J’avoue mon ignorance de cette peintre hollandaise jusqu’à l’annonce de cette exposition rétrospective de Charley Toorop (1891-1955) au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (jusqu’au 9 mai). Femme et peintre, son travail soulève bien des questions féministes; elle l’évoque à sa manière, bien à elle, dans une lettre à un de ses amants, le poète Hendrik Marsman : ”le conflit entre travailler et faire l’amour,… entre le désir d’être femme et la création artistique”. Amie de Mondrian, mais résolument figurative (encore que certains de ses arbres et fleurs tendent vers le “all-over” abstractisant), elle apparaît ici surtout comme une portraitiste de talent.
En particulier ses portraits de groupe, comme ce Repas des Amis (1932/33) avec le cercle de la famille et des amis (bien dans la tradition de Fantin-Latour ou de Marie Laurencin), ont une force qui vient en particulier de la représentation en contre-perspective, où les têtes des personnages au second plan sont plus grosses que celles du premier plan, créant un écrasement et une absence de profondeur inusités. Une photographie la montre travaillant à ce tableau juste à côté d’un Mondrian, non pas inspiration de sa peinture, mais plutôt source d’énergie et de tension pour elle. Ses autoportraits sans complaisance, aux regards hallucinants jalonnent l’exposition.
Fille du peintre Jan Toorop (qu’elle ne représente que par le biais de son buste en bronze par Rädecker), mère du peintre John Fernhout (qui n’osera virer à l’abstraction qu’après la mort de sa mère), elle s’inscrit dans une lignée fertile, mais complexe et un de ses derniers tableaux, Trois Générations (1941/50) en est l’emblème. Mais au delà de la lourde complexité psychologique et créative que l’on pressent dans cette toile (son père et son fils en retrait, comme accrochés aux branches d’une croix), sa facture en autoportrait est passionnante. En effet Charley Toorop se peint en train de peindre, non point indirectement comme tant d’artistes depuis les signatures en autoportraits des miniaturistes médiévaux (lire Voichita), mais en créant l’illusion que la toile est un miroir, qu’elle applique son pinceau sur une surface qui est là devant nous en train de se faire. C’est une vision subjective inversée, qui évoque (mais lui a reposé son pinceau) le célèbre autoportrait rond de Parmigianino.
Cette photographie de la Hongroise Eva Besnyö, montrant la peintre devant son tableau, entraîne une réflexion encore plus complexe sur cet autoportrait.
Cette exposition, qui inclut dans des ‘chambres d’amis’ des oeuvres d’amis de Toorop, de Zadkine à Joris Ivens, est d’ailleurs l’occasion de découvrir les photographies d’Eva Besnyö, belle et sombre compagne de l’autre fils de Charley Toorop, qui restera amie proche de la mère jusqu’à sa mort et qu’on dit être celle qui incita Capa à devenir photographe : j’aimerais voir un jour une exposition de ses photographies.
Photos courtoisie du MAMVP. Charley Toorop étant représentée par l’ADAGP, deux photos seulement de ses toiles, et elles seront retirées du blog à la fin de l’exposition.