Au fond de lui Patrick Tanesy est un traditionnel, respectueux de la gastronomie régionale. On a envie de dire en le voyant que son pays ce n’est pas un pays, c’est l’été. Le soleil pointe dans la conversation. L’huile d’olive s’infiltre partout où c’est possible, comme dans ce dessert au chocolat dont la grande presse s’étonne.
Pourtant il n’y a rien de miraculeux à cuisiner chocolat chaud et huile d’olive pour obtenir des bulles. Dans le Sud on a toujours badigeonné les plaques d’huile de paraffine. Je n’ai fait que changer de corps gras.
Et surtout Richerenches où Patrick Tanesy se livre à une chasse très particulière … la chasse aux truffes, qui s’est ouverte le 3 ème samedi de janvier. La destination est célèbre dans toute l’Europe pour ses marchés du samedi matin.
Une truffe sur trois est négociée là-bas. Courtiers, trufficulteurs, acheteurs, simples badauds … se retrouvent sur l’Avenue de la Rabasse pour la vente au détail et sur le Cours du Mistral pour la vente en gros. Les trufficulteurs, munis de leur production, arrivent tôt le matin mais les marchés bouillonnent à 11 heures 30.
Les cours se fixent hebdomadairement : quelque 100 à 1200 euros le kilos à la mi-janvier, les prix tombent à 900 une quinzaine de jours plus tard. La saison est en train de doucement décliner mais Patrick Tanesy reste patient. La truffe d’été arrivera en mai et si elle n’est pas aussi parfumée que la » melanosporum », aux petites veinures blanches, elle est tout de même subtile en saveurs.
Le champignon se conserve très bien une dizaine de jours. Et ce produit, cher, n’est pas si couteux qu’il y parait parce qu’avec 10 grammes on peut faire beaucoup comme parfumer une soupe, une salade ou une omelette à condition de la couper en tranches ultra-fines.
Une recette d’huile à la truffe pour les lecteurs de Lorraine de cœur
On fait chauffer l’huile (d’olive) à 60 degrés, surtout pas plus. On y plonge la truffe. On rebouche le flacon le lendemain seulement. On conserve à l’abri de la lumière. Comment rêver plus simple ?
Homme d’expérience et de terrain, Patrick Tanesy ne se fait pas prier pour partager des recettes qu’il ne conservera jamais dans des bocaux étiquetés « secrets de cuisine ». C’est sans doute ce qui participe au succès du duo qu’il forme avec Jérôme Prod’Homme tous les samedis matins depuis deux ans sur France Bleu Sud Lorraine autour de leur Marmite de 10 à 11 heures, après avoir passé les dimanches matins auprès d’une autre journaliste, Nathalie Million. Bientôt il sera aussi expérimenté en radio qu’en cuisine.
Le matin où je l’ai rencontré il venait de boucler une émission où il était question de gratin, sujet en or pour cette personnalité. De la crème et un jaune d’œuf sont largement suffisants pour obtenir un bon et beau résultat. La chapelure n’est obligatoire que sur le hachis Parmentier.
Les recettes classiques doivent le rester
Il ne faut pas croire que Patrick Tanesy soit un révolutionnaire. L’engouement pour la cuisine moléculaire l’agace. Outre le fait que les manipulations d’azote peuvent être dangereuses il estime qu’on fait tous du moléculaire sans le savoir, et que cela doit rester ainsi. La mayonnaise dédoublée au vin blanc ou au champagne, le sel qu’on ajoute à des blancs pour les faire monter plus vite en neige puis le sucre pour les durcir … sont des grands classiques de la chimie.
Il m’apprend que Louis-Camille Maillard (dont je connais la réaction qui porte le nom) était un médecin et chimiste nancéen. On lui doit la croute caramélisée des viandes ou du pain. C’est lui qui a compris, dès 1912, pourquoi et comment une forte cuisson provoquait une couleur brune et la libération d’arômes intenses. Ces réactions exigent la mise en contact de sucres réducteurs et d’acides aminés . Elles jouent un rôle essentiel dans la préparation des plats cuisinés et des conserves et continuent aujourd’hui de susciter des travaux dans le monde entier.
