« Il était si mignon ! », commente Michelle à la télévision, se remémorant ses premiers émois. Parler ainsi d’un homme pouvait, dans le passé, vous exposer à de vives réactions. Bel homme, oui ; séduisant, passe encore. Mais mignon !
De la cour d’Henri III, en passant par le quartier du Marais, ce curieux compliment adressé à un membre de la gent masculine (ne dites jamais « virile » ! Pouah !) est dorénavant un des stéréotypes amoureux de l’hypersphère, « bocal dans lequel nous nageons », comme ironise le médiologue Régis Debray (malgré Arletty et son délicieux accent canaille : « Hypersphère, hypersphère, est-ce que j’ai une gueule d’hypersphère ? » ).
Il était temps que l’Homme issu de Cro-Magnon se civilisât. Les idées nouvelles (synonymes : bien-pensance, pensée correcte) se chargeront de le transformer en caniche d’exposition. On peut de surcroît légitimement voir dans l’émotion de Michelle Obama une certaine hauteur, voire un soupçon de condescendance. Femme d’aujourd’hui, la princesse de contes de fées se veut « en amour » (in love), comme l’exige le consumérisme occidental, consommatrice et fière de l’être, libérée des retenues d’antan.
Le geste se joint à la parole : avez-vous admiré, ce même jour, la danse du beau couple désormais présidentiel ? Michelle entoure de son bras le cou de son mari, sa main sur son épaule. Mais ses doigts révèlent : ils tapotent négligemment, ils pianotent distraitement, protecteurs et maternels, détachés. Là encore, le couple est « cool », emblématique d’une nouvelle génération. Chaque trentenaire peut s’y reconnaître, l’homme est un gamin, un ado dans les bras de sa femme-mère. Ce nouveau jeu de rôles, que des psy comme Jeanne Defontaine qualifieraient d’incestuel — effacement symbolique de l’homme — évite assurément, pour être digne de présider la nouvelle Amérique, les rechutes animales comme les fellations inconvenantes d’une secrétaire, ou les folles romances hollywoodiennes avec une Marilyn Monroe. Il est vrai que Clinton ou Kennedy n’étaient pas « mignons »…
Plus que cet antiracisme primaire qui porte aux nues le premier président américain noir — oh ! le ridicule et finalement le racisme des calculs de ses degrés de négritude ! — c’est cette proximité générationnelle donc qui est pour beaucoup dans la popularité du président des États-Unis. Le bobo de base, « aboli bibelot d’inanité sonore », comme s’amuserait Mallarmé, peut se mirer en son image. Le reflet est flatteur et du jour : sportif et coloré, un rêve métis. Lisse qui plus est, sans les aspérités de son ancêtre, l’homme.
Concluons que le mot et le geste de Michelle furent les vecteurs chaleureux, bien que complètement niais dans une autre tribu ou dans d’autres temps, d’une si sympathique téléréalité.
Daniel Faivre
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