui n'est pas le commentateur. C'est bon, vous suivez?
ARE YOU SATISFIEDAre you satisfied est déroutante, par son premier couplet, d'abord - et puis ces paroles! Direct, histoire de nous montrer un peu qui elle est, Marina commence par nous parler du jour où elle a signé son contrat. Ca calme. Mais aussi et surtout déroutante par le contraste entre les refrains, très chantés (oui, on peut chanter et très chanter, c'est différent (Stef très chante très bien, d'ailleurs)), et les couplets quasiment parlés, voire le rap des bridges, et c'est quelque chose qu'on va retrouver dans tout l'album, ce côté un peu excessif de la voix de Marina. Mais je ne peux nier une étrange envie de remuer mon bassin en écoutant cette chanson, avec un air taquin, façon Lily Allen. Je ne vous ai pas montré mon imitation de Lily ? (oh ouii!) Ah.
SHAMPAINOn oubliera d'entrée la faute d'orthographe du titre (volontaire ou pas, on s'en fout, on est un peu maniaques) et on se laissera porter par le refrain ABBA-esque, qui est THE point fort du titre, très propice au sing-along (à défaut de trouver un terme aussi sympa en français) . On y retrouve ce côté très actuel des thèmes de Marina (bon, champagne, etc) mais avec cette tournure classe et étrange à la fois, comme si elle s'éloignait volontairement des lieux communs ("youhou, on est en boîte, la musique est kiffante, on boit du champagne à la bouteille"). Ici, le champagne est "céleste", quand même. Nul besoin de vous dire que l'électro-pop teinté d'une certaine tristesse (il n'y a que moi pour sentir un côté nostalgique dans le titre? En fait non, et ça me permet de rebondir sur ta remarque concernant une faute d'orthographe dans le titre. J'y vois, personnellement, un jeu de mots Shampain / Pain (pas mal j'avais pas percuté). Une sorte de chanson joviale, qui cache en fait un sens plus "mélancolique". Et non, je ne me drogue pas) ferait un single par-fait.
I AM NOT A ROBOTI am not a robot est une des chansons qui m’a donné envie deme pencher sur Marina, il y a de cela quelques mois. Je garde un souvenir tout ému (oui bon, ça va) de ma découverte de ce titre, avec son clip si… brillant(au sens littéral du terme) (le maquillage pailleté m'avait aussi marqué! Mon côté travelo libanais, sûrement). Même maintenant, il reste un titre que j’apprécie énormément mais qui s’incline, à mon sens, face au reste de l’album. Pas tout le reste, bien sûr, mais une large partie. Je dirais peut-être qu'il pêche par son côté trop répétitif et un poil too much ("a roboooooooot"). Reste le pont, superbe de simplicité, avec ce "vulnerable" assez hallucinant (ça m'a pris trois mois pour comprendre ce qu'elle disait).
GIRLSUn titre qui se démarque beaucoup dans l'album, parce que y'a un certain constraste entre la musique (et cette intro!), presque grave, et le propos du titre, qui traite de la futilité des filles (bien mis en avant par le rire de greluche du début). Marina y explique qu'elle n'est pas comme les autres filles (même si elle chante avec cette voix suraigue!), arguant "mange ton yogurt tandis que je me tape une tarte aux pommes". On passera sur une possible mention des Girls Aloud (greluche power! une fois encore) pour signaler que c'est sûrement un des titres les plus jouissifs et les plus drôles, même si le propos a sûrement déjà été traité de très nombreuses fois. Un côté facile mais comme c'est efficace! Tout est dit ici, mais j'ajouterais que ce titre me donne une furieuse envie de danser la polka à Saint Petersbourg.
MOWGLI'S ROADMowgli’s road s’inscrit dans la catégorie « titres déjantés de Marina » en plus de s’inscrire dans celle des « titres qu’on connaissait déjà, de Marina ». Et je suis bien obligé d’avouer qu’il serait particulièrement difficile de l’oublier, ce titre. Un gimmick «cuckoo» (on a pas dit déjanté pour rien, nos lecteurs bilingues comprendront qu'être "cuckoo", c'est être maboul) pour ouvrir la chanson, ça vous frappe tout de suite à la tête - sans faire de mal. Ajoutez à cela une interprétation très théâtrale de la chanson (une façon de chanter très « Marina », me direz-vous) et on arrive (tout doucement, mais on y arrive) à Mowgli’s Road. Je peux comprendre cependant que ce soit passé inaperçu: c'est véritablement le titre le plus décalé de l'album.
