Le 14 juin 1962, un homme marche lentement dans les faubourgs de Boston. Il porte sur son dos un filet et une canne à pêche, et il a tout du paisible pêcheur qui va patiemment jeter son bouchon dans les eaux calmes d'un petit ruisseau. Mais l'homme qui marche dans les rues de Boston, par cette belle journée de juin, est poussé par une passion inavouable, qui va provoquer la mort de plusieurs victimes innocentes et trop confiantes. Cet homme s'appelle Albert de Salvo, il est âgé de trente et un ans, et jusqu'à ce jour semble mener une vie normale auprès de sa femme Irmgard et de sa petite fille. En réalité, depuis plusieurs années, Albert de Salvo mène une double vie, et il a déjà eu à plusieurs reprises des ennuis avec la police. Des petits ennuis, il est vrai, mais qui prouvent qu'il est animé par l'esprit du mal.
Plus tard, l'enquête menée autour de sa vie fera connaître son enfance malheureuse auprès d'un père foncièrement brutal et d'une mère sans caractère. A douze ans déjà, Albert de Salvo est condamné pour vol de sacs à main. Pendant son service militaire, il est à nouveau condamné pour désobéissance. A sa libération, il est inculpé d'attentat aux moeurs sur la personne d'une fillette de neuf ans. En 1955, Imgard de Salvo est enceinte. Elle n'a subi aucun entraînement pour son accouchement. Et la naissance de la petite Lucy a lieu, brutalement et tragiquement, alors que la jeune femme est seule et sans aide. Imgard en sera véritablement traumatisée, et restera frigide. Quant au bébé, il est malformé. Pendant des semaines, le père, Albert, massera patiemment la jambe trop courte de sa petite fille et sa hanche bloquée. Mais le diagnostic des médecins est sans espoir : la petite Lucy devra marcher avec des béquilles ! Albert de Salvo, lui aussi, est traumatisé par ce coup du sort qu'il interprète comme une punition de ses mauvais penchants. Il ne peut supporter que sa femme le repousse et se refuse désormais à tout contact sexuel. Car Albert de Salvo aime éperdument sa femme. Il l'aime et la désire. Et elle se refuse obstinément à lui.
Alors, aiguillonné par une sexualité qui réclame un exutoire, Albert de Salvo commence à vivre son enfer. Il côtoie des jeunes filles, s'introduit dans des foyers habités par de jeunes femmes célibataires, sous le prétexte de rechercher des mannequins pour une agence artistique, il prend les mensurations des jeunes filles trop confiantes qui l'accueillent chez elles. Albert de Salvo connaîtra ainsi de nombreuses aventures qui le laisseront sur sa faim, car il ne peut, sur ses partenaires consentantes et trop faciles, exercer ses désirs sadiques. Le 4 mai 1961, il est condamné une nouvelle fois à dix-huit mois de prison pour voies de faits sur des femmes. Et comme cela arrive souvent aux Etats-Unis, son avocat obtient qu'il soit libéré sur parole. Ce qui est fait en avril 1962...
Le 14 juin 1962 profitant d'un jour de repos, Albert de Salvo qui travaille maintenant dans une usine, emporte un filet et une canne à pêche. Il marche lentement dans les rues de la ville. Et comme poussé par une main invisible, il s'arrête devant le 77, Gainsborough Street, et monte l'escalier qui conduit aux appartements. Toujours au hasard, il frappe à une porte. Une femme mince ouvre. Elle s'appelle Anna Slesers. Elle a cinquante-cinq ans. Sans méfiance elle fait entrer l'homme qui dit venir pour une réparation dans la salle d'eau. Elle se retourne, et à ce moment, Albert de Salvo sort de dessous sa veste un tuyau de plomb dont il assène un coup violent sur la tête de sa victime. Anna Slesers s'écroule sur sa machine à coudre. Alors, lentement, Albert de Salvo dégrafe sa robe de chambre et la viole. Un peu plus tard, de Salvo sort de l'immeuble en courant. Plus loin, il découpera sa veste de costume tachée de sang avec un rasoir, et éparpillera les bandes de tissus au fil de l'eau de la rivière proche. Et torse nu, il entrera dans un magasin de confection acheter une chemise propre. Puis, comme un bon père de famille, il entrera chez lui et embrassera sa petite fille infirme...
