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Travail: physique, géométrie et philosophie

Publié le 01 mars 2010 par Ethiqueemois

Travail: physique, géométrie et philosophie

crédit photo : Manuel Van De

Définition en physique : Le travail d’une force est l’énergie fournie par cette force lorsque son point d’application se déplace (l’objet subissant la force se déplace ou se déforme).

Examinons cette définition. Le travail apparait comme le produit de la force et du mouvement. Creusons encore un peu dans nos souvenirs d’écoliers et rappelons-nous… les vecteurs. La force et le mouvement peuvent être représentés sous forme de vecteurs. Un vecteur est une flèche composée de trois caractéristiques dans l’ordre suivant: une direction, un sens et une norme. La direction, composante qualitative du vecteur, est une droite, traversant l’espace d’un infini vers l’autre. Selon cette direction sera orienté le corps de la flèche. Le sens, c’est la pointe de la flèche, soit vers une extrémité soit vers l’autre. La norme, c’est la composante quantitative, l’intensité de la force ou la vitesse du mouvement. Elle conditionne la longueur de la flèche.

Remarquons que les choses doivent être posées dans cet ordre, car un sens sans direction n’a pour ainsi dire aucun sens. Ainsi, une force a une direction, un sens et une intensité. Un mouvement a une direction, un sens et une vitesse. Supposons maintenant que j’exerce une force sur un objet en mouvement. La résultante travail peut être moteur si le sens de la force et le sens du mouvement sont les mêmes. Elle peut être résistance si le sens de la force est opposé à celui du mouvement. Si la force est perpendiculaire au mouvement, le travail est nul dans le sens ou aucune énergie n’en résulte et le mouvement n’est pas modifié. L’objet n’est pas nécessairement en mouvement au préalable. Le mouvement peut résulter du travail de la force. Par exemple quand j’appuie de mes pouces sur de la pâte et qu’elle se déforme, se laissant modeler selon ma volonté (c’est à dire selon la direction et le sens de mon action). Autre exemple, quand je pèse sur le levier qui imprime un mouvement à la charge lourde, la soulevant.

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« Tu travailleras à la sueur de ton front », dit la malédiction divine. Longtemps considéré comme vil et relégué aux esclaves, au tiers-état ou aux masses prolétaires qu’on veut décérébrées, le travail est aujourd’hui le socle de la société. L’individu sert la société par son travail, en échange de quoi la société fournit moyen de subsistance, protection et statut social. Le travail est l’outil de l’édification sociale de l’individu, l’instrument de la dignité. Grâce à l’emploi, l’individu atteint l’indépendance économique et donc la liberté de choix. C’est ce que met en évidence Simone de Beauvoir quand elle présente le travail des femmes comme leur moyen d’émancipation. L’absence d’emploi est d’ailleurs source d’une grande souffrance car elle prive l’individu de ces contreparties essentielles à l’édification du soi social. Souvent, le chômage a des conséquences qui dépassent les questions matérielles pour atteindre le fondement même de l’existence sociale de la personne, entraînant la fragilisation de la dignité.

Et pourtant, le travail est aussi souffrance. J’emprunte les mots du professeur Henri Laborit pour exprimer mon désarroi face à un travail-emploi allant parfois dans le sens de l’abêtissement général :

Henri Laborit, Eloge de la fuite (fin du XXème siècle) :
« Conditionné à considérer le travail comme une fin en soi, la plupart des hommes ne dispose ni du temps ni de la possibilité de s’intéresser à la marche générale du monde et aux mécanismes qui gouvernent ce dernier - et qui régissent aussi les actes et les évènements de ses contemporains comme des siens propres. L’homme en vient ainsi à oublier son rôle de participation à l’évolution de l’espèce humaine, il se désintéresse de son propre destin, de son développement intérieur en se déconnectant de ses désirs… jusqu’à perdre son goût de l’indépendance. »

Si l’on considère le problème en termes géométriques, nous pouvons dire qu’il est des cas où le sens du travail emploi est opposé au sens du travail constructeur de soi et du monde, et l’énergie qui en résulte est celle de la résistance. Il est souhaitable que la vie intérieure dirige la vie extérieure et non l’inverse. Lorsque la vie intérieure faiblit, l’on a tendance à se raccrocher à la vie extérieure. Alors, au lieu de travailler sur le monde, l’on se laisse travailler, modeler par le monde comme tout à l’heure la pâte par les pouces. Et le travail n’est pas tendre. Instrument de torture (triaplium), le travail n’a pas d’égard pour le doute, il demande sueur et effort, et si l’individu ne donne pas lui-même la direction au soc qui travaille (torture) la terre, il est à craindre qu’il se laisse torturer lui-même. Le travail emploi use de l’énergie de l’individu dans un but qui lui est étranger. Dans certains cas, vers des valeurs erronées, perverties. Un travail qui fait appel aux neurones, s’il les emploie dans une direction qui n’est pas en ligne avec les aspirations de l’individu, peut être, sinon décérébrant, du moins aliénant. Il s’agit alors de s’en libérer ou au moins de prendre du recul, de faire appel à son discernement.

Il est donc primordial de considérer le travail comme une action volontaire et non pas comme un acte subi. Il s’agit de ne pas être la pâte mais les pouces qui façonnent la pâte, non pas la charge lourde et amorphe mais la force actionnant le levier.


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