Je ne vais pas m’épancher sur le sort de chroniqueurs abasourdis de satiété, devant irrémédiablement écouter, jeter, écouter, mettre de côté, écouter, chroniquer, et ce à contre courant d’un flot digital inaltérable. Je ne le ferai pas car s’il est facile, dans cet engrenage sans fin, de passer à côté d’un disque insinuant la réécoute, ou même de galvauder l’originalité d’un autre, empêtré que l’on est dans un fatras de références aux allures de querelles byzantines, il est tout aussi aisé et agréable d’être saisi par l’évidence et la beauté de quelques accords, imprimant la marque d’un groupe jusqu’au bout de chacune de nos terminaisons nerveuses. Techniquement, et lorsqu’il s’agit de gestes ou de paroles, on parle de coup de foudre. C’est ce bonheur trop intense pour être commun que réserve Come Down With Me des écossais d’Errors à tout amateur nauséeux de post-rock. Loin des clichés du genre, les quatre garçons dans la brume que sont Simon Ward (guitare, claviers), Greg Paterson (guitare), Stephen Livingstone (guitare, claviers) et James Hamilton (batterie) dynamitent avec un savoir-faire d’orfèvre les distances séparant leur Glasgow natal d’un Sheffield rêvé, embrigadant leurs frétillantes guitares dans les spasmes discoïdes de rythmiques échevelées. Si leur précédent disque, It’s Not Something But It Is Like Whatever (Rock Action, 2008), s’avérait un peu tendre, démuni de véritables singles à la puissance de feu incantatoire, Come Down With Me - titre d’album rappelant non sans inadvertance Come On Die Young de Mogwai, géniteur du label Rock Action sur lequel est signé le groupe - embraye dès un premier round d’observation plutôt serein (Bridge Or Cloud ?) sur une succession de morceaux dont la formule addictive reste encore à écrire dans le grand livre de la pharmacopée instrumentale. Car à n’en pas douter le morceau A Rumor In Africa fera date tant ses circonvolutions rythmiques sont parfaitement arbitrées par une guitare volubile et des claviers enchanteurs se renvoyant la balle entre dancefloor et musique de chambre. La suite n’est que pure logique opiacée : on descend dans une discothèque aux atours fluorescents et ce malgré l’ébriété provoqué par l’amoncellement de beats bien placés. On file ensuite chiller aux Antipodes le temps de voir comment Slint, figure de proue de la sainte trinité post-rock, peut en quelques claquements de batteries et nappes de synthé, se faire déposséder de sa moelle martiale. The Erskine Bridge fait plus que répondre par son titre à l’interrogation posée en ouverture (Bridge Or Cloud ?) : sa déconstruction contemplative, par un clin d’oeil caractérisé aux paysages déshumanisés de Mogwai, jette un pont entre deux mondes, des ambiances intimistes de docteurs ès harmoniques à celles roboratives et oniriques sur Sorry About The Mess que le Plaid d’Eyen n’aurait pas renié. Avec Germany et sa batterie introductive, Errors répond, dans sa grande mansuétude, à toute la cohorte de néo-tribalistes (Vampire Weekend etc), qu’il est préférable de laisser les instruments insinuer d’eux-mêmes la transe par une alternance de rythmes en cascade. Le point de rupture entonné par Jolomo et ses rafales de notes cristallines break-dancées étirent la nuit de quelques heures, vitupérant la fatigue de sourdes vibrations synthétiques, quand The Black Tent et ses arpèges rebrousse-poils caressent les premières lueurs du crépuscule. Beards clôt, dans un final atmosphérique, de sa basse chaloupée et de ses variations cadencées, un disque enregistré en six mois dans le propre studio d’enregistrement des garnements, un bunker paumé joliment dénommé ”the freezer”. Pour des mecs sortis d’un congélo pendant autant de temps, l’afflux sanguin provoqué par leur gouaille emphatique reste un mystère. Mais plutôt que de tenter de l’élucider, je monte le son, je monte le son, je monte le son, je monte le son, je monte le son… Errors dans le programme, il m’est impossible de passer à autre chose : je suis un chroniqueur au chômage, vivant d’amour et d’eau fraîche.
Thibault
Audio
Errors - A Rumor in Africa
Tracklist
Errors - Come Down With Me (Rock Action / Pias, 2010)
1. Bridge Or Cloud ?
2. A Rumor In Africa
3. Supertribe
4. Antipode
5. The Erskine Bridge
6. Sorry About The Mess
7. Germany
8. Jolomo
9. The Black Tent
10. Beards