OBSESSIONSAprès avoir lu plusieurs critiques, ce titre ressort souvent (pour eux) comme un des plus faibles de l'album (un des meilleurs, pour moi), pêchant peut-être par son manque de phrases gimmicks si chères à Marina ("It's my problem, it's my problem...", "I am not a robooot", "Oh My God! ...", etc, heureusement, le charme de l'album ne se limite pas à ça). Moi j'en crie de joie, parce que ça montre un autre côté de Marina, dans ce refrain sublime (la façon dont elle dit "obsessions", LOVE (là, un terme français existe : "ON ADORE", mais bon)) qui montre une facette plus simple, moins théâtrale tiens, de la chanteuse. Le titre est aussi une occasion de montrer l'étendue des thèmes que Marina exploite, puisque tout y est un peu condensé (société de conso, amours difficiles & néo-féminisme).
HOLLYWOODCa y est, on y est ! Hollywood, le titre qui a été un vrai déclic lorsque je l’ai découvert en même temps que le clip arrive enfin. Ajouter un providentiel "OH-MY-GOD!" nous parait donc ici tout indiqué (Marina a démocratisé l'expression sur HM, c'est décidé). On va tout de suite commencer par ce qui fâche : c’est quoi, cette version album ? (OH OUI! Romain pas content non plus!) La chanson ressort boiteuse des modifications entreprises, ce qui est plutôt contrariant. Bon, faisons abstraction de ce détail (qui n’en est pas un, certes), et concentrons-nous sur le caractère absolument tubesque du titre, qui nous donne envie de gambader dans les bois, juste vêtus d’un drapeau américain (ou alors juste avec des paillettes sur soi pour cacher ce qui est à cacher, non?). Oui, alors effectivement, le clip original est beaucoup plus réussi que ces images un peu crades que vous avez en tête, là. Mais on a le mérite d’imaginer des clips alternatifs, nous. (http://www.stefprod.com/)
THE OUTSIDERAlors là, ALORS LA! (c'était ma façon de montrer mon amour imodéré pour ce titre). Evidemment l'un des plus inspirés 80's, mais surtout l'un des plus beaux. On sait que Marina cartonne sur les up-tempos, mais le début de ce titre, avec cette première phrase qui atteint une quasi perfection, montre que Marina est une chanteuse de titres doux extra. Je surkiffe le thème, qui parle d'une certaine déconnection face aux autres, ce sentiment de toujours avoir l'impression d'être "l'outsider". Les synthés rythment le titre, on a les hanches qui frétillent. Rarement titre pop 2010 n'avait rassemblé autant de colère sous-jacente ("I'm a fucking wiiiiildcard") et de justesse. Le refrain reste en tête, indéniablement. Pour moi c'est un des titres à souligner au stabilo. Voilà. Si j'avais mis 5 titres dans mon top3, comme l'a fait Romain, ce titre eut été mon #4. Peut être grâce à son côté très 80's (pour le meilleur des années 80's, donc Jeanne Mas, tu sors, on ne t'a pas appelée.)
HERMIT THE FROGHermit the frog était, à la base, le titre le plus intriguant, à la lecture des titres de chansons qui composent l’album. Et avec ses quelques notes très orientales en guise d’ouverture, des petits cris bien placés (y'a que moi qui attendait des croassements de grenouilles?) juste avant le refrain qui est, étonnamment, très « parlé », le titre intriguant ne fait donc pas office de publicité mensongère. Au final, on se retrouve donc avec un titre efficace, original, mais avec un côté potentiellement lassant assez élevé par rapport au reste de l’album. Donc, pour faire simple,on kiffe, mais pas en single, ok ? Surtout que ça manque un peu d'accroche, un peu. Un joli titre, un peu mystérieux, un peu puzzle, et un peu fainéant peut-être par rapport au reste de l'album.
OH NO!Vous le savez, on l'a dit, on l'a consacrée chanson du jour, les 9/10e des critiques sont d'accord avec nous: Oh no! est LA bombe de l'album (oui oui !), le single potentiel (y a plutôt intérêt) qui pourrait faire exploser (?) Marina, pour qu'elle passe de "fille in mais under the radar" à "fille in et qui cartonne", un peu comme ce que You've got the love a fait pour Florence. Résumé du titre en quelqes mots: fun, vraiment comique, plein de phrases et de mots répétés ("I just wanna change / Life has no appeal") qu'on peut apprendre à l'école et chanter à tue-tête, un pur sans-fautes qui vous restera dans la tête durant trois jours. Un peu aussi le paroxysme de la Marina qui articule beaucoup et qui part en freestyle d'envolées aigues. Un peu beaucoup réprésentatif de l'album, en fait. En un mot, génial.