A dater de ce jour, le monstre qui dort au plus profond de l'esprit malade de de Salvo ne le laissera plus en répit. Il a connu le goût du sang. Il a eu la révélation de la violence. Il lit dans les journaux que c'est le propre fils de sa victime qui a découvert le corps, étendu dans une position obscène. Et pendant deux semaine, Albert de Salvo savoure les effets de son premier meurtre. Deux longues semaines qui le conduisent, le 30 juin 1962, un samedi, au 73, Newhall Street. Là, à nouveau, il sonne au hasard. Une infirmière en retraite de soixante-cinq ans lui ouvre la porte. Quelques minutes plus tard, de Salvo ressortira de l'appartement après avoir étranglé et violé sa deuxième victime, Helen Blake. L'étrangleur remonte dans sa voiture, ouvre les vitres, car il fait très chaud, et s'arrête un peul plus loin, devant le 1940, Commonwhealth Avenue. Il sonne à plusieurs portes, sans résultat. Enfin, la dernière porte s'ouvre. Nina Nichols, soixante-dix-huit ans, vient tout juste de rentrer. De Salvo procède toujours de la même manière : il vient effectuer une réparation urgente. Nina Nichols sera retrouvée une heure plus tard à demie nue, étranglée, violée après sa mort, son corps profané. Dans tout l'appartement soigneusement tenu par la vieille femme, un désordre indescriptible règne ; le contenu des tiroirs d'un meuble gît sur le sol. Des albums photos ont été déchirés. Mais la mise en scène imaginée par De Salvo pour faire croire à un cambriolage est inutile. On retrouve dans un porte-monnaie une importante somme d'argent, et dans un placard, des appareils photo de prix. Pour la police il est évident que ce nouveau meurtre est l'oeuvre d'un malade sexuel. D'un fou dangereux.
A l'annonce de ce troisième meurtre, c'est l'effervescence dans Boston. Une conférence de presse est organisée par la police. Des communiqués sont diffusés sans cesse par les stations radio. Les femmes seules ne doivent pas ouvrit leur porte à n'importe qui. Elles doivent se montrer méfiantes quand un inconnu leur propose de faire une réparation gratuite sans qu'elles l'aient demandé. Elles doivent se faire présenter une carte officielle avant d'ouvrir leur porte à un homme qui se dit représentant d'un service public... Autant de connseils qui demeureront sans résultat, car, bientôt, l'Etrangleur de Boston allait frapper de nouveau...
Le lundi 19 août, De Salvo étrangle et viole Ida Irga, 75 ans. Le mardi 20 août, c'est le tour de Jane Sullivan, une infirmière de 67 ans. Puis, alors que les femmes n'osent plus ouvrir leurs portes à quiconque, même à des gens qu'elles connaissent, alors que dans la rue le moindre sourire, le moindre regard trop appuyé panique la passante isolée, c'est le silence. L'étrangleur disparaît. Pendant un mois, un mois et demi, on reste vigilant. Puis on commence à espérer que le monstre est parti, qu'il est mort, qu'il s'est fait arrêter... La police, elle, a mis les bouchées doubles. Elle a réuni un épais dossier sur les cinq victimes de l'étrangleur. Les cinq femmes ont été étranglées, et violées dans leur appartement. Au cours de ces cinq assassinats, l'étrangleur a mis à sac l'appartement de sa victime. Souvent il a profané le corps sans vie. Toujours, il l'a laissé dans une pose obscène. L'éminent psychiatre Walter MacLaughlin prête son concours à l'enquête. Il insiste sur une remarque faite par Freud, son illustre prédécesseur : "La disposition à la perversion n'est pas quelque chose de rare et de particulier, mais fait partie de la constitution dite normale. C'est-à-dire que ces horribles meurtres peuvent être l'oeuvre d'un homme parfaitement normal en apparence, et n'ayant jamais eu, auparavant, de crise de sadisme." Voilà qui ne simplifie pas les recherches de la police. Pendant 4 mois, Albert de Salvo ménera une vie normale; auprès de sa femme friginde qui le repousse toujours et de sa petite fille Lucy, handicapée physique. Et puis, le 5 décembre 1962, aussi brutalement qu'il avait cessé, il frappe de nouveau...
Sophie Clerk, une jeune noire, étranglée et violée le 5 décembre 1962. Patricia Bissette, 23 ans, étranglée et violée le 31 décembre 1962. Beversly Samans, poignardée, étranglée et violée le 6 mai 1963. Evelyne Corbin, 58 ans, étranglée et violée le 8 septembre 1963. Johan Graff, 23 ans, le 23 novembre. Mary Sullivan, 19 ans, le 4 janvier 1964... Les rapports de police continuent à s'entasser sans qu'aucun fait nouveau ne puisse faire avancer l'enquête. Personne n'a jamais vu l'étrangleur, personne n'a la moindre idée de son signalement. De Salvo continue. En mars 1964 il poignarde et viole Mary Brown, tente d'assassiner une robuste jeune fille qui le met en fuite mais qui n'arrive pas à donner un signalement valable de son agresseur. Enfin, le 27 octobre 1964, de Salvo commet sa première imprudence. Ce jour-là il pénètre dans l'appartement d'une femme mariée, et sous le menace d'un couteau, la force à accomplir avec lui l'acte sexuel. Mais pour la première fois, Albert de Salvo n'assassine pas sa victime ! Pour la première fois, l'Etrangleur de Boston laisse un témoin derrière lui ! Et pendant tout le temps que dure l'abominable viol, la jeune femme dévisage l'homme qui s'acharne sur elle. Ce fut son témoignage qui permit à la police de retrouver cet homme qui avait déjà été arrêté parce qu'il prenait les mensurations des jeunes filles à qui il proposait un rôle de mannequin. Sans attendre, Albert de Salvo est convoqué au commissariat. Et il est formellement reconnu par la jeune femme dont il a abusé ! Il est inculpé d'attentat public à la pudeur et effraction. Mais comme la loi américaine l'autorise, il est laissé en liberté contre une caution de 8000 dollars !...
Et c'est alors que se produit un coup de théâtre vraiment exceptionnel : de sa propre volonté, sans que rien ne l'y oblige, Albert de Salvo avoue ses crimes. Il avoue une première fois. Puis une deuxième fois, au cours d'un interrogatoire sous hypnose. Mais, et c'est là que la justice humains prouve ses limites, cette auto-accusation ne constitue pas une preuve ! Le juge Brooke décide d'inculper de Salvo comme un malade. C'est à-dire en l'exposant à une condamnation qui le maintiendra détenu à des fins de psychanalyse susceptible d'aider les criminologues à éclaircir le problème de la délinquance, et de la prévenir ! Et c'est ainsi que Albert de Salvo, l'Etrangleur de Boston, échappa à la peine de mort et fut condamné le 18 janvier 1967 à l'emprisonnement à vie.
Ce que la justice des hommes ne fit pas, une autre justice se chargea de le faire. Après une sensationnelle évasion qui dura 36 heures et qui replongea, l'espace d'une journée, Boston dans la terreur, Albert de Salvo dut arrêté de nouveau et confié aux psychiatres pour qu'ils continuent leurs analyses. Mais on ne saura jamais pourquoi l'Etrangleur de Boston est devenu brutalement le 14 juin 1962 un meurtrier. On ne connaîtra jamais le mécanisme démoniaque qui s'est mis en marche tout d'un coup ce jour-là. Le 26 novembre 1973, Albert de Salvo fut retrouvé mort dans sa cellule. Il avait été assassiné de 16 coups de poignard, par ses propres compagnons de prison.