En fait, au courant de ce mois de février 2010, j’ai reçu un courriel d’un ami me faisant état de retrouvailles entre plusieurs promotionnaires de la faculté des sciences de Brazzaville. Des « corsairiens », comme moi. Tout de suite, je vous vois me tomber dessus en me disant :
« Gangoueus, c’est quoi ce charabia ? D’abord on dit corsaires et non corsairiens. Et puis, tu bouquines trop mec, depuis quand as-tu fréquenté Francis Drake ou Surcouf ? ».
Là, je vous arrête tout de suite, je lance un coup de sifflet et je dis :
« Les mecs, les mèches, balle à terre, il faut que je vous explique ».
Bien que je n’en donne pas vraiment l’impression, j’ai fait des études scientifiques. En 1991, je les débutais à Brazzaville à la faculté des sciences. Maths et physique pour le fun. Ambiance houleuse dans les amphis, boss relax pour certains, "système" pour les autres, les mecs qui arrivaient dans ces sections n’étaient pas là pour rigoler.
Le Congo sortait d’une conférence nationale épuisante et passionnante où nos élites tentèrent de laver le linge sale en public, revenant avec plus ou moins d'objectivité sur 20 ans de marxisme-léninisme et pour faire plus simple 25 ans de monopartisme avec toutes les dérives totalitaires imaginables, les crimes et blessures associés.
Ma première année en faculté coïncidait donc avec la fameuse période de transition devant préparer des élections libres dans ce pays avec toutes les suspicions envisageables. L’ambiance dans cette faculté restera un souvenir inoubliable. Entre les cours houleux de l’après-midi, la fascination des étudiants à l’endroit de certains profs, le catch de ces derniers se gargarisant souvent du fait qu’aucun étudiant n’ait obtenu leur Unité de Valeur. Etrange conception de l’enseignement. C’est une époque, pour le passionné de littérature que j’étais déjà, où je voyais passer dans les allées de notre fac légendaire, Emmanuel Dongala, professeur de chimie et romancier...
Malheureusement, durant l’année qui suivra les élections libres de 1992 porteront au pouvoir le professeur Lissouba (ancien directeur de la fac des sciences, agronome et professeur en génétique, ce détail a son importance), le climat va très rapidement se détériorer. Je ne rentrerai pas dans le détail de la première phase des guerres civiles qui vont ensanglanter le Congo durant les 90. Mais dans ces combats fratricides, alors qu’on s’orientait vers une année universitaire blanche, la faculté des sciences fut tout simplement pillée et brûlée. Le symbole était trop beau en plein cœur d’un des quartiers de l’opposition de l’époque. Voilà comment par un acte politique et militaire, ce havre de la recherche scientifique fut saccagé au grand dam de ses étudiants et de ses chercheurs. Ainsi va l’Afrique.
Ancienne entrée de la faculté des sciences
Après une année académique 1993/1994 invalidée, les autorités congolaises réagirent de manière aussi spectaculaire en affrétant un Boeing 747 de la compagnie Corsair à destination de trois pays d’Afrique de l’ouest, avec à son bord près de 400 étudiants issus de cette faculté sinistrée. Les aventures des uns et des autres en ces terres ouest-africaines à partie cette situation « abracabrantesque » pourraient sincèrement faire l’objet d’un roman ou de chroniques passionnantes.
Le fait est que le 5 février 1995, une grosse bande d’étudiants quittaient leur pays sous les feux de la rampe, histoire pour les autorités congolaises de bien marquer, que ce n’étaient que des murs qui avaient été brûlés (des livres aussi tout de même, du matériel de TP), rien que des murs. La génération « Corsair » autrement appelé « corsairiens » était née.
La fac des sciences de Brazzaville, 15 ans après son pillage
Malheureusement, comme vous pourrez le constater, l’ancienne faculté détruite n’a pas été reconstruite. Le site initial est laissé à l’abandon. On peut se demander également si l’état congolais se souvient encore de ces anciens étudiants qu’il fit partir en fanfare vers des terres lointaines. Des sit-in aux consulats congolais, de l’adversité dans ces pays d’Afrique de l’Ouest, des coups de gueule sur les médias internationaux pour le règlement d'une bourse sporadique et de bien d’autres expériences communes, il s’est formé un collectif qui avec le temps s’est disséminé suite aux opportunités des uns et des autres, souvent loin de l’administration congolaise.
Par ce billet, je veux souhaiter un bon anniversaire (un peu tardif) à mes collègues et mes ancien(ne)s de promotionnaires « corsairiens ». 15 ans.
« Big Up ! Les gars, Les gos ! Bon anniversaire ! »