Docteur en histoire, spécialiste de l'anarchisme, Gaetano Manfredonia fait partie des rares à se pencher sur cette forme de révolte considérée bien souvent comme "une simple
survivance d'un passé définitivement condamné par l'évolution du monde moderne" ou "comme une exaltante chimère".
Il commence par le distinguer d'autres courants de pensée proches en en énonçant les quatre exigences majeures :
- le refus de la domination politique
- et de l'exploitation économique,
- la réalisation d'une société qui garantirait l'autonomie la plus grande aux individus,
- l'égalité économique et sociale de ses composantes.
Puis il rappelle les origines du courant de pensée anarchiste :
- quelques précurseurs en la personne de Rabelais, La Boétie, Don Deschamps, le curé Jean Meslier, Sylvain Maréchal -
- l'Anglais William Godwin et son Enquête sur la justice politique
- Charles Fourier, Charles-Henri Saint-Simon, Robert Owen
- Pierre-Joseph Proudhon
- Théodore Dezamy
- l'Allemand Max Stirner
- le Russe Michel Bakounine, pour lequel l'auteur prend parti contre Karl Marx, au sein de l'AIT, le premier, affirmant le principe fédéraliste, prévoyant en effet "avec une lucidité
extraordinaire" ce qu'il adviendra en Russie des principes de l'autre à propos de la dictature du prolétariat.
- François Dumartheray, Elisée Reclus, le Russe Pierre Kropotkine, pro-communistes
- l'Américain Benjamin R. Tucker, anarchiste individualiste.
Entre 1872 et 1914, l'anarchisme prend son essor en Espagne avec la CNT,
sévit en une vague d'attentats en France, et n'existe finalement qu'en Italie, en Allemagne (Johann
Most), en Russie et en Angleterre (Godwin et un certain nombre d'artistes et d'écrivains comme
William Blake, Mary Shelley, Owen, Spencer et William Morris).
S'opposant au pouvoir religieux, au nationalisme et au militarisme, l'anarchisme tend vers trois modèles avant 1914, lesquels proposent une même vision du monde, celle de la perfectibilité
indéfinie de l'homme, de la science comme moyen pour l'humanité de s'affranchir de la superstition et de l'ignorance, de la réalisation d'un état social capable d'assumer le libre épanouissement
de toutes les facultés pour chacun de ses membres, vision en grande partie héritée du siècle des Lumières, mais par des moyens divers (insurrections, propagande en faveur de la grève générale
chez les syndicalistes, propagande de type éducationniste, avec entre autres l'école libertaire "La Ruche").
Après 1914 et jusqu'en 1968, les idées développées par l'anarchisme séduisent car tournées vers des préoccupations modernes (par exemple "rejet du mariage, tant civil que religieux, pour une
relation de type contractuelle, résiliable à tout moment", pour une union libre basée sur les sentiments). Elles pourront se concrétiser en Espagne avant d'être écrasées sous Franco et en
France durant les manifestations de mai 1968.
Mais depuis, l'anarchisme semble passer par une lourde crise identitaire. Seules les thèses de l'Américain Murray Bookchin semblent connaître un succès grandissant.
Les deux "Que sais-je" (cf. L'Anarchisme d'Henri Arvon) sur l'anarchisme se complètent sans se répéter,
présentant l'un et l'autre différents aspects sur ce courant d'idée. Ces deux essais me permettaient d'avoir une vision globale, historique et géographique, sur l'anarchisme. Désormais je vais
pouvoir me pencher sur certaines oeuvres philosophiques elles-mêmes.
MANFREDONIA, Gaetano. - L'anarchisme en Europe. - PUF, 2001. - 127 p.. - (Que sais-je ?). - ISBN 2-13-051668-8.