Tombeau de mon livre
Livre après livre on a refermé le même tombeau.
Chaque œuvre a l’air ainsi d’une plus ou moins longue allée
Où la dalle discrète alterne avec le mausolée.
Et l’on dit, c’était moi, peut-être, ou bien : ce fut mon beau
Double infidèle et désormais absorbé dans le site,
Afin que de nouveau j’avance et, comme on ressuscite –
Lazare mal défait des bandelettes et dont l’œil
Encore épouvanté d’ombre cligne sous le soleil –
Je tâtonne parmi l’espace vrai vers la future
Ardeur d’être, pour me donner une autre sépulture.
Jusqu’à ce qu’enfin, mon dernier fantôme enseveli
Sous sa dernière page à la fois navrante et superbe,
Il ne reste rien dans l’allée où j’ai passé que l’herbe
Et sa phrase ininterrompue au vent qui la relit.
Jacques Réda, L’herbe des talus, Gallimard, 1984, p. 208.
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Il n’y a pas de différence entre ma façon d’écrire sur [les rues] et leur comportement. Chaque phrase, qu’elle s’annonce rectiligne ou sinueuse, demeure exposée à dévier à des intersections. Ou bien elle bifurque, et les mots partent d’un côté, ce qu’ils voulaient exprimer d’un autre. La plus simple conduit toujours à un nouveau croisement ; les plus complexes éclatent à des carrefours ou s’achèvent en impasses, après avoir cru capturer plus de sens que le langage n’en détient. On s’en tire par sauts et glissades. Quelquefois, j’ai essayé d’y mettre bon ordre. De m’imposer littéralement des plans de travail qui me permettraient des compositions cohérentes, au lieu de ces parcours disloqués où, d’une page à l’autre, on ne change pas seulement de rue mais de quartier, de climat, de monde. Je n’y suis jamais parvenu. Peut-être bien moins par incapacité foncière que par exigence du vrai.
Jacques Réda, La Liberté des rues, Gallimard, 1997, p. 60.
Contribution de Tristan Hordé