Scorsese joue avec nos sens. Et avec sa filmographie. Le maître de l’histoire américaine se tente à la disgression en s’aventurant dans le conte fantastique, mais en ne s’éloignant pas beaucoup de ses thèmes de prédilection : l’Amérique, l’homme et ses démons.
1954, l’île de Shutter est un endroit où sont soignés les criminels les plus cinglés. Le marshall Daniels et son nouvel équipier y débarquent pour enquêter sur la disparition d’une des patientes. Ce qu’ils vont découvrir dépasse l’imagination.. C’est simple, mais efficace. Shutter Island ne brille pas par son originalité, mais est d’une redoutable efficacité en la matière. Enquête oblige, on découvre donc cette île peuplé de malades violents et de gardiens sur les nerfs. Dans ce climat plutôt tendu vient s’abattre une redoutable tempête qui va redistribuer au moins pour un temps les cartes du pouvoir, et les chemins vers la vérité qu’empruntera Daniels, lui même habité par ses propres drames, des camps de la mort de la Seconde Guerre Mondiale au suicide de sa femme. N’en disons pas plus, Shutter Island repose sur une aura de mystère planant sur le dénouement de ces deux heures et quart. Ne cherchez pas trop loin, l’énigme est classique pour les fans du genre, mais portée par une équipe hors norme s’avère terriblement efficace.
On ne présente plus Martin Scorsese, réalisateur historique et habitué des grandes sagas contemporaines. Shutter Island n’y fait pas défaut, même si son incursion dans un registre plus typé (le thriller légèrement fantastique) aurait pu constituer une erreur. Au contraire, on découvre immédiatement que le film fait suite à ses derniers succès. On plonge dans l’histoire des Etats-Unis, année 1954. Son héros, un ancien soldat de la Seconde Guerre Mondiale qui a vécu la libération des camps de la mort, est traumatisé par le suicide de sa femme. Marshall de son état, il part en plus enquêter sur une île perdue renfermant son lot de détraqués et de violents. Voilà un homme marqué par son époque, et définitivement à la recherche de quelque chose. On le suivra se perdre progressivement sur Shutter, en découvrir les aspects les plus sombres, le casting majestueux (Ruffalo, Von Sydow, Kingsley!) et tenter d’en sortir une certaine vérité. Le film ne surprendra pas par son originalité, on peut quasiment découvrir la fin dès la bande annonce, mais Scorsese sait broder une dernière demi heure en constante progression, d’un rythme croissant jusqu’aux dernières minutes révélatrices qui laisseront quelques spectateurs sur le carreau. On en ressort le souffle coupé.
Dommage donc qu’il y ait autant de petits défauts (des incrustations bâclées, des effets ratés…) côté image, car Scorsese nous a habitué à des plans mieux préparés. Sans cela on tenait là un véritable bijou de suspense, savamment monté en puissance. La première partie, une introduction un peu bateau, tente de nous promener pour mieux nous surprendre ensuite, sans vraiment y arriver, et se rate quelque peu. Passer les premiers écueils, Shutter Island referme lentement l’étau de son histoire pour nous tenir jusqu’au final.