Chaque matin semble apporter son lot de catastrophes dans le secteur automobile. Tout a commencé avec Toyota qui publiait, vendredi 5 février, dans une vingtaine de quotidiens américains les très
rassurants propos suivants : "vous ne ressentez aucun problème avec votre accélérateur, nous avons la conviction que votre véhicule est sûr. Si votre accélérateur devient plus dur à
presser que d'ordinaire ou plus lent à remonter, contactez votre concessionnaire sans tarder". Permettez-moi une comparaison osée : si vous ne ressentez aucun problème avec
votre jambe, c'est que vous êtes en bonne santé. Mais si vos jambes sont lourdes, alors contactez votre concessionnaire médical médecin.
Est-on certain de rassurer les utilisateurs de la sorte ? Toyota a depuis rappelé plus de 8 millions de véhicules pour des problèmes de tapis de sol, de pédale d'accélérateur et devrait
rappeler 270 000 Prius pour des problèmes de freinage.
Quelques jours plus tard, ce fut au tour de Volkswagen d'annoncer un rappel de véhicules. Le constructeur automobile allemand annonçait alors le rappel de près de 200 000 véhicules au Brésil pour
un problème dans le roulement des roues arrière des modèles Novo Gol et Voyage... qui pouvait déboucher sur un blocage des roues voire pire !
Puis ce fut le tour de Honda : le constructeur japonais a rappelé 437 763 voitures en février à cause d'un airbag défectueux, et 646 000 autres en janvier à cause d'un lève-vitre
électrique susceptible de prendre feu (sic !).
Et ce matin, je lisais dans le quotidien Les
Échos que le constructeur automobile japonais Nissan a annoncé "le rappel de 539.864 véhicules dans le monde, principalement aux Etats-Unis, en
raison de problèmes de freins et de jauge de carburant".
Mais que se passe-t-il donc dans le secteur automobile ? Dans le cas de Toyota, on a pu avancer de nombreuses explications :
* forte croissance aux États-Unis qui sont devenus le premier marché de Toyota. Entre 2000 et 2007, les ventes totales sont passées de 5,8 millions à 9,4 millions de véhicules, ce qui s'est
traduit notamment par de nombreuses ouvertures d'usines (58 usines en 2000, 75 en 2009). Peut-on encore gérer la rapport quantité/qualité avec une telle croissance ?
* volonté de gagner des parts de marché à tout prix en ne réagissant que très peu aux signaux avant-coureurs (problèmes de freinage sur la Prius dès 1999, problèmes d'accélération inopinée du
véhicule dès 2002,...)
* sous-traitance à des entreprises non japonaises et donc pas forcément au fait du modèle toyotiste.
* communication déplorable voire inexistante ! Il existe pourtant des sociétés de conseil en communication qui se feraient un plaisir de leur venir en aide... moyennant quelques fifrelins !
* le modèle toyotiste n'a-t-il pas déjà montré ses limites tant pour les salariés soumis à des cadences infernales qu'en termes de développement industriel ?
Pour l'ensemble des constructeurs, je pense que le problème est lié à cette volonté de gagner des parts de marché à tout prix, donc au détriment de la santé des travailleurs et parfois de la
qualité du véhicule. Lorsqu'on sait le peu de temps qui s'écoule désormais entre la conception d'un nouveau modèle et la mise sur le marché, on imagine aisément le stress qui pèse sur les
équipes. Cette volonté d'être le premier à sortir un modèle de voiture avec des courbes différentes oblige ainsi à penser plus souvent en termes mercatiques (moment du lancement, campagne
publicitaire,...) et financiers (coût et délocalisations) qu'en termes productifs...
Du reste, comment peut-on encore suivre de bout en bout l'ensemble du circuit de production attendu que les sous-traitants sont si nombreux ? A la fin des années 1980, on décida d'abandonner la
traditionnelle relation verticale donneur d'ordres/sous-traitants où le premier concevait tout et dictait les conditions marchandes aux autres. On a remplaçait ce modèle par la modularité qui
était censée permettre une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre les acteurs. Or, les constructeurs ont vite compris leur intérêt et ont donc préservé leurs sources
d'approvisionnement, en encourageant la concurrence entre équipementiers. Ces derniers ont par conséquent dû se soumettre à des règles organisationnelles imposées par les constructeurs (normes de
qualité, livraison juste-à-temps,...) et qu'ils doivent ensuite, à leur tour, imposer à des sous-traitants... On comprend immédiatement le problème que cela comporte !
L'industrie automobile traverse actuellement une double crise. Tout d'abord, son modèle économique butte sur les contraintes écologiques et sur la capacité financière limitée des ménages (la
prime à la casse ne sera pas éternelle !). Ensuite, d'un côté les constructeurs sont en train de privilégier la quantité le profit à court
terme à la qualité, tandis que de l'autre les équipementiers n'arrivent plus à pérenniser leur activité (la rentabilité moyenne des équipementiers baisse tendanciellement depuis des
années).
A trop vouloir lutter contre les maux de la crise économique, on en vient à oublier la crise structurelle de tout un secteur... Et qu'en est-il des salariés qui deviennent dès lors la variable
d'ajustement ?