Dans la grande chapelle du Rock'n'Roll, cela fait déjà bien longtemps qu'on ne se raconte plus d'histoires. "On a paumé les psaumes" dit l'un, "les fidèles ont disparu" répond l'autre. Pour les nouveaux postulants, le trône est chaque fois libre et les places sont pourtant chères: "Et c'est qui ce type là bas, tu crois qu'il possède suffisamment la foi, suffisamment j'veux dire, pour brancher les doigts dans la prise?".
Like The Ocean, Like the Innocent pt. 1: The Innocent
Au loin, on entend du loup dans la nuit, la complainte du berger à la bergère égarée, quelque chose d'indicible comme le cri d'un enfant égaré dans les forets de l'Ontario. En guise de réponse, un long riff qui fait office de sifflet, des chants de naïades allongées sur une guitare ciselée, le son des cutters sur 7.18 minutes, le temps nécessaire pour ravaler sa langue et fermer sa gueule. Littéralement, leur troisième disque rugit dans la nuit, vieux lion au bord du précipice, étonnante surprise qu'on peine à exprimer par les mots. Plus lyrique que les pompiers extincteurs du Feu d'Arcade, moins portés sur le narguilé que leurs voisins chevelus de la Montagne Noire, le Bernard des lacs (avouez que même la traduction de leur nom est risible) est devenu une espèce comme on en voit plus trop à l'entrée des zones urbaines. Avec à son collier un disque pour les sioux dans un pays sans indien, des Huskies sacrifiés sur l'autel du progrès et du tibia congelé pour assurer la partie rythmique. Dans l'indifférence de la nuit, leur musique s'est subitement transformée beau blizzard. Désormais leur chapelet plaît. Enfin prêts à entrer dans le cercle très restreint des groupes dont on écoute les albums plus de deux fois. Une éternité donc.
Montreuil, 11.00 PM. Pluie sur stores en plastique.
Des perles il en tombe en trombe ce matin. Le ciel est gris bitume et Besnard Lakes vient juste de finir une session photo pour un magazine presque célèbre, lui aussi. Comme avec toutes les grandes rencontres, les présentations sont décevantes, deux étages en dessous du fantasme. Lui: Gueule d'adolescent attardé toute droit sorti d'un spin-off de That Seventies Show, collier de fleurs en moins mais verres fumés en plus. Elle: Visage ravagée par les rides échappé de Shining, gai sosie de Shelley Duvall portant un bonnet pour éviter les gerçures du temps qui passe. The Besnard Lakes are on a sofa, l'air cool de ceux qui ne le sont plus vraiment, plus proches de la quarantaine que de la gloire. Cool? Qui le serait ici, finalement, à répondre aux questions d'un type persuadé que Philip Glass est une incarnation divine descendue sur terre pour évangéliser les masses qui font la queue le samedi aux Monoprix?
Avec leurs mélodies très "Lancelot du lac dit bonjour aux Beach Boys", Besnard et moi partageons la même vision du paradis et des contraires. Test micro avec l'homme du groupe, Jace Lasek: "La différence avec les autres disques, j'sais pas mec, on avait déjà des chansons comme Disaster sur l'album précédent, dur à dire. Et sur ce disque... Disons que j'adore Slayer, le métal". Olga Goreas, sa compagne peignée comme la poupée Chucky, ricane. Il embraye: " Ouais donc, j'aime bien l'esthétique de David Lynch, le contraste saisissant entre le mal et la beauté d'un paysage en feu. Sur la pochette du dernier disque (The Besnard Lakes Are the Dark Horse, 2007, NDR), on avait déja des chevaux qui brûlaient tu vois, doit bien y avoir quelque chose d'inscrit dans l'inconscient. (...) A l'origine, The Roaring Night devait être illustrée par une image plus... diabolique. L'idée du diable m'obsède, esthétiquement, c'est la sublimation. Comme avec le feu, on y trouve toujours un renouveau, un lendemain". Sur Chicago Train, troisième titre du disque du couple croquignolesque, on entend très précisément l'orage briser le ciel, ce long riff déchiré annonçant la descente de Dieu portant des boots croco pour amerrir sur l'eau en feu. C'est vrai qu'il a raison Jace, difficile de comprendre le grand écart entre The Roaring Night et les précédents opus. La grande différence, c'est peut être qu'en étant "toujours un disque des Besnard Lakes, c'est aussi autre chose". Quelque chose du beau de l'aurore, quand le soleil lèche les baies vitrées de Montréal.
And this is what we call progress
Saint mélange entre la pop à hélium d'un Brian Wilson et les nappes à carreaux de My Bloody Valentine, Besnard Lakes se démarque aussi par une colère du dedans, difficilement palpable sous leur esthétique rigoletto de grands échalas du Canada. La peur, l'urgence, la rage, tout est livré sur un plateau avec la huitième piste, And this is what we call progress. Sorte de supplique chrétienne à envisager comme l'envoi d'un mail au tout puissant, on y sent le son des vagues, le bruit des rouleaux qui repassent sur la figure de l'auditeur avec un bout de terre au loin. Le sosie de Shelley Duvall prend la parole, le cul engoncé dans un canapé dont on peine à définir la matière: " Well, il y a de la menace, de la violence, mais je ne suis pas certaine qu'on ait eu conscience d'explorer notre dark side, right? Mais il y a de la haine inconsciente, for sure. De la magie aussi. Une attirance pour le fantastique et les eaux en feu, comment cela est-il possible? Ca me fascine yeah". Le feu revient souvent chez Besnard Lakes. La guerre aussi, en trame de fond. Qui est l'ennemi, maintenant que plus personne n'est vraiment en guerre, que les blocs ont fondu comme neige au soleil? "Sûrement nous-même" plaisante Jace "la chanson dont tu parles (And this is what we call progress, NDR), je l'ai écrite avec un relent d'existentialisme, pour comprendre que ce que NOUS étions tous en train de faire. Je venais de finir un livre scientifique sur l'influence des civilisations sur l'environnement, un autre sur la fin de la nourriture, puis un autre sur la fin de l'essence, disons que j'étais très perturbé par l'idée du déclin.... La chanson est venue comme ça, en y transposant mes angoisses".
Physical Surf. Yeah.
Des riffs lourds inspirés de Physical Graffiti, de la pop dépressive des Beach Boys période Don Quichotte; on retient surtout la console de Led Zeppelin, rachetée voilà quelques mois pour enregistrer leur troisième disque. En cherchant la trace du Yeti, on tombe toujours sur un monstre. Ou plus précisément sur les raisons du mojo saisissant de Roaring Night, le disque aux énigmes en forme de pas dans la neige: "La console de Led Zep, yeah, on bénit les dieux de l'avoir trouvé. On cherchait une nouvelle console, quelque chose de massif qui ne soit pas digital, comme c'est la mode actuellement. Et puis on est finalement tombé là dessus c'était exactement le son dont on rêvait depuis des années, dans son état d'origine. C'est fascinant de travailler sur cette console, de savoir que Led Zeppelin a enregistré Kashmir là dessus, ressentir l'histoire sous ses doigts, cela donne de la force, du voodoo. Dans les moments de doute, tu te dis que Led Zep a enregistré sur cette console, et que donc tout ira bien pour toi aussi". Le tonnerre gronde à l'extérieur, les bulles de coca remontent comme des corps à la surface et très franchement, on n'a plus franchement envie de rire lorsqu'on tente un raccourci pour résumer leur musique: "Physical Surf, entre Led Zep et Beach Boys, yeah!". A midi sous la pluie, tous les nuages sont gris. Mais quel disque mes amis, beau à se planter sous un arbre en pleine tempête.
Le soir même, à la nuit tombée, le couple a sans doute fait ses bagages, rassemblé ses affaires dans une chambre d'hôtel où la goutte de chasse d'eau s'accorde à la pluie de l'extérieur. Il a sûrement réunit K-Way, jeans délavés et T-shirs à bombe H dans une seule valise, parce que voyager léger permet de ménager la monture, elle s'est sans doute brosser les dents, pensant que demain matin il ferait plus sombre que la veille. L'histoire ne dit vers quelle ville il allait, ce qu'on sait en revanche, c'est qu'il restait encore quelques paroisses à convertir.
Photos: Fiston
The Besnard Lakes // The Besnard Lakes Are The Roaring Night // Jagjaguwar (Differ-ant)
http://www.myspace.com/thebesnardlakes