Vous entrez au Grand Palais, l'une des plus grandes nefs du monde, avec ses 20.000 m2 de béton, de fer et de verre...
Devant vous, un long mur de boîtes en fer numérotées, rouillées vous barre totalement la vue. Des urnes funéraires?
Mais déjà, vous entendez un ronronnement sourd, lancinant, que de prime abord, vous n'identifiez pas...
Passé le mur, 69 carrés composés de manteaux jetés au sol, illuminés crument par des néons blancs, vous attendent...
L'angoisse est palpable... Et renforcée par le son que vous venez de reconnaître: des battements de cœur, 69 cœurs exactement. Des cœurs de vieux, de bébés, de malades, de bien portants (ou supposés tels...).
Dans le souffle de l'un d'eux, on entend même le mot "Papa..." répété à l'infini... Mais peut-être est-ce le fruit de votre imagination?
Des images montent immédiatement à la tête, avant même les avoir pensées... Où sont les corps? Quel peuple a porté ces vêtements, usés, mais semblant presque "dignes"... Qu'est-il devenu?
Vous avancez de quelques pas, votre regard se perd dans les carrés quand alors vous levez les yeux...
Devant vous, une montagne de vêtements, peut-être des dizaines de milliers de pièces...
Elle est posée telle quelle...
D'abord, cette masse sidère... Vous vous arrêtez devant, étourdi par les couleurs, les formes... Le son ambiant est oppressant. Il fait froid car le chauffage a volontairement été oublié.
Un grappin rouge vif descend, semble hésiter au dessus de la montagne, dodeline puis ouvre sa main de fer et attrape une poignée de vêtements, au hasard... Il remonte, les lâche dans un grincement inquiétant, puis redescend et recommence, sans fin, sans finalité...
On chercherait presque des yeux d'autres montagnes, de lunettes, de chaussures...
Vous êtes pressé de sortir, de retrouver l'air libre, le bruit des voitures, le froid polaire de février...
Vous êtes de nouveau vivant...
Vous venez de vivre l'expérience "Personnes", la très impressionnante installation de Christian Boltanski, artiste contemporain majeur, dans le cadre de la manifestation Monumenta.
Comme les 2 autres artistes passés avant lui (Anselm Kieffer et Richard Serra), Boltanski ne se préoccupe pas de plaire ou simplement d'étonner. L'esthétique ou le beau n'ont rien à faire dans son oeuvre.
Il questionne de façon écrasante notre humanité, notre mémoire, le destin d'un individu (les battements de coeur) ou d'un peuple entier (la montagne).
Il travaille l'angoisse et les pourquoi comme d'autres le pinceau et la terre.
Pour en savoir plus sur l'artiste et cette œuvre, vous pouvez lire cet argumentaire.
Et aussi un billet très documenté chez P@sc@l...
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