ROOTLESSMa première écoute de Rootless m’avait laissé sur ma faim: je crois que j’étais ressorti abasourdi de l’enchainement de tubes jusque là. Finalement, Rootless s’apprécie au gré des écoutes. On en vient même à trouver à ce titre un côté très mélancolique parfait pour nous calmer après nos tribulations précédentes (imitation de Lily Allen, exhibitionnisme dans les bois, etc). Validons, validons. Perso je vois le titre comme une sorte de Numb en moins magique, mais les paroles restent super intéressantes, et ça a sûrement été placé sur l'album pour une raison. Est-ce que Marina n'essaierait pas de nous dire, justement, que dans cette culture pop & m'en-foutiste dont elle a tant parlé dans The Family Jewels, chacun se sent un peu "perdu"?
NUMBCette chanson me fout un peu les poils, pour parler crûment. Ca commence doucement, au piano, comme un joli petit titre sympa, avant de partir dans un pont simple mais que j'adore ("I feel numb most of the time") qui lui-même amène à un refrain assez fabuleux. Il y a un côté quasi religieux dans les "shiiiine" qui résonnent, comme portés par l'écho des murs d'une cathédrale. Exactement comme ce que les paroles décrivent, le titre mène l'auditeur dans un vrai grand huit d'émotions, joie, tristesse, tous mêlés. Encore une fois un titre qu'on a l'impression de trouver sous-estimé, mais qui mérite ses étoiles (la fin est sublime, qui plus est). Sous-estimé, peut être de par sa position dans l'album, en fait. Il vient après un si grand nombre de tubes qu'on l'écoute presque d'une oreille distraite. Je vois en ce titre le potentiel du morceau qui termine l'exploitation de l'album : peut-être pas LE succès de l'année, mais la chanson qui reste dans les esprits jusqu'à l'album suivant.
GUILTYOn a eu peur - à la lecture du titre, on avait cru entrevoir une ballade. Et comme chacun sait, terminer un album par trois ballades d'affilée est passible de mauvais goût et/ou facilité. Heureusement pour nous, Guilty est non seulement un mid-tempo, mais c'est surtout loin d'être le moins bon titre de l'album. A priori plus personnel, le titre plonge véritablement dans les tréfonds de l'âme humaine, avec ce sentiment insatiable de culpabilité. On a envie de se dire que cette histoire de père qui est parti ne s'applique pas à Marina puisque c'est à son père qu'elle dédie l'album (oui, nous avons l'album, LE VRAI!). C'est en tout cas tout en délicatesse et en sous-entendus, porté par ces "guilty" qui font un peu mal au coeur. Je crois que l'expression c'est terminer en beauté, c'est ça? (Stef étant parti faire pipi, il s'abstiendra de commenter ce dernier titre)
Pour conclure, je crois que tout le monde a désormais compris que cet album n'est tout simplement pas un de ces premiers albums largué sans grande conviction par une pop star en mal de talent. Parce que du talent, Marina en a, et à revendre. En plus d'être très bonne chanteuse (gavante ou pas, il faut aller les chercher, ces high notes) elle est surtout très talentueuse lorsqu'il s'agit de répérer ces refrains pop qui entreront dans l'oreille (et le cerveau) des auditeurs sans jamais en ressortir. On sent une vraie envie, et de vraies choses à dire. Pop, ça l'est définitivement, pour toutes les raisons qu'on a évoqués plus haut: c'est 100% actuel, dans l'air du temps, conscient de l'époque à laquelle nous sommes, et prenant position ("vive les femmes modernes!"). Peut-être pas une grande gueule, mais on est pas loin. Trouvez-nous d'autres chanteuses qui parviennent à mêler paroles intéressantes, inspirations eighties, gimmicks personnels et efficacité imparable des mélodies, et on vous dira que Marina n'est qu'une parmi tant d'autres. D'ici là, puisque ça ne nous semble pas prêt d'arriver, permettez-nous d'ériger cet album comme l'un des tout meilleurs de 2010 pour l'instant. C'est officiel: 2010 sera Marina ou ne sera pas (à condition qu'elle sorte Oh no!, ceci dit).
Notre top 5: Oh no! / Shampain / The outsider / Hollywood / Numb