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Je vous raconterai d'Alain Monnier

Par A Bride Abattue @abrideabattue
Heureusement qu'il y a une vie (de lectrice) en dehors du Prix littéraire de ELLE. Non contente d'avoir découvert Marie-Hélène Lafon c'est aujourd'hui le livre d'Alain Monnier que j'apprécie et à coté duquel je serais passée sans les précieux conseils des bibliothécaires du Plessis-Robinson. MH Lafon a décidément bien raison de dire que ce sont des inventeurs de lecteurs.
Je vous raconterai d'Alain MonnierJe vous raconterai est un de ces livres qui vous accrochent les yeux et vous font oublier l'heure. Une chance pour moi : je l'ai ouvert un dimanche et non pas au petit matin comme j'ai l'habitude de le faire (à tous ceux qui me demandent comment je fais pour lire autant je confie mon secret : je lis entre 6 et 7 heures ... du matin, tout en petit-déjeunant, bien avant que la fatigue de la journée n'ait raison de ma bonne volonté).
Alain Monnier est Docteur-Ingénieur en Énergie Solaire. Il a enseigné à l’Université de Rabat, avant de travailler dans diverses structures institutionnelles en faveur de la promotion des technologies innovantes.
Son premier roman, Signé Parpot, est publié en 1994. Il est aussitôt remarqué par la critique. A ce jour ce sont sept ouvrages qui sont parus chez Climats et deux romans, Givrée (2006) et Notre seconde vie (2007), déjà chez Flammarion. Avec son troisième, Je vous raconterai, il poursuit une œuvre originale qui, au travers de formes et de thèmes très variés, propose une critique de notre modernité.
Je vous raconterai a été peu chroniqué. Tous ceux qui ont apprécié La Route de Cormac Mc Carthy retrouveront là une comparable atmosphère de fin de monde, ou en tout cas d'une société en déclin. C'est l'histoire d'un homme qui perd le peu d'humain qui reste en lui à force de misère et de détresse. Il est au bord du suicide quand il est repéré par l'homme de main d'un groupe de mafieux qui se livre à d'étranges paris.
Le pire était enfin là et plus rien ne pouvait m'arriver (p.14). Il accepte donc assez facilement de jouer sa vie à la roulette russe contre une importante somme d'argent. Une balle dans le barillet qui pourrait en contenir six, donc une "chance" sur six de mourir. Il en réchappe et sort grisé de l'expérience, un peu comme s'il émergeait d'une EMI. Les quelques personnes à se réveiller d'un coma profond évoquent tous la traversée d'un lumineux tunnel, état qu'on désigne sous le nom d'Expérience de Mort Imminente.
Au commencement il ne mesure pas le risque et il manque de certitude. Nos désirs les plus forts ont toujours des instants de vacillement (p.45). Puis l'homme prend plaisir à flirter avec la mort pour distraire de très riches parieurs. Il va toujours plus loin dans le défi, poussé par l'idée que l'instant de la mort est la dernière aubaine de l'homme (p.38).
Certaines de ses affirmations laissent sans voix. Les phrases sont intelligemment courtes. Les points offrent des temps de respiration. A force d'interpeller le lecteur en l'invectivant de "vous, vous, vous" on finit par s'identifier, non pas au personnage puisqu'il nous met à distance mais à l'auteur, au conteur, dont on croit intuitivement qu'il en sortira indemne. On sent qu'il sait où il va, qu'il maitrise sa trajectoire.
On s'interroge surtout sur le devenir de notre société, véritable temple à l'argent. L'incertitude économique sur l'emploi est une menace sociale et familiale. Le cinéma nous le jette à la figure depuis Une époque formidable de Gérard Jugnot (1991). Et quand l'homme plaide coupable : je n'ai pas d'excuses. J'ai juste ma lâcheté et ma médiocrité (p.126) c'est plutôt notre faiblesse à faire changer le monde qu'il pointe. Y compris notre négligence à nous comporter dignement à l'égard de nos proches, repoussant au lendemain des visites ou des conversations qu'un jour il est trop tard d'entreprendre.
Certains lieux sont inventés. D'autres pas, comme le cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois (p.129), un endroit hors du temps, quasi magique. On est ainsi balloté entre fiction et réalité, sans avoir le temps de s'attendrir. Nos lieux de passage en sont pas des mausolées (p.124).
Le secret de l'icône est l'inversion (...) L'icône est une passerelle entre le terrestre et le céleste (p. 136). Alain Monnier entretient habilement le suspense et le roman est une réflexion puissante sur le sens qu'il faut donner à sa vie. On a besoin de grandeur pour vivre. Il faut se tenir, il faut se comporter, toujours, en toutes circonstances (p.126).
En lectrice pointilleuse je lui ferai tout de même deux reproches : une erreur lexicale pour commencer (P.39) car il ne faut pas m'en laisser conter, et non pas "compter" comme il l'écrit, commettant peut-être un lapsus annonçant la seconde erreur. Celle-ci est plus grave pour cet homme qui est scientifique de formation car c'est une erreur mathématique (p.148) qui me retient d'avoir envie de lui confier ma destinée.
Quand il y a quatre balles dans le barillet l’homme a 2 chances sur 6 de rester indemne, donc effectivement une chance sur trois comme l'écrit Alain Monnier. Il lui est interdit ensuite de faire tourner le barillet. Il reste donc alors seulement 5 possibilités dont 4 mortelles pour le tir suivant. La femme (on remarquera au passage que la faire passer en second n'est guère galant) a donc alors seulement 1 chance sur 5 de demeurer en vie.
Il n'y a donc pas une chance sur six pour qu'ils soient tous les deux épargnés. La probabilité que les deux s’en sortent est de 1/3 que multiplie 1/5 soit 1 chance sur 15. C'est tout de même beaucoup moins favorable. Mais c'est un roman et je ne vous raconterai pas ce qu'il va advenir ...
Je vous raconterai n'a pas été retenu pour le prix des Lectrices de ELLE mais il est en lice pour le Prix Robinsonnais, en compétition avec l'Annonce, l'Année brouillard, Celui qui sait ... qui ont chacun fait l'objet d'un billet sur le blog. Alain Monnier sera invité le samedi 5 juin par les bibliothécaires du Plessis-Robinson. Heure et lieu vous seront ultérieurement communiqués.

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