Patrick Tanesy prédit le retour prochain du plat en cocotte, qu’on laissera sur la table à disposition des convives qui pourront se resservir à leur rythme. C’est un gourmet qui aime aussi la cuisine de ses pairs. Il confesse se préparer quand il va au restaurant, sachant à l’avance ce qu’il va manger même s’il reconnait avoir parfois de vraies surprises. Il n’arrive pas à l’improviste : quand je vais dans le Jura je préviens la veille et je demande qu’on m’ouvre un vin jaune.
C’est un amateur peu conventionnel qui déteste les Beaujolais et certains Alsace, pour qui les Vendanges Tardives sont des vins d’après-midis pour dames et qui peut avoir un vrai coup de cœur pour un Corbières qu’il propose à ses convives depuis six mois.
Chez lui toutes les tables sont bonnes, comme chez Lipp. La salle est intime. L’ambiance est feutrée. On a l’impression d’être reçu chez le maitre de maison. Il faut réserver bien sur et laisser faire le bons sens du patron qui gère l’harmonie : si deux cardiologues se sont déjà annoncés je refuserai le troisième. Si Monsieur veut dîner avec une amie alors que son épouse a réservé une table je le prierai de venir un autre jour. On aura compris que l’homme cherche à éviter les conflits.
Les clients sont majoritairement des habitués, quasi des amis, et s’il est faux de dire qu’ils ont leur rond de serviette sur place certains ont tout de même leur pochette-serviette. Seuls les plus fidèles pourront s’annoncer pendant le Livre sur la place parce que Gallimard réserve alors tout le restaurant.
La prochaine édition de la manifestation sera particulièrement stressante pour le cuisinier qui devra officier dans son établissement et sur le stand où Rachel Valentin présentera le livre qu’elle est en train d’écrire sur son parcours si atypique.
Une vocation presque tardive
Son grand-père, Gabriel, était bistrotier. Son père, Gaston, était restaurateur, pas cuisinier. La différence est de taille : ce ne sont pas les mêmes métiers. Ses deux fils travaillent aussi dans la profession. On pourrait croire que cuisiner se transmet de génération en génération chez les Tanésy. mais ce n’est pas si simple. Patrick doit à son père de lui avoir permis de découvrir l’univers. D’abord à Nice puis à Nancy où il a dirigé le Grand Vatel.
Mais il serait faux de dire que Patrick soit tombé dans les fourneaux, loin s’en faut. Il y avait au-dessus du restaurant paternel niçois une école de couture qui fut très tentante. On monte un plat comme une robe, confie encore Patrick avec nostalgie.
Pour attirer le regard des passants sur son magasin, il recouvre la façade d’une accumulation d’objets hétéroclites … récupérés dans la rue . Il écrit sur tout ce qu’il peut des petites phrases d’une belle écriture ronde. Ses jolis aphorismes en lettres blanches sur fond noir le rendront célèbre sous le diminutif de Ben. Deux à trois fois par semaine c’est Patrick qui garde le magasin. Ils se retrouveront des années plus tard à la galerie De La Salle, à Vence. Puis en 1977 au Centre Beaubourg qui expose la devanture du magasin.
Patrick Tanesy écrit un peu comme Ben, toujours sur des fond noir. Il est aussi peintre et on peut admirer ses toiles dans son restaurant.
Il a aussi été tenté quelque temps faire de la publicité auprès de Jacques Séguela. Que des métiers d’artiste en somme !
Chez Tanésy, 23 Grande-Rue, 03 83 35 51 94, fermé dimanche et lundi.
Pour en savoir plus sur l’univers très particulier de Ben : http://www.ben-vautier.com/