En DVD : L'Après-guerre. Dans les caves enfumées de St-Germain-des-Prés, le public vibre au rythme du jazz venu d'Outre-Atlantique. C'est à cette période joyeuse que Paris Blues (1961) rend hommage. Le film de Martin Ritt sort en DVD (master restauré) dans la belle collection Les Introuvables du cinéma chez Wild Side (trailer à voir di-dessous). Je ne connaissais pas cette oeuvre et j'ai été séduit !
D'abord par son casting. Paul Newman, Joanne Woodward (Mme Newman à la ville), Sidney Poitier, Diahann Carroll, accompagnés de Serge Reggiani et Moustache (à la batterie). Newman et Poitier incarnent deux jazzmen américains installés à Paris. Le premier cherche à s'imposer comme un vrai musicien tandis que le second a fui la ségrégation qui déchire son pays. Avec leur orchestre, ils ont obtenu un certain succès. C'est alors que débarquent deux touristes américaines (Woodward et Carroll), qui font chavirer le coeur des deux hommes. Mais l'idée d'un retour aux Etats-Unis peine à s'imposer...
Ce quatuor d'interprètes parvient à donner de la consistance et de l'âme à ce qui n'aurait pu être qu'une bluette. Paul Newman est toujours aussi fascinant, Sidney Poitier dégage une force toute aussi captivante, Joanne Woodward s'impose par son assurance teintée d'humour et Diahann Carroll par sa grâce non dénuée de caractère. Quant à Serge Reggiani, il interprète un guitariste manouche junkie très convaincant. A noter la participation de Louis Armstrong dont l'arrivée à Paris donne lieu à un spectaculaire jazz clash avec Newman & co. La musique est d'ailleurs signée Duke Ellington... classe et groovy !
Une oeuvre engagée
Autre intérêt du film : son message humaniste. Sans lourdeur mais avec conviction, Martin Ritt aborde le problème de la question raciale aux Etats-Unis. Newman et Poitier sont deux personnages qui sont traités sur le même plan, sans que la couleur de peau ne soit un trait discriminant. En clair, pas de faire-valoir ! La preuve que la ségrégation alors pratiquée aux States est une aberration. D'ailleurs, le premier plan du film montre une cave de St-Germain-des-Prés où Blancs et Noirs se côtoient et partagent le même amour de la musique. En balayant la salle, la caméra montre même quelques couples mixtes - et aussi des couples du même sexe (deux femmes et deux hommes dont les rapports, bien que suggérés, sont sans équivoques). Une manière de montrer que la vieille Europe est plus moderne que la jeune Amérique...
Les relations entre Poitier et Carroll permettent par ailleurs d'enfoncer le clou : la jeune femme est une militante et souhaite que Poitier revienne aux States pour mener le combat en faveur de la cause des Noirs lorsque lui veut rester à Paris, où la question raciale n'est pas de mise. Soit dit en passant, Paris Blues permet de se rendre compte à quel point les choses ont bien changé en France. On ne peut s'empêcher de penser au débat actuel sur l'identité nationale. Etre français, après la deuxième guerre mondiale, c'est aussi bien aller prendre une soupe à l'oignon aux Halles que vibrer aux sons d'une musique venue d'ailleurs. Bref, c'est une ouverture au monde qui n'empêche pas de conserver une culture forte. Le tout dans une certaine joie de vivre malgré des conditions de vie qui sont loin d'être optimales. Je referme la parenthèse.
C'est d'ailleurs un Paris de carte postale que nous montre le film. Un Paris à la Doisneau, magnifié par la photo de Christian Matras et les décors d'Alexandre Trauner. Et pourtant, les clichés ne sont pas caricaturaux : Martin Ritt nous montre finalement un Paris qui a aujourd'hui disparu, comme le souligne justement François Guérif dans un bonus - comme toujours chez Wild Side - passionnant.
Ce bonus constitue la cerise sur le gâteau : dans Hollywood Jazz (26 mn), Gilles Mouëllic et François Guérif reviennent sur le traitement de cette musique par les grands studios américains et soulignent les grandes qualités de Paris Blues. Qualités qui m'ont sauté aux yeux. Une belle découverte.
Anderton