« Je n’y vais pas : j’ai toujours l’horreur des foules. Manque de volonté, dégoûts, et the blues. Lu le Times – par hasard. »
1.
Faut-il lire assis, couché ou debout ? Faut-il lire en intérieur ou en extérieur ? Ne comptez pas sur moi pour être définitif face à de si périlleuses questions. Par exemple, une chronique de Vialatte se lit très bien debout, c’est presque sa nature que d’être lu debout ; Heiddeger engendre moins cette position-là. On peut très bien aussi lire de la poésie en marchant, reste à savoir si l’on marche en intérieur ou en extérieur. En intérieur les coins de tables vous mangent les tibias, en extérieur il faut se méfier des réverbères tout comme il faut être vigilant face aux quidams environnants plus préoccupés eux par le métro qui passe . Lire couché est le plus souvent un délice, le seul risque à encourir est de tomber sur un vrai mauvais bon livre, Belle du Seigneur par exemple, et de sombrer ipso facto dans une vague narcolepsie lectorale qui se transformera petit à petit en vrai sommeil. Lire couché en public n’est jamais bien vu, il faut savoir attendre les beaux jours pour avoir l'opportunité de s’allonger sur l’herbe sans être regardé et catalogué comme fou furieux. Je ne recommande pas de lire étendu sur les quais du métro; même en hiver. La lecture « à la plage » a tout de la pose et n’engendre aucun bénéfice si ce n’est le mélanome. Aquatiquement et horizontalement parlant il n’y a que la piscine qui vaille ; elle permet vraiment le bouquinage, encore faut-il bien choisir sa piscine, son livre, encore faut-il se contenter de ne lire que Maurice Blanchot, et uniquement Maurice Blanchot, tout en sachant rester à sa place en espaçant son « décodage » de quelques regards attendris (et sournois) sur les douces naïades javellisées qui flottent à la surface de l’eau...
Reste la lecture « assise», la plus communément admise. En indoor : avec ses réminiscences scolaires et ses fragrances de bibliothèque empoussiérées qui remontent, ses tables de cuisine sur lesquelles on ne fait pas que manger, ses bureaux encaustiqués.... En outdoor, avec cette chaise de jardin et l’ombre de cet orme, ce banc que vous connaissez tous et surtout pas, et pour rien au monde, cette terrasse de café où il faut être vu lisant plus que ne lisant vraiment.
Je conclurai en disant quand ce qui concerne la lecture le hamac me semble le compromis idéal. Le hamac dans un jardin entre deux beaux arbres et avec un soleil ajouré, en semi-indoor...
2.
Le Journal de Valery Larbaud est difficile à lire, il tient péniblement en main : ses mille six cents pages, ses deux kilogrammes , son format géant et inusité. Pour le lire on recherche désespérément une position idéale : assis il est propice à la crampe lectorale, couché il vous pèse sur le thorax, debout c’est hors de question sans une prise préalable de substances illicites. Ajoutons qu’outre ces diverses questions de positions on ne peut pas le lire non plus en extérieur puisqu’il est de fait intransportable, rapport à son volume. Néanmoins une solution médiane et pour ne pas dire centriste peut être trouvée, on peut le lire alternativement, assis, debout, couché, puis couché, debout, assis, c’est une bonne gymnastique, mais toujours en intérieur.
Ces problèmes pratiques et logistiques passés il faut savoir que notre ami Valery commence ses phrases en anglais, continue en italien pour mieux finir en français, c’est très bien : les trilingues sont ravis. Il faut également savoir que sa montagne diariste est aussi un scrupuleux exutoire où il note tout de façon quasi obsessionnelle : lectures, voyages, heure du lever, du coucher ; itinéraire de ses promenades dans Paris avec son chien ; visites chez le médecin, pulsations cardiaques. Larbaud de santé fragile est toujours à l’écoute de son corps, observant minutieusement le moindre trouble, la moindre anicroche. Cette habitude lui vient de l’enfance où héritier surprotégé des sources Saint-Yorre il avait quand même été victime d’un paludisme inopportun ; on l’avait tenu à l'écart des autres enfants, dispensé d’exercice physique, il était resté dans la solitude avec ses livres ; voilà comment naissent les écrivains...
Le Larbaud adulte souffre de rhumatisme articulaire, il est victime de crises d’humeur qui le paralysent et le poussent hors de tout lien social. Il peut rester enfermé des journées entières, c’est un problème sans en être un puisque enfermé il lit, il écrit, il traduit.... De toutes les façons Larbaud ne vit que pour et de littérature. Il y a bien les voyages : le charme de cette France début de siècle, l’Espagne, Londres, l’Italie, la Suisse, Vaduz et le Liechtenstein... Il y a bien les amis : Charles-Louis Philippe, Gide, Léon-Paul Fargue, mais l’essentiel est la littérature, la littérature, et cet amour pour les adolescentes opalines qui ne laissera pas Nabokov de marbre.
L'aphasie viendra plus tard...
3.
Dino Buzzati, Un amour... Je ne sais pas si c’est la « suspicion kafkaïenne » qui est rattrapée par la collection harlequin ou l’inverse, mais toujours est-il qu’il y a de cela. Pour le reste, j'ai commencé la lecture de ce livre en y trouvant quelque chose (suspicion kafkaïenne disais-je) puis par manque de temps (abolition du travail aliéné !) je l'ai oublié sans l’oublier sous mon canapé écru. Un après-midi - après une matinée passée dans un marché équitable où, à l’entrée on m’avait offert une datte palestinienne - (j’ai traîné le noyau de cette datte dans ma poche droite pendant toute mon alter visite, il y avait de la sangria équitable sans alcool à la sortie) j’ai ressaisi ce livre et, bizarrement, il n’y avait plus rien dedans, plus de « suspicion kafkaïenne », mais beaucoup de collection harlequin... Un petit machin sur les « démons de midi » d'un quinquagénaire penaud appâté par une poulette manipulatrice aux petits seins. Bref pas grand chose et une constatation : il ne faut jamais oublier un livre en chemin, c’est lui qui quand vous le retrouvez, par vengeance, vous pousse dans le fossé de l’ennui.
Ah oui ! sinon : Cossery avait toute mon estime (le Dandy égyptien édenté reclus dans son hôtel), ses personnages moins… dans Mendiants et Orgueilleux on a beaucoup de peine à vraiment les aimer, ils ne sont pas si antipathiques que ça, ils ont même un petit charme, mais ils sont surtout très inconsistants et d'un apragmatisme qui n'incite pas à l'intérêt le plus vif qui soit. En fait dans Mendiants et Orgueilleux le seul personnage vraiment intéressant est un homme-tronc échappé de chez Freaks... Apragmatique par contrainte lui et non par la grâce faussement rebelle d'un quelconque substrat d'âme flottante...
P.-S. Valery Larbaud perd son corps en 1935 il devient tristement apragmatique, il reste entouré par ses livres, c'est une autre histoire...