Cet incident aura donc des répercussions gigantesques. Ce jet de mégot symbolise la supériorité du Nord vis-à-vis du Sud, du bon touriste venu se divertir mais qui va être plongé de force dans la culture qu'il toisait et qui va devoir faire face à ses a priori. Tom aura beau ressasser cette malencontreuse action, tenter d'y trouver un sens, il n'y parviendra pas. A l'instar du cinéma des frères Coen ou des romans de Kafka, No Smoking introduit sa propre rationalité, sa mécanique démentielle. Un imbroglio subtil qui laisse des traces chez celui qui s'y aventure...
Tom est-il coupable d'avoir lorgné la poitrine de la belle Atalaya ? A-t-il exercé une pression abusive sur son mégot ? Sa femme l'accuse : « Tu as merdé sur ce coup-là comme tu as merdé dans cette affaire immobilière à Munnings et avec la mutuelle de mon frère » (p. 61). Tom est d'abord abasourdi par ce qu'il lui arrive. Sans véritable réaction, il semble d'ailleurs davantage tourmenté par le manque de nicotine que par l'état de santé de Lincoln.
A la lecture de No Smoking, nous sommes baladés, nous ne savons pas si Tommy est victime d'un complot. Et c'est Will Self qui se joue de son lecteur en distillant avec parcimonie ses indices. Tom est happé par l'île, il ne parvient même plus à joindre sa propre femme par téléphone. Il se retrouve alors en présence d'une femme fatale qui ressemble étrangement à la sienne, Gloria. Tom doit négocier avec Winnie le consul et Swai-Philips son avocat, qui en savent davantage sur Brodzinski que lui-même ou sa propre mère ! Il est comme cigarette et briquet avec Brian Prentice, un sinistre violeur... Chaque chapitre de No Smoking contient son lot de rebondissements, dignes d'un série télévisée. Dans ce récit foisonnant, Will Self nous parle de la mondialisation, de l'incommunicabilité entre les peuples, de la colonisation, des codes et des rites qui façonnent l'individu autant que de l'internationalisation, du politiquement correct et des interdictions continuelles qui asceptisent notre perception du réel. Un voyage qui nécessite une participation active du lecteur. Quelque part entre Tristes tropiques et Thomas Pynchon.