La porte du Micro Onde rouvre demain mardi à 13 heures et je vous encourage à la pousser. Vous avez jusqu'au 20 mars pour découvrir la superbe installation conçue par Anne-Laure Sacriste. L'artiste se fait rare en France et c'est le centre d'art contemporain de l'Onde, ce superbe espace culturel de Vélizy qui accueille l'exposition envoutante de ses dernières œuvres.
Et in Arcadia Ego c'est d'abord le nom que l'artiste a choisi pour sa pièce maîtresse placée au centre de l’exposition. Un "simple" espace pentagonal habillé de rideaux épais pour figurer la croisée de différents mondes à partir duquel on peut pénétrer dans cinq cabinets chromatiques qui sont autant d’états d’âme à ressentir.
Il y a deux manières de voyager dans cette installation énigmatique où l’artiste entend matérialiser les arcanes de la pensée. Soit en se laissant porter par ses émotions soit en cherchant à comprendre les inférences et décrypter les codes. Les deux façons ne sont pas antinomiques. J'ai suivi la première voie mais pour vous j'emprunterai la seconde, ne serait-ce que pour continuer de vous inciter à aller vivre l'expérience sur place.
Dès les premiers pas dans le vestibule rouge, deux fauteuils de théâtre invitent à s'installer. Au mur deux portraits de femme (Femme tatouée) interpellent par leur ressemblance. On aurait envie de chercher les 8 erreurs. La seule issue possible est de poursuivre par Et in Arcadia Ego où j'ai franchi le rideau noir ouvrant sur le Cabinet de la nuit.
L’eau, fluide matière du lac ou de la cascade trouve sa source sonore dans la grotte bleue où est projeté un film en super 8 diffusé sur une musique planante composée spécialement par Nicolas Comment. Diffusés en boucle, les rushs de la cascade du bois de Boulogne sont ponctués de flashs qui fragmentent la vidéo, à l’image de la réminiscence fugitive d’un souvenir.
Sur la droite, deux héliogravures, Je t’aime, je ne t’aime plus, nous introduisent au cœur de la grotte, symbole choisi par l’artiste pour évoquer l’intériorité de l’être. Sur le mur de gauche deux œilletons invitent à deviner ce qui se trame dans la pièce adjacente.
C'est donc dans la Salle argent que j'entre alors. Les deux tableaux issus de la série Crying Landscape ou Paradis Artificiels (Souche Rose et Grande Tubercule à la mousse chartreuse et Sainte Victoire aux 2 projecteurs) surgissent du noir. Leur surface renvoie la lumière, comme celle d’un écran de cinéma. Suspendus dans l’espace, ils livrent des fragments de paysages humides, où l’émergence de la couleur est révélée par le reflet d’une matière nacrée appliquée sur le fond qui donne aux tableaux une nature changeante suivant les points de vue. D'anciens projecteurs de cinéma, permettent au visiteur de comprendre qu’il est impliqué dans le dispositif en véritable l’acteur. C’est aussi lui qui agit sur l’apparition et la disparition des éléments sur le triptyque Sainte Victoire aux 2 projecteurs.
Au centre de la salle, Globe au gant, Globe aux deux oursins et Globe fleur de mer, se présentent comme d'étranges objets extraits du monde aquatique, natures mortes prisonnières de cloches en verre.
Sur le lit Barcelona la présence féminine s'incarne avec Hermaphrodite, constituée du lit et d’un foulard de soie. Contrairement à la sculpture historique qui se trouve au Musée du Louvre, (photo ci-contre) à laquelle l’artiste fait référence, la femme représentée sur le foulard est allongée sur le dos et exhibe son sexe. Mies van der Rohe, designer du sofa choisi ici par Anne Laure Sacriste, s’est inspiré quant à lui du matelas sculpté par Le Bernin pour l’Hermaphrodite. En empruntant ce sofa, elle continue le jeu et rend ainsi un double hommage à l’Hermaphrodite endormi. J'ajoute que le canapé est achetable sur Internet ...
Quelques pas plus loin le regard est attiré vers le Boudoir secret où je surprend le reflet de Madame Devaucay au guéridon, grâce à la console et au miroir installés face au tableau. Cette aquarelle sur toile est la réplique du portrait éponyme réalisé par Jean-Auguste-Dominique Ingres, à moins qu'il ne s'agisse en fait d’une réplique inversée du tableau original, comme le reflet du miroir à côté duquel le peintre aimait faire poser ses modèles. Anne Laure Sacriste n'est pas unique à avoir été inspirée par Ingres. Souvenez-vous de la magnifique exposition des compositions de Braun-Vega à la maison des arts d'Antony l'an dernier ...
A défaut de traverser le miroir il faut réemprunter le pentagone où se dissimile, sous un rideau rouge, la reproduction d’un autre portrait féminin par excellence : celui de Madame de Senones, dont l'original est au musée de Nantes.
Le seul choix possible est d'entrer maintenant dans la Salle noire où quatre tableaux de la série Mystery sont plongés dans l’obscurité.
Les peintures réalisées sur médium semblent se dissoudre dans le support. Seuls persistent des éléments nocturnes solitaires (filets d’eau, branches), laissés en suspens et happés par les profondeurs de l’eau.
Ils évoquent un au-delà qui n’est pas sans rappeler l’univers du peintre symboliste allemand Arnold Böcklin. C'est probablement l'espace le plus mélancolique de l'ensemble de la première exposition monographique en Ile-de-France d'Anne Laure Sacriste.
Elle développe au fil du temps une œuvre sensible et mystérieuse, inspirée du monde végétal. Travaillant essentiellement par séries, l’artiste explore les qualités de différents médium (gravure, peinture, dessin, wall drawing…) et propose une recherche sur la représentation d’émotions liées à la perception de paysages. Et in arcadia ego est à voir, absolument.
Anne Laure Sacriste est lauréate du Prix Champagnes Henriot. Le lancement de sa publication monographique Paradis Artificiels, aura lieu Samedi 20 mars à 16h en prolongement de l’exposition. Les parisiens pourront bénéficier d'une navette gratuite au départ de la Concorde.
ANNE LAURE SACRISTE - Exposition ET IN ARCADIA EGO
Micro Onde – centre d’art contemporain de l’Onde
8 bis, avenue Louis Bréguet 78140 Vélizy-Villacoublay Tél : 01 34 58 19 92
jusqu'au 20 mars 2010 du mardi au vendredi de 13h à 19h - le samedi de 10h à 16h
et les dimanches de spectacle de 15h à 16h
crédit photographique "Sébastien Agnetti" sauf mention contraire sur la photo