Ryszard Kapuscinski travaille en qualité de grand reporter en Pologne. Une carrière exemplaire, reconnu parmi les meilleurs journalistes du XXe siècle, il a retranscrit son expérience des articles que l'on accuse aujourd'hui d'être à mi-chemin entre la fiction et l'information.
Décédé voilà trois ans, à l'âge de 74 ans, Ryszard ne risque pas de se défendre de ces accusations. Mais le livre d'Artur Domoslawski qui vient de paraître fait valoir au fil des 600 pages que Kapuscinski a inventé de nombreuses images, s'appuyant sur une certaine réalité qu'il a sacrifiée à une vérité esthétique plus fondamentale.
« Kapuscinski était expérimenté en matière de journalisme. Il ne s'est pas rendu compte qu'il avait franchi la ligne qui sépare le journalisme et la littérature. Je continue de penser que ses livres sont merveilleux et précieux. Mais au final, ils relèvent de la fiction. »
Alors quels sont les reproches faits ? Des métaphores qui se substituent aux faits, comme ce poisson dans le Lac Victoria, en Ouganda, dont Ryszard assure qu'il a grossi en se nourrissant des corps que le dictateur fou Idi Amin Dada avait fait jeter dans l'eau. De même, un massacre qui se déroule au Mexique, en 1968, et dont il n'aura pas été témoin, malgré ses affirmations.
Mais le biographe n'entend pas saper la réputation de celui qu'il qualifie de mentor. Il l'aurait même écrit avec beaucoup de sympathie et d'empathie. La veuve de Ryszard, elle, a tenté de porter plainte contre l'auteur de cette biographie, mais la Haute Cour de Pologne a rejeté sa demande. Un comportement qui a laissé le biographe désappointé.
Selon Domoslawski, toute l'oeuvre de Kapuscinski a été modifiée, même sa vie privée s'est retrouvée sous l'influence d'une certaine mythification. « Dans le cadre de son travail littéraire, il créait une légende de lui-même. Je peux en comprendre les raisons. Quand vous venez d'un petit pays dont la culture et la langue ne sont pas comprises à l'étranger, vous faites de votre message quelque chose de plus fort. »