L’athlète Sud-Coréenne, Yu-Na Kim, a certes monté sur la plus haute marche du podium aux Jeux olympiques d’hiver de Vancouver, mais tous s’accordent pour dire que l’athlète de l’Ile-Dupas a conquit l’or inaltérable en acceptant courageusement la compétition sur le terrain de l’adversité la plus effroyable. La foule fut littéralement subjuguée par le courage inouï dont fit preuve la Québécoise de 24 ans. La détermination d’airain de l’athlète restera à jamais gravée dans nos mémoires.
«L’excellence, ainsi que la technique, écrivait le vieil Aristote, ont trait à ce qui est difficile et bon. Car le bien, continue-t-il, est de plus haute qualité quand il est contrarié.» (Éthique à Nicomaque, Livre 2, chapitre 2) On aurait tort de croire que l’éthique de l’excellence que prône Aristote est désuète et réactionnaire. Au contraire, l’excellence de Joannie Rochette prouve hors de tout doute que le bien ne réside que dans l’exercice de vertus.
Certes, ce mot de «vertu» a bien vieilli. La vertu n'est plus pour nous, aujourd’hui, qu'un mot ayant une connotation religieuse et qui, pour cette raison, a pour ainsi dire disparu de notre vocabulaire. Or, chez les Grecs, à commencer par Socrate, la vertu est centrale. Ce mot nous vient du latin virtus. (Les Grecs disaient arétè.) Sa racine est vir; d’où, en français, les mots viril, virilité. Il y a chez Johannie Rochette une virilité exemplaire. À l’origine, vertus signifie «force, puissance». Nous parlons encore, par exemple, de «la vertu hallucinogène du cannabis», ou encore, nous disons : «en vertu de l’article X du Code criminel» (c’est-à-dire : par la force de l’article…). Dans le domaine moral, virtus désigne la «force d’âme ou de caractère» d’une personne : c’est sa qualité morale, son excellence. Bref, la vertu d’un être humain, c’est sa force morale.
Maurice Richard fut sans contredit l’athlète le plus «vertueux», au sens grec du terme. Au moment où le Rocket annonça qu’il prenait sa retraite du hockey (le 15 septembre 1960), le chroniqueur sportif du Petit Journal, Louis Chantigny, traça un remarquable portrait du célèbre numéro 9. Le rédacteur s’interrogeait sur ce qui faisait le «génie» du Rocket en comparaison de Gordie Howe, son rival de toujours. Voici l’explication que le journaliste proposait :
«Une fois de plus, c’est l’orgueil, l’Orgueil avec un O majuscule qui nous donne la clé de l’énigme [lequel de Maurice Richard et de son rival Gordie Howe est supérieur à l’autre?]. L’orgueil insondable de l’athlète fier de ses exploits, l’orgueil superbe du champion qui a pleinement conscience de sa valeur et de l’idéal qu’il représente. …Pour cet homme qu’habite et que tourmente le démon de l’orgueil, du juste orgueil, le sport est certes un métier, mais davantage encore une religion, une soupape de sûreté et, pour tout dire, une raison de vivre.Alors que nombre d’athlètes professionnels encaissent le revers de la fortune sportive de façon plus ou moins résignée, plus ou moins philosophique, la défaite demeure toujours un drame, un affront personnel, une cause de désespoir et une source d’humiliation pour un homme de la trempe de Maurice Richard.»
L’orgueil étant un vice, ce dont nous parle en réalité le journaliste c’est le courage débordant du Rocket. Johannie Rochette est de la trempe de notre héros national.
L’excellence du célèbre hockeyeur et de la jeune patineuse illustre de manière exemplaire l'excellence morale, c’est-à-dire les plus hautes valeurs morales. Contrairement à ce que l’on pense, la morale n’est pas un ensemble de prescription qu’il faut suivre sous peine de sanction. Un autre athlète, cette fois-ci tiré du soccer, Zinedine Zidane, en fournira la démonstration.
Tous se souviendront du fameux coup de tête qu’asséna Zidane au thorax de l’Italien Marco Materazzi lors de la finale de la Coupe du monde en 2006 opposant l’Italie à la France. Zidane fut expulsé du match sur un carton rouge. Tous les commentateurs condamnèrent sans réserve le célèbre numéro 10 des Bleus. Zidane s’excusa ensuite pour son geste - mais ne le regretta pas! Jacques Chirac, alors président de la République, avait absout Zidane en déclarant que l’athlète était un «homme de cœur». Zidane est en effet doué d’une excellence morale hors du commun. Nous, nous faisons une distinction entre la violence physique et la violence verbale. Pas Zidane. Il a dit que les invectives que Materrazzi a proférées à son endroit à trois reprises étaient comme des coups de poings qu’il a reçus en pleine figure. Supposons que le joueur italien ait asséné un coup de poing à la gueule de Zidane. Nous aurions alors tous admis que le coup de tête au thorax porté à Materazzi était mérité. Toutefois, selon la plupart des analystes, recevoir des insultes ne mériterait pas un coup de tête. Zidane devrait même être sévèrement puni pour ce geste dégradant, odieux.
Mais Zidane est pour ainsi dire au-delà du bien et du mal. Il nous rappelle que la violence physique autant que verbale constituent des offenses graves, aussi graves l’une que l’autre, qu’il ne faut surtout pas taire. Zidane a senti qu’il était de son devoir de dénoncer cette offense inapparente, mais aussi insidieuse que la violence physique qui déshumanise. Zidane souhaitait par son geste bannir non seulement la violence physique, mais surtout la pléthore de violence verbale qui entache le sport le plus pratiqué sur la planète.
Pour paraphraser Nietzsche, l’homme d’excellence est toujours incompris de la masse. Ce que nous devrions comprendre, en particulier les jeunes – ceux que Zidane tient comme à la prunelle de ses yeux -- ce n’est pas tant qu’il faille à tout prix respecter le code moral (en l’occurrence, celui du soccer), