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Traduit du suédois par Marguerite Gay et Gert de Mautort
Titre original : Barabbas
ISBN : 978-2-234-06174-3
Il n’est pour ainsi dire pas question de Barabbas dans le Nouveau Testament, tout juste quelques lignes dans les évangiles de Matthieu et Jean (qui utilise le terme de brigand) tandis Marc et Luc précisent qu’il est un séditieux et qu’il a commis un meurtre. Barabbas, c’est avant tout celui que la foule choisira de gracier quand Pilate lui demandera, qui de lui ou de Jésus elle souhaite relâcher. C’est autour de ce personnage aussi énigmatique qu’essentiel que tourne le roman éponyme de Pär Lagerkvist, racontant l’étrange destinée de cet homme après sa libération.
Tout commence sur le mont Golgotha, où Barabbas assiste à la crucifixion de Jésus, lui même étonné de se trouver là, ne sachant pas vraiment pourquoi il y assiste. Interrogation doublement soulignée, et par le biais de sa conscience, et par la question d’un garde, qui, le bousculant, lui enjoint de filer au lieu de rester traîner dans cet endroit puant et maudit. Dès les premières lignes du récit, Lagerkvist pose les bases de cette hésitation caractéristique de son personnage qui agit malgré lui, pressé de toutes parts par ce doute qui le ronge de plus en plus intensément mais dont il ne prend jamais clairement conscience.
Après la mort de Jésus, Barabbas ne parviendra jamais à effacer cet épisode de sa mémoire. Gracié, il n’a de cesse de rechercher les disciples de cet homme étrange mort sur la croix au moment où le ciel s’est assombri. Sceptique, il cherche à comprendre comment on peut être « Fils de Dieu » et accepter de mourir de la sorte.
Il ne s’agit pourtant pas du récit d’une conversion ou d’une recherche spirituelle exprimée, mis à part ce doute grandissant, il ne change que de manière imperceptible et pour des raisons qu’il ne saurait lui-même exprimer. La fin, tragique -mais pouvait-elle être autrement que tragique ?- laisse intacte la question d’une éventuelle conscience spirituelle.
Quand il sentit venir la mort dont il avait toujours eu si grand-peur, il dit dans les ténèbres, comme s’il s’adressait à la nuit : A toi je remets mon âme.
Toute l’ambiguité repose dans cette phrase, dont on se sait trop vraiment si elle s’adresse à la nuit, ou bien, en définitive, à un Dieu auquel, à force de cheminement et de questions, il aurait fini par croire. D’après la lettre d’André Gide à Lucien Maury, et comme le souligne la préface de Diane de Margerie, cette ambiguité est également présente dans le texte suédois. Il est donc impossible de douter qu’elle soit un hasard.
L’équilibre et le sens du texte tout entier repose sur cet équilibre parfait entre le récit de la vie de Barabbas, la description de cette époque et l’aspect mystique, la foi des premiers chrétiens. A l’instar de Bernanos, Lagerkvsit possède une écriture qui excelle à retranscrire les mystères et le cheminement de l’âme, mais là où Bernanos fait preuve de lyrisme, la sienne est d’une puissance sobre et âpre.
Un livre magnifique, d’une densité et d’une richesse rare, le premier mais certainement pas le dernier des romans de Lagerkvist que je lirais tant sa lecture m’a transportée.
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