Or donc, dans ce que l’on appelle désormais «l’affaire Ali Soumare» - tentative de déstabilisation de la tête de liste du Parti socialiste dans le Val d’Oise pour l’élection régionale de mars 2010 en produisant des éléments de son passé judiciaire tendant à faire accroire que le candidat aurait un lourd passé de “délinquant multirécidiviste chevronné” – menée tambour battant, sans complexe et toute honte bue le vendredi 19 février 2010 et le week-end par un trio infernal de maires appartenant à l’UMP valdoisienne : Francis Delattre, Sébastien Meurant et Michel Poniatowski, lequel est par ailleurs vice-président adjoint de l’UMP, député de la circonscription de l’Isle-Adam et nourrirait en tant que président de la Commission des Affaires étrangères du Palais Bourbon des ambitions diplomatiques…
Sans doute les aura-t-il ruinées ! De quel crédit pourrait-il désormais jouir à l’étranger à une époque où par la magie d’internet les nouvelles traversent la planète à la vitesse de la lumière et inondent la “toile”, lors même qu’il serait non seulement complice du forfait mais son instigateur comme le révèlent plusieurs sources : ne disait-il pas fin décembre 2009 “On a des plans sur ce Soumaré. On les fera sortir en temps utile” ?
Parce qu’en tout état de cause, il s’agit bien d’un forfait : d’une atteinte à la présomption d’innocence – un des principes fondamentaux de notre droit – et de l’utilisation tout à fait illégale de documents judiciaires auxquels l’accès n’est réservé qu’à quelques personnes nonobstant les affirmations d’un Frédéric Lefebvre dont nous apprenions il y a quelques semaines qu’il venait de prêter serment devant le Conseil de l’Ordre des avocats… ce qui supposerait pour le moins quelques connaissances juridiques a minima, notamment en matière de règles de procédure.
Las ! notre homme n’en a cure, se croyant sans nul doute doué de la science infuse… plutôt confuse ! Or, quitte à me répéter, le droit est une matière ardue et fort exigeante où chaque terme, qui signifie une chose précise, ne saurait être substitué à d’autres quand bien même recouvriraient-ils des notions voisines. Qui plus est en matière pénale où la qualification des infractions est d’application stricte, sans aucune possibilité de procéder par analogie, ce qui est permis en droit civil.
Par ailleurs, des principes aussi stricts visent à protéger les délinquants contre l’arbitraire – tel celui de non-rétroactivité des lois pénales qui évite notamment qu’une loi de pure circonstance… et Dieu sait qu’en Sarkozie cela devient une manie ! permette de condamner l’auteur d’une infraction qui n’existait pas au moment où il l’a commise : «nullum crimen, nulla poena sine lege», adage qui exprime le principe fondamental de la légalité des délits et des peines. Il n’y a pas de délit et donc pas de peine s’ils ne sont prévus par la loi.
Frédéric Lefebvre se révèle donc encore une fois être un âne solidement bâté – ce n’est sûrement pas pour trans-porter son bagage juridique ! – doublé d’une triple buse quand il nous sort tout à trac sa solution pour «l’après-Soumaré» : interdire à des personnes condamnées pour violences d’être candidates à des élections. Ce qui est bien évidemment autrement grave qu’une condamnation pour des délits politico-financiers…
D’abord, cette loi ne pourrait disposer que pour l’avenir puisqu’il s’agit d’une peine accessoire à une condam-nation en matière criminelle (cf. supra le principe de non-rétroactivité).
Ensuite, s’agissant d’une peine accessoire – qui devrait être prononcée par un juge au moment du jugement sur le principal - il serait tout à fait contraire aux principes de notre droit d’obliger les juges à l’appliquer automatiquement et obligatoirement au mépris de leur pouvoir souverain et discrétionnaire d’appréciation des circonstances et de la personnalité de l’auteur desdites violences. En totale méconnaissance de la personna-lisation de la peine associée au principe de proportionnalité tenant compte de la gravité des faits.
Enfin, diverses dispositions légales organisent préci-sément ce que l’on peut appeler «le droit à l’oubli».
Il est évident que la loi suggérée par Frédéric Lefebvre serait irrémédiablement retoquée par le Conseil consti-tutionnel - toujours extrêmement pointilleux sur le chapitre des libertés - si cette les dispositions d’une telle loi devaient s’appliquer durant toute la vie du fautif ce qui serait contraire à tous nos principes : aucune mesure d’interdiction ne devant être générale, absolue et perpétuelle. La meilleure preuve en est que même la réclusion criminelle à perpétuité s’accompagne d’une peine dite “de sûreté” d’un maximum de 30 ans, permettant au-delà une libération conditionnelle qui n’est pas automatique.
Des règles de prescription d’application très stricte, interdisent de poursuivre un individu au-delà d’un certain délai si aucune mesure d’instruction n’a été menée dans ce laps de temps – que l’auteur des faits soit connu et se soit soustrait à la justice ou qu’il s’agisse d’une plainte “contre X”. Seuls les “crimes contre l’humanité” sont imprescriptibles.
Par ailleurs, les auteurs d’infractions qui ont été condamnés à une peine assortie d’un sursis voient cette peine effacée de leur casier judiciaire à l’issue de ce sursis s’ils n’ont pas récidivé pendant cette période probatoire, de même que par le jeu de la “réhabilitation” qui intervient automatiquement dans les 5 ans qui suivent le prononcé de la peine et son exécution dès lors que la personne qui a été condamnée n’a pas récidivé pendant cette période.
L’infraction et la peine disparaissent alors du volet dit B3 du casier judiciaire : celui qui peut être demandé par un employeur… Mais personne d’autre que vous n’est autorisé à en demander copie. En revanche, pour les personnes postulant à un poste dans la fonction publique les autorités compétentes pour mener l’enquête administrative sur la probité du candidat disposent de la faculté de consulter le B2, version quelque peu expurgée du B3 qui est en quelque sorte le pedigree complet d’un individu ayant eu – ou non, il est alors vierge – maille à partir avec la justice.
Or, aux termes des articles 768 et suivants du code de procédure pénale (CPP) qui régissent le casier judiciaire – fichier tenu à Nantes, sous la direction d’un procureur de la République – le B3 ne peut être consulté que par les autorités judiciaires : juges et parquets. Sur toutes ces intéressantes questions et bien d’autres, je vous renvoie à l’article de Maître Eolas Ali Soumaré et Francis Delattre sont-ils des délinquants ? qui prouve à l’envi que l’inénarrable Frédéric Lefebvre est un bien piètre juriste.
En effet, pour justifier des actes illégaux – consultation du volet B1 ou B2 du casier judiciaire d’Ali Soumaré puisque le B3 était vierge et qu’il était de toute façon aussi illégal de le consulter – il prétend que les décisions de justice dont il était fait état provenaient du greffe du tribunal correctionnel de Pontoise ou avaient été collectées sur internet, ce qui selon lui serait tout à fait aisé.
Je vous fiche mon billet que si j’avais été condamnée pour quelque délit que ce fût, même en connaissant la date du jugement je serais très certainement bien en peine de le trouver sur internet. De surcroît, quand bien même la plupart des décisions de justice pourraient-elles être librement consultées selon le principe que la justice est rendue «au nom du peuple français» tous les commentateurs s’accordent à dire que dans la pratique ce n’est nullement aussi facile que le prétend Frédéric Lefebvre.
Un certain nombre de décisions échappent à la publicité, dont celles qui sont rendues à l’encontre des mineurs et les transactions pénales qui n’ont pas vocation à être publiques. En outre, les greffes sont surchargés comme chacun le sait et le greffier et ses employés ne risquent pas de se précipiter pour faire droit à votre demande. Enfin, tout dépend de la politique suivie par le parquet et les greffes. Je lis notamment dans Le Monde (article du 23 février) Ali Soumaré : l’UMP a-t-elle obtenu légalement ses informations ? que le «Le Monde.fr a contacté plusieurs greffiers, qui sont tous du même avis. “Lorsqu’une audience est publique, le greffier peut donner le rôle de l’audience”, explique-t-on au tribunal de grande instance de Nanterre (93). Toutefois, “les greffiers sont attentifs à l’origine de la demande. Nous ne délivrons pas de renseignements sans en connaître le motif”. Impossible, donc, de demander le passé judiciaire de quelqu’un à partir de son nom»… CQFD.
Difficulté soulignée par Ali Soumaré dans un article de 20 minutes «Je ne serai mis hors de cause qu’en portant plainte contre les personnes qui ont dévoilé tout ça, lors d’un procès» : «On n’a pas réussi à retrouver leurs traces [des infractions alléguées] même en rentrant les numéros des jugements dans le minutier du greffe. C’est bien qu’elles n’existent pas»…
Selon Isabelle Besnier-Houben, secrétaire générale du Syndicat des greffiers de France, il paraît probable que l’équipe de Francis Delattre a eu accès “au casier judiciaire ou à la fiche STIC [le fichier central de la police]” d’Ali Soumaré. Une pratique que la greffière dit avoir déjà observé. Pour l’avocat blogueur Maître Eolas,“si Francis Delattre s’est procuré, d’une façon ou d’une autre le casier judiciaire de monsieur Soumaré, il a commis un délit”.
Rien de bien étonnant d’ailleurs avec un Nicolas Sarkozy qui a une conception tout à fait policière de l’histoire et laisse carte blanche aux policiers. Conception barbouzesque de “cabinet noir” qui piétine allégrement les règles de la démocratie.
Par ailleurs, nous apprenions il y a quelques mois grâce à un rapport de la CNIL qui heureusement veille au grain que le STIC était tenu à la va-comme-je-te-pousse et qu’y figuraient le nom de justiciables soit mis en cause et ensuite relaxés soit ayant bénéficié de sursis et/ou de réhabilitation ce qui aurait justifié qu’ils n’y apparaissent plus.
Le sens moral de Frédéric Lefebvre est pour le moins à géométrie variable. Il ne craignait pas d’affirmer que les révélations de Francis Delattre, Sébastien Meurant et Axel Poniatowski s’appuyaient «sur des éléments très précis»… Sans doute mais obtenus frauduleusement et dont ils n’auraient jamais dû faire publiquement état – affaires couverte par la réhabilitation ou non encore définitivement jugée - alors même que de surcroît certains d’entre eux n’étaient pas imputables au candidat socialiste mais à un homonyme.
Par ailleurs, selon ce que je lis dans L’Express Sarkozy va recevoir Pécresse et ses têtes de liste une source proche de l’UMP n’aurait pas hésité à déclarer sous le couvert de l’anonymat “ceux qui lancent ce genre d’attaques sont souvent ceux qui ont le plus à se reprocher”. Bonjour l’ambiance !
Frédéric Lefebvre ferait rigoler un cheval – Jolly Jumper très certainement ! Lucky Luke étant un véritable pourchasseur de vilains drôles – quand il ose avancer “Aucun parti politique n’avait osé présenter quelqu’un de condamné pour des actes graves comme tête de liste”.
Mais mis en examen pour des affaires politico-financières, comme André Santini pour l’affaire de la Fondation Hamon – quand même poursuivi pour 7 millions d’euros évaporés pour un musée fantôme qui ne verra jamais le jour – cela ne trouble nullement Frédéric Lefebvre, non plus sans doute que le candidat Léon Bertrand mis en examen pour trafic d’influence et qui se présente de la prison en Martinique où il a été mis en préventive. Certes, sur une liste dissidente de la droite mais il a quand même été ministre de Nicolas Sarkozy.
Quand bien même s’agirait-il d’élections municipales, Frédéric Lefebvre oublie les candidatures de Patrick Balkany à Levallois-Perret – fort justement rappelée par 20 minutes Ces politiques qui ont eu affaire à la justice et d’Alain Carignon à Grenoble, une fois purgée leur peine d’inéligibilité. C’est ensuite aux électeurs de juger. Ils ont élu Balkany et refusé Carignon. Vox populi vox dei.
Je ne suis pas d’accord sur le fait de mettre sur le même plan Alain Juppé qui a sans doute été condamné mais il s’agissait d’emplois fictifs à la mairie de Paris donc de financement certes illégal d’un parti politique mais non d’enrichissement personneL En outre, il a tout assumé sans mettre Jacques Chirac en cause, ce qui témoigne d’une certaine grandeur.
Je fus d’ailleurs également outrée lors du retour d’Henri Emmanuelli à l’Assemblée nationale après une peine semblable dans l’affaire Urba – il avait été condamné en tant que trésorier du PS et je doute également qu’il y ait eu enrichissement personnel de sa part - de voir à la télévision, un élu du RPR lui faire un bras d’honneur dans les travées. C’est celui-ci qui en manquait !
En outre, Frédéric Lefebvre fait preuve d’une détestable conception de l’affrontement politique : il a jugé «normal d’exploiter une telle affaire». J’espère qu’il n’aura pas l’outrecuidance de se réclamer du gaullisme ! Un édito du Monde (24 février 2009) Boules puantes rappelle fort opportunément qu’en 1965 Charles de Gaulle avait refusé la “politique des boules puantes” quand on lui suggérait d’évoquer le passé vichyste de François Mitterrand contre son adversaire à l’élection présidentielle pour le discréditer.
“Ceux qui les lancent finissent par sentir plus mauvais que ceux qui les reçoivent” avait-il ajouté.