Vous savez tous comment l’OMS a défini la santé, dans le préambule de sa constitution, en 1946 : un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité
. Essayez de l’appliquer à autre chose qu’un organisme, et vous allez vite comprendre la limite de cette définition.
Et pourtant, ça arrange tout le monde de parler de santé d’un écosystème
, parce que le concept est très pratique, et facile à comprendre. Pratique? Oui, parce que relatif. On est en bonne, ou en mauvaise santé (ce qui est d’ailleurs contradictoire avec la définition de l’OMS, qui voit la santé comme un état et non un continuum), on est en meilleur santé qu’un autre, etc. Facile à comprendre, parce que globalement, la santé, c’est quand ça va bien. Pour parler au grand public, plutôt que de parler de distress syndrome, on pourra parler d’un écosystème en très mauvaise santé
. Et parler en termes clairs avec la société civile, les scientifiques aiment bien — du moins ils devraient.
Reste qu’il faut trouver une définition de la santé d’un écosystème, et que si on y réfléchit un peu, ça devient compliqué. On peut se dire qu’on va définir ça comme une agrégation de la santé de tous les individus du système. Mais imaginons un écosystème paupérisé — avec une faible biodiversité spécifique, c’est à dire un faible nombre d’espèces — avec des individus bien portants (c’est une construction de l’esprit, je doute qu’on puisse trouver ça en vrai), et notre définition atteint sa limite.
Alors on se penche sur ce qu’est un écosystème. De la manière la plus générale possible,
écosystème = biocénose + biotope
C’est évidemment très vaste, mais ça a au moins l’avantage de mettre en avant l’importance de facteurs non biotiques (la nature des sols, la ressource en matière minérale pour certains bactéries, le type de paysage, le relief) qui font partie d’un écosystème. Et la biocénose? L’ensemble des êtres vivants, ça c’est facile, me direz vous.
Dans l’absolu, c’est vrai. Mais les êtres vivants sont organisés en structures qu’on appelle les communautés, qui se composent de populations, formées par les individus. Et puis tous ces éléments forment un réseau d’interactions, avec des flux d’énergie. Et ce réseau — le réseau trophique — possède une topologie particulière. Et puis, comme on l’a vu dans les billets précédents, les espèces n’ont pas toutes la même importance fonctionelle.
Et à partir de ces êtres vivants, on peut construire des indicateurs pour appréhender leur situation. La biodiversité, par exemple, avec ses composantes : écosystèmatique, spécifique, et génétique. Et on peut multiplier encore les exemples.
On complique encore un peu les choses? Soyons fous. Ces interactions ont des effets sur l’environnement, il existe ce que les anglo-saxons appellent des ecosystem processes, des ecosystem engineers, et beaucoup d’autre choses.
Donc, la santé d’un écosystème ne peut pas simplement agréger les santés des individus. C’est la synergie : le tout dépasse la somme des parties. Elle doit prendre en compte les facteurs en interaction, aussi bien que le résultat des dites interactions.
Ca vous semble insurmontable? Ca ne devrait pas! Deux chercheurs ont décidé de se lancer dans une définition, ou plutôt une réponse à la question qui tue : Qu’est-ce qu’un écosystème sain?
La définition de Robert Costanza et Michael Mageau (c’est leur nom) est la suivante :
Nous proposons qu’un écosystème sain est durable (NdT – le terme est sustainable, comme dans… sustainable development!) — en d’autres termes, il a la capacité de maintenir sa structure (organisation) et sa fonction (vigueur) à travers le temps et face aux contraintes extérieures (résilience)
Cette définition couvre bien les aspects dont je parlais précédemment : les processus de l’écosystème sont pris en compte, ainsi que la structure (et donc l’organisation des êtres vivants en son sein).
Et si on reprend notre exemple d’un écosystème paupérisé avec des individus en bonne santé, on peut constater que ces critères le placent dans les écosystèmes en mauvaise santé. Pourquoi? D’une part, la diversité (ca rentre dans la structure) est liée à la productivité (Boris Worm a travaillé sur ce sujet en de nombreuses reprises, et à récemment fait parler de lui avec un papier important). Et une faible biodiversité entraîne potentiellement une faible production (vigueur). D’autre part, les petites populations sont plus “à risque” en terme d’extinction, à cause des processus stochastiques qui les affectent. Et si on diminue la diversité, on perd la redondance fonctionnelle (deux espèces peuvent être capables de remplir la même fonction), ce qui diminue la résilience…
Le prochain billet de cette série (puisque c’est une série) concernera… un peu de dynamique des populations… Et oui, il y aura des parasites, et des publis dans Science qui discutent de protocole…