“La police israélienne a pénétré dimanche dans le complexe abritant la mosquée Al Aksa, à Jérusalem, à la suite du jet, par des Palestiniens, de pierres sur des touristes visitant le site, ont rapporté des témoins”, nous raconte Reuters ce lundi, dépêche reprise par une bonne partie de la presse.
Il faut bien chercher pour obtenir d’autres récits. Celui d’Al-Arabiya (en anglais) par exemple qui ajoute que les “touristes” en question ont été perçus, par les fidèles musulmans présents sur les lieux, comme des extrémistes juifs.
Pourquoi ces jets de pierre et cette éventuelle méprise ? Dans la presse arabe (Al-Quds al-arabi, en arabe), on a une explication, selon laquelle des groupes religieux juifs extrémistes estiment qu’ils ont le droit, lors de la fête de Pourim (marquée notamment par une sorte de carnaval), de pratiquer leurs rites sur l’Esplanade des mosquées. Ce serait donc pour empêcher cette provocation que des Palestiniens auraient, selon certains récits, refusé de quitter les lieux lors de la fermeture, puis “attaqué” les “touristes”. Au passage une vingtaine de blessés (côté palestinien bien entendu !) et des arrestations.
De ces deux versions, une seule aura été diffusée massivement : au moins cela évite de se demander laquelle est la bonne ! Plus important, l’absence d’un minimum de contexte.
Il y a tout de même un certain nombre d’articles pour mentionner que ces échauffourées à Jérusalem font suite aux tensions de ces derniers jours à Hébron. A l’origine des protestations des quelque 160 000 Palestiniens qui habitent la ville (pour 600 colons installés dans le centre ville, et 6 500 dans la colonie de Kyriat Arba à proximité), la décision du gouvernement israélien d’inscrire “pour restauration” à liste du patrimoine israélien la mosquée Ibrahimi, plus connue sous nos latitudes comme le “caveau des patriarches”. (Au passage, on note que dans la phraséologie sioniste – mais c’est peut-être une mauvaise traduction ? – on parle de site “repris” dans le plan du patrimoine, en français dans le texte, ce qui est assez éclairant).
Aux lecteurs distraits, on rappelle que Hébron figure dans ce qui reste de territoire palestinien théoriquement sous contrôle de l’”Autorité” en charge des Territoires… Tout comme la ville de Bethléem, pourtant déjà hermétiquement close par un “mur de séparation”, mais qui a la malchance supplémentaire d’abriter la mosquée Bilal Ibn Rabah… Ou plutôt “la Tombe de Rachel’, puisqu’elle figure désormais sous ce nom, depuis la toute récente décision du gouvernement israélien, au patrimoine juif “éternel et réunifié” pour reprendre la formule consacrée.
Pour rappeler le contexte immédiat, on peut encore utilement ajouter qu’Israël vient d’annoncer (dans l’indifférence lasse de la communauté internationale) la création de 600 unités d’habitation à Jérusalem.
Délicate – et très peu notée – attention des autorités qui veillent à leur façon sur le patrimoine local (cet article du Monde précise que les lieux n’ont pas le moins du monde besoin d’être restaurés) : cette “judaïsation” intervient quasiment jour pour jour au 15e anniversaire du massacre perpétré par Baruch Goldstein, précisément dans la mosquée qui fait désormais partie du patrimoine israélien. Fin février 1994, ce colon dit “ultra-orthodoxe” y avait massacré une petite trentaine de fidèles qui se trouvaient à l’intérieur d’un édifice qu’il considérait, lui, comme exclusivement juif (en principe, le lieu, surveillé par les Israéliens, est partagé entre les deux religions comme on le voit sur cette photo).
Aucune provocation des autorités israéliennes, bien entendu, et juste quelques protestations polies des organismes internationaux. Il est vrai qu’une petite mosquée à Hébron ne mérite pas de tels honneurs alors que l’Unesco, l’autorité des Nations unies en la matière faut-il le rappeler, n’arrive pas à faire respecter ses injonctions concernant la préservation de Jérusalem, et cela depuis des années ! (Rappelons que la prise de la partie orientale de la ville par l’armée israélienne en 1967 a été suivie, quatre jours plus tard, par la destruction du quartier “des Maghrébins”, un site historique au pied d Mur de lamentations, qui ne devait pas être assez juif pour mériter d’être préservé…
Et si Jérusalem ne suffisait pas, on pourrait aussi évoquer les destructions de la vieille ville de Naplouse bombardée en 2002 (voir cet article dans le Journal des arts). Ou encore, rappeler que la construction du “mur de séparation” a entraîné, selon le journaliste palestinien Ihab al-Hadhri (أيهاب الحضري), la destruction de dix sites historiques, et la perte (pour les Palestiniens) de 70 autres qui se trouvent du “mauvais” côté du mur !
Apparemment, personne n’ignore dans la “terre trois fois sainte” que, dans “patrimoine”…
.. il y a aussi “patrie” !
Illustration en haut : photo par David Silverman. Colons célébrant Purim à Hébron en 2005.