Lors des dernières décennies, les entreprises ont vendu de la consommation jusqu’au servage. Elles ont acheté de la croissance pour notre bien-être individuel jusqu’à l’excès. Elles ont assuré le développement de la société jusqu’à la tyrannie. Elles ont créé des marques qui véhiculaient avec plus ou moins de conviction des promesses, des valeurs, des histoires. Dans tous les secteurs de l’économie, il y a aujourd’hui pléthore de marques interchangeables, de produits sans fondement utilitaire et/ou émotionnel, des produits de plus qui relèvent davantage de l’agitation marketing que d’une pensée innovante. Nous ne sommes pas tout à fait au bout de ce système, il y a encore ici et là des poches de résistance, des maniaques de l’extension de gammes, des ignorants de la « consumer value », des acrobates de l’innovation de façade qui habille plus qu’elle ne recouvre une nouvelle attitude à bonifier l’existant. Ou à le changer par petites touches sensibles et pertinentes.
L’innovation, tellement galvaudée par les opportunistes de l’économie casino, implique de la nouveauté, de la création, un esprit d’ouverture ; l’invention aussi, avec un petit plus, le goût de l’utopie. Aujourd’hui et demain, il s’agit/s’agira moins d’inventer un autre monde que « d’innover le réel ». Un réel qui n’est pas parfait, (le sera-t-il jamais ?), il n’est pas non plus en voie d’achèvement, malgré l’impression que nous sommes arrivés au bout de quelque chose, qu’il faudrait une rupture. Je n’y crois pas. La poussée technologique qui nous propulse dans l’univers de l’ubiquité poursuit sa route : l’humanité WiFi pendue par les ondes n’a pas achevé la dématérialisation en marche et l’attraction pour la connexion omnipotente. Idem pour la science qui s’évapore dans les tréfonds de la biotechnologie et de la nanotechnologie pour moins peser sur nos vies dont nous ne voulons pas qu’elles trébuchent.
Les objets qui encombrent notre quotidien devraient « disparaître » au profit du geste, de l’attitude, du mouvement, de la suggestion, de la pensée. « L’idée de l’avenir, grosse d’une infinité de possibles, est plus féconde que l’avenir lui-même ». Pour paraphraser Bergson, l’idée de l’objet est plus féconde que l’objet lui-même.
Les innovateurs de demain devraient repenser la fonction qui suggère l’action par une ergonomie intuitive. Apple l’a bien compris avec ces matériels qui prolongent l’usage par une gestuelle facilitatrice et un design fluide qui ne cherchent pas à asservir son utilisateur à une technologie envahissante. La firme de Cupertino n’invente rien (le Mp3, le smartphone, la tablette… ont été imaginés par d’autres), elle innove sur l’idée de l’objet, sur le potentiel de ses fonctions.
Le constructeur automobile Peugeot amorce aussi un concept d’innovation dématérialisée sur son secteur en suggérant l’idée que demain il ne produirait peut-être plus de véhicules : l’idée de l’automobilité plutôt que l’automobile. Sa nouvelle signature « Motion & Emotion » le suggère déjà : émouvoir, c’est mettre en mouvement, créer un changement dans la façon de vivre sa relation avec l’autre. Pour croire en cet espoir, la création de son service Mu by Peugeot propose de vendre un capital mobilité qui se compose de location de vélo, scooter, automobile… : le mouvement sans la contrainte du moyen de transport.
L’innovation dématérialisée ne doit pas naître du manque supposé d’un objet dont nous aurions besoin (impérativement !), mais de l’éloquence d’un usage exprimé ou non. Il ne s’agit pas d’inventer un monde décroissant comme certains le proclament, mais « d’innover un monde » qui s’effleure d’un geste de la main pour durer sans user.
Dominique Cuvillier
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