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On parle peu des prisons. Parler des prisons, c'est se risquer à lever le voile d'apparente bonne volonté des discours politiciens pour parler d'humanité souvent oubliée, de conditions de vie désastreuses mais rarement d'espoir, de rédemption, de réinsertion. L'univers de la fiction au cinéma ou en littérature s'est pourtant approprié peu à peu ce lieu comme décor de huit clos où les tensions morales, physiques,et les stratégies de survie sont mis en exergue..Le magnifique film de Jacques Audiard, Un prophète, récompensé hier soir en est un bel exemple.
Mais dans la réalité, la façon dont on traite ses prisonniers en dit souvent long sur l'état de santé démocratique d'un pays. Que dire alors lorsqu'il s'agit d'une population plus sensible encore : les jeunes? Ceux qui souvent pour un crime mineur, voient leur vie basculer en rentrant dans ces univers qui les laissent souvent à plat, cassés, sans aucune chance de réinsertion? Un million d'enfants vivent en détention sans pouvoir bénéficier de l'aide d'un avocat, le plus souvent dans des pays où il n'existe même pas de tribunal pour enfants.
C'est à partir de ce constat accablant, que Lizzie Sadin, grande photoreporter décide de témoigner des conditions de vie des mineurs à travers les prisons du monde. Une volonté urgente de témoigner pour ne pas les oublier et leur rendre un minimum de dignité. Un travail qu'elle a intitulé "Mineurs en peines". Pendant plusieurs années, avec acharnement et persuasion, elle a parcouru le monde et est allé à la rencontre de ces enfants oubliés. Son projet a été salué et soutenu par Amnesty International.
Elle a contacté plus de 60 Etats à travers le monde. 11 d'entre eux seulement lui ont répondu positivement et lui ont donné accès à certaines prisons, souvent pour quelques instants chronométrés et très réglementés. Des prisons pour jeunes ou parfois, et toutes les prémices des situations dramatiques sont là sous ses yeux; dans des prisons où jeunes adolescents délinquants côtoient des prisonniers beaucoup plus âgés.
De Russie, aux Etats-Unis, à Madagascar, au Brésil, à la France, ou La Colombie; Lizzie Sadin capte en noir et blanc, des regards d'adolescents qui ont encore les traits désarmants de l'enfance dans des environnements où la précarité et l'inhumanité qu'on imagine, contrastent de façon insoutenables. Elle capte leurs regards qui nous parlent et nous touchent droit au coeur. A Madagascar, la photo d'un jeune garçon de treize ans au milieu de tous les autres prisonniers adultes, assis autour de lui est comme une tache d'huile d'incohérence...
Photos de l'entraînement physique obligatoire d'un jeune qui subit les outrages d'un garde qui voyant sa fragilité, (il est asthmatique) s'acharne sur lui, hurlant davantage:bienvenue dans une prison aux Etats-Unis...En Russie, la photographie en gros plan, du jeune garçon aux oreilles décollées, derrière le grillage, sans expression, est dure car on le sait malade et en proie à tous les sévices de ces voisins de chambré. Le regard de Lizzie Sadin qui captent tous ces regards, est à la fois doux et sans pathos. Le noir et blanc a cette vertu du témoignage en pudeur et en respect. Et les moments d'espoir sont parfois là où on ne les attend pas et la photographe les capte à Bogota, dans une prison pour jeunes délinquants où la réinsertion sociale est l'objectif de la prison qui remet sur les rails du droit chemin les jeunes en leur apprenant des métiers manuels...L'espoir au bout de la peine. La galerie Fait & Cause, 58 rue Quincampoix, expose jusqu'au 12 mars prochain, le travail de Lizzie Sadin.
La collection Photo poche - Société d'Actes sud publie son travail.