Monumenta, c’est une manifestation annuelle qui propose à un artiste d’occuper la grande nef du Grand Palais. Cette année, c’est Christian Boltanski qui s’y est collé, et il a fait changé le calendrier pour l’occasion : alors que les éditions précédentes se dérouleraient en été, il a demandé à ce que « Personnes » soit présenté cet hiver, les sentiments de l’abandon et du manque se développant mieux dans le froid.
Son expo se décompose en 3 parties, toutes sur le thème de la mémoire et du souvenir, voire de l’hommage. Enfin, heureusement qu’on me l’a dit parce que je ne suis pas sûre que c’est ce qui me serait à venu à l’esprit devant un mur de boîtes rouillées qui compose le premier plan de « Personnes ». Je pense que je me serais assez platement dit « Tiens, un mur de boîtes rouillées ». Mais non les amis, c’est bien plus que ça, ce sont d’anciennes boîtes de biscuit qui symbolisent la mémoire. Et bien qu’elles ne soient pas rangées dans l’ordre, le fait que toutes soient numérotées est symbolique du fait qu’on peut retrouver ce qu’il y a dans ces boîtes. Dans le groupe avec qui j’étais, les mots associés à ces boîtes étaient assez variés : urnes funéraires, casier de police, archives…Chacun y voyait ce qu’il avait envie d’y voir.
Une fois le mur contourné, on entre dans l’antre de la Grande Nef, qui résonne d’un bruit assourdissant. On tombe alors sur les deux dernières parties de l’expo, à savoir des tas d’habits à même le sol, surmontés d’une pyramide gigantesque au-dessus de laquelle flotte une pince type de celles des fêtes foraines, où l’on veut absolument prendre le gros nounours et on finit piteusement avec une merde au bout du crochet.
Les tas de vêtements, surtout des manteaux et des pulls froissés et posés face contre terre, font largement penser aux baraquements des camps de concentration. Ils incarnent l’absence, représentant à la fois les gens qui le ont porté et leur absence en filigrane. La richesse de l’exposition vient d’ailleurs constamment de cette dualité entre individualité et anonymat, qui crée à la fois un certain malaise pour le visiteur et engendre une série d’interrogations.
En bande son de ce parcours : des battements de coeur, qui proviennent des « Archives du coeur », projet lancé par l’artiste en 2008. Son idée : enregistrer les battements de cœur de toutes les personnes de la planète et les envoyer sur une île lointaine du Japon. L’objectif étant de trouver une synecdoque commune qui rende à chaque humain son individualité, et donner l’opportunité à chacun de se lancer un jour dans un voyage initiatique, aller écouter les battements de coeur de quelqu’un qui nous est proche.
Et c’est vrai qu’ils sont uniques : certains sont rapides, d’autres lents, certains sons sont métalliques, d’autres coulants….Ce sont des battements de personnes réelles, qui sont donc à la fois là et absentes, anonymes et qui pourtant nous livrent leur plus grande intimité. Cela m’a fait pensé au musée de Yed Vashem que j’ai visité il y a 2 ans, et notamment au Mémorial des Enfants Disparus : au cours d’un parcours entièrement réalisé dans le noir, une voix anonyme égrène le nom, les âges et les nationalités de tous les enfants morts dans les Camps, tentant ainsi de leur rendre ce qu’ils avaient d’unique, leur individualité.
Enfin, la pyramide centrale est symbolique du hasard de la vie, avec ce crochet qui pioche des habits au hasard et les redispose de manière aléatoire. Moi, ça m’a rappelé ce qu’un de mes profs avaient dit un jour : « Toutes les civilisations nous ont laissé des ruines de ce qui était le plus sacré pour eux. Les Egyptiens nous ont laissé des tombeaux. Les Romains des temples. Et nous, que laisserons-nous ? Des piles de déchêts ? »