Le juge des référés du Conseil d’Etat a rendu dès Vendredi soir son ordonnance rejetant pour défaut d’urgence le référé-suspension déposé par huit associations (Amnesty international France, la Cimade, Gisti, d’Elena, DOM asile, l’APSR, LDH et de l’ACAT) demandant la suspension de la décision de l’OFPRA du 20 novembre 2009 fixant la liste des pays d’origine sûrs en tant qu’elle y ajoute les Républiques d’Arménie, de Serbie et de Turquie et ne révise pas la liste existante au regard des conditions prévues par les dispositions communautaires applicables (voir CPDH catégorie “POS ” en particulier le billet du 25 février 2010 sur les arguments des associations).
Lors de l’audience qui a eu lieu le Jeudi 25 février à 14h30 dans la prestigieuse salle de la section du contentieux et qui a duré 1h 30, plusieurs questions ont été débattues notamment sur l’urgence, sur l’erreur de droit entachant la décision en raison de l’absence de prise en compte des conditions du droit communautaire, sur l’erreur d’appréciation (et non pas l’erreur manifeste d’appréciation puisque le CE a renforcé son contrôle dans la décision Forum réfugiés de 2008) entachant la décision particulièrement sur la situation de la Turquie (alors que résonnaient les clameurs revendicatives des associations kurdes qui manifestaient devant le Conseil d’Etat), de l’Arménie, la Serbie mais aussi le Mali ou Madagascar.
L’argument central des associations était qu’il résultait clairement des pièces du dossier, notamment du PV du conseil d’administration de l’OFPRA mais aussi des fiches pays annexées ou des télégrammes diplomatiques produits par l’avocat de l’OFPRA que les critères posés par l’article 30 de la directive communautaire et son annexe II pour maintenir ou décider un nouveau d’origine sûr n’ont absolument pas été pris en compte. Par ailleurs la décision est entachée d’une inexacte appréciation car certains pays connaissent une situation politique et sociale instable comme la Turquie ou Madagascar.
La demande d’asile malienne et arménienne a particulièrement augmenté ces dernières années et le taux de reconnaissance, décisions de la CNDA comprises, est toujours important (voir tableaux dans le billet précédent).
Néanmoins le juge des référés considère que la décision du 20 novembre 2009 ne modifie pas la situation des pays déjà inscrit sur la liste (hormis évidemment la Géorgie qui est rayée et prouve qu’il y a bien eu réexamen de cette liste) et qu’il n’y a pas d’urgence à suspendre.
Plus curieusement, il considère aussi qu’il n’y a pas d’urgence à suspendre les 3 nouveaux pays - malgré les nombreux éléments produits à l’audience, notamment statistiques.
Les associations avaient plaidé notamment sur l’atteinte au droit d’asile portée aux demandeurs de ces nationalités notamment l’absence d’admission au séjour, de recours de plein droit suspensif devant la CNDA et l’accès difficile aux conditions matérielle d’accueil décentes et les répercussions sur les permanences associatives du traitement, dans des délais très brefs, des procédures prioritaires d’asile.
Le juge considère à partir du moment où il y a un examen individuel à l’OFPRA et le cas échéant à la CNDA (pourtant le recours n’y est pas suspensif) que les intéressés peuvent avoir un recours suspensif sur le pays de renvoi en contestant l’OQTF et un accès aux conditions matérielles pendant la procédure “OFPRA” (très hypothétique et souvent après référé-liberté), il n’y a pas atteinte grave et immédiate.
Les associations avaient aussi argumenté sur l’atteinte portée au fonctionnement de l’OFPRA, particulièrement la division Europe (puisque la quasi totalité des pays européens relèvent désormais de la procédure prioritaire) qui doit instruire en 15 jours près de 16% des demandes d’asile déposées en France. Le délai n’est d’ailleurs d’ores et déjà plus respecté en 2009 (délai moyen de 21 jours, bien davantage encore sur certains pays comme le Mali ou Madagascar).
Il en sera de même pour les juridictions administratives puisqu’en l’absence de recours suspensif devant la CNDA les demandeurs ressortissants des pays d’origine sûr vont systématiquement saisir le juge administratif du refus de séjour assorti d’une OQTF et du pays de destination au regard de l’article 2 et 3 (soit une augmentation des recours de 2 à 3000 requêtes pour un total de 20 000 contre les OQTF).
En revanche, sur le fond, l’audience a permis de voir que l’OFPRA avait peu d’arguments pour défendre la prise en compte des condiitions posées par le droit communautaire en particulier sur la Turquie - sans oublier les considérations diplomatiques qui ressortent clairement d’un télégramme diplomatique sur la situation de la Turquie.
Le représentant de l’OFPRA a évoqué à plusieurs reprises le fait que les demandeurs d’asile relevant des procédures prioritaires faisaient l’objet de la part de l’OFPRA d’une “présomption” de non éligibilité au statut alors que cette affirmation est juridiquement erronée et inquiétante pour les demandeurs d’asile puisque, comme le rappelle le Conseil d’Etat, leur demande d’asile doit faire l’objet du même examen individuel que dans le cadre de la procédure normale - sauf que les délais pour statuer sont accélérés et que l’audition n’est pas obligatoire.
Seule consolation : l’annonce de l’instruction accélérée du recours en annulation déposée fin janvier, qui renforce d’ailleurs l’absence d’urgence.
La salle de la Section du contentieux dans laquelle s’est déroulée Jeudi 25 février l’audience de référé-suspension présidée par M. Arrighi de Casanova
Conseil d’Etat, 26 février 2010, n°336035, Amnesty et alii par S. Slama et G. Sadik
etat-pos-ordonnance-26-02-10.1267456818.pdf
“Considérant toutefois d’une part que la décision litigieuse ne modifie pas la situation préexistante en ce qui concerne les pays qu’elle ne mentionne pas, qui figuraient déjà sur la liste des pays d’origine sûrs
Considérant d’autre part que s’agissant des trois Etats qui y sont ajoutés l’application, par l’effet de la décision contestée de règles particulières aux ressortissants des pays considérés comme sûrs ne les prive pas des garanties qui s’attachent à la mise en œuvre du droit d’asile, dès lors qu’un examen individuel de leur situation est effectué par l’OFPRA et le cas échéant par la Cour nationale du droit d’asile, que les étrangers demandant à bénéficier de l’asile et qui ont la nationalité d’un pays considéré comme sûr ont droit jusqu’à la notification de la décision de l’OFPRA à bénéficier des conditions matérielles d’accueil comprenant le logement,, la nourriture, l’habillement ainsi qu’une allocation journalière et que, s’ils font l’objet d’une mesure d’éloignement, il peuvent bénéficier devant la juridiction administrative d’un recours suspensif à l’occasion duquel peut en particulier être discuté le choix du pays de renvoi au regard notamment des risques auxquels l’intéressé soutiendrait, le cas échéant, être exposé en cas de retour dans ce pays, qu’en outre, il n’est pas établi que l’exécution de la décision porte au fonctionnement des associations requérantes,,ni, en tout état de cause à celui de l’OFPRA et des juridictions administratives une atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser par elle-même une situation d’urgence, qu’enfin une instruction accélérée de la requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 20 novembre 2009 du conseil d’administration de l’OFPRA permettra au Conseil d’Etat d’y statuer collégialement à bref délais que , dans ces conditions l’urgence à prononcer la suspension provisoire de cette décision jusqu’à l’intervention de la décision juridictionnelle statuant au fond ne peut être regardée comme établie”.