Cameroun : pourquoi l'explosion de l'informel ?

Publié le 02 mars 2010 par Unmondelibre


Adolphine Dibangui – Le 2 mars 2010. Quoique l’on assiste aujourd’hui à une croissance exponentielle de l’activité économique informelle au Cameroun, et ce depuis l’adoption, par le pays, des programmes d’ajustements structurels dès 1991, suite à la crise économique de 1986 à 1994, on peut tout de même affirmer, au travers de nombreuses données historiques, que ce phénomène économique date de la période pré-coloniale.

Devant l’ampleur de ce secteur économique qui, par ailleurs, freine le développement économique du pays, on peut s’interroger sur son origine. Comment expliquer l’explosion de l’informel au Cameroun ?

L’économie de marché, instituée par la colonisation, fut transposée sur des structures essentiellement basées non pas sur les institutions du marché mais sur les rapports sociaux et communautaires, dans lesquels le droit de propriété individuelle n’était pas répandu. Par ailleurs, la colonisation, en raison de sa faible capacité à intégrer les populations locales aux nouvelles structures économiques, et étant donné les limites des infrastructures de l’éducation disponibles pour les populations (notamment la formation professionnelle), a favorisé l’expansion de l’informel. Plus tard, après les indépendances, suite à la crise économique, liée entre autres causes à la mauvaise gestion de l’Etat et ayant conduit à l’adoption par le pays des programmes d’ajustements structurels (PAS), l’informalisation de l’économie s’est accrue.

Les PAS en préconisant la réduction des effectifs de la fonction publique, et la rigueur budgétaire ont conduit à décupler l’activité économique informelle du fait du chômage en augmentation et de la baisse des salaires dès 1987. De même, du fait de la diminution des subventions agricoles et des marchés noyés par les produits agricoles européens eux subventionnés, on a assisté à un exode rural massif de paysans. Ces derniers ne pouvaient être intégrés à la fonction publique principale source d’emploi, l’industrialisation étant très peu développée. Le secteur primaire constituant 80% de l’économie du pays à cette période, cela a également conforté l’exacerbation du secteur informel. Les populations, spontanément, se sont tournées vers l’informel, d’accès facile et peu coûteux, en marge de toute régulation, pénale, et sociale, contrairement à l’économie formelle.

En outre, l’État camerounais au caractère paternaliste et centralisateur ne permet pas au « bas » d’investir, et de développer la propriété privée et donc l’économie formelle. Les procédures de création d’entreprise et le climat des affaires sont peu propices à l’investissement légal et au développement économique. En 2009, le pays se situe à la 116ème place en terme de compétitivité. En 2009 toujours, on estime qu’il faut compter au Cameroun environ 37 jours pour créer une entreprise contrairement au Rwanda par exemple, où le délai est de 3 jours. Mais surtout, les coûts à l’investissement dans une activité formelle représentent 150% du revenu par habitant. Dans un pays où 50,6% de la population vit avec 2$ par jour, il est impossible d’investir dans une activité économique formelle si celle-ci est si coûteuse « par décret ».

D’autre part, l’octroi du crédit nécessaire à l’investissement pour les camerounais oeuvrant dans le secteur de l’informel, est très limité, du fait de l’absence de patrimoine déclaré, de titre de propriété, ce qui influence négativement la division du travail en entreprise, source de productivité et de croissance, l’économie informelle ne pouvant opérer qu’à petite échelle. On estime, à ce jour, qu’au Cameroun, le secteur de l’informel recense près de 90 % de la population active pour un taux de sous emploi culminant à 75, 8%, alors qu’on estime que le secteur constitue près de 30% du PIB. Mais cela n’empêche pas le gouvernement d’imposer le secteur à la société camerounaise en instaurant des procédures de création d’entreprise lourdes et coûteuses, freinant l’investissement.

Le pays, classé 171ème sur 181 pays concernés par le rapport Doing Business 2009, gangrené par la corruption, en retard tant sur les institutions du marché que sur celles de l’état de droit, et en manque d’infrastructures appropriées, doit encore faire des efforts colossaux pour assainir son environnement économique, et permettre la reconversion des acteurs de l’informel. 76% des chefs d’entreprises estiment en 2009 que la corruption nuit à leurs activités, et 49% avouent avoir eu recours aux pots-de-vin dans leurs rapport avec les agents des impôts. Pour inciter les acteurs de l’informel à s’intégrer dans l’activité économique formelle, le pays pourrait également mettre l’accent sur l’allègement fiscal, en plus de la lutte contre la corruption. Au Cameroun, le taux de fiscalisation des petites et moyennes entreprises atteint plus de 40% de leur revenu. Si cela grossit les caisses de l’État, sans par ailleurs qu’on en voie forcément les retombées sur les populations, cela nuit considérablement à la formalisation de l’économie du pays.

Se situant à la 135 ème place du rapport Doing Business pour ce qui concerne l’obtention des prêts, le Cameroun ait récemment mis sur pied le programme intégré d’appui aux acteurs du secteur informel (PIAASI), programme servant à financer les projets émanant de l’informel et pouvant générer de revenus, il n’en demeure pas moins que l’efficience de ce programme se heurte à la faiblesse des institutions judiciaires et pénales, incapables de sanctionner la fraude et la mauvaise foi au moment de l’octroi de ces crédits. En 2009 on estimait à 68 % les crédits à recouvrer au titre de ce programme de formalisation de l’économie. Il est donc primordial de renforcer les institutions judiciaires et pénales, en même tant que les institutions du marché, tout en assurant le rôle du titre de propriété, ce qui contribuerait à asseoir la confiance nécessaire en affaires, et dans le même temps à garantir la responsabilité des acteurs économiques.

Adolphine Dibangui diplômée de master de droits de l’Homme et de master de gouvernance et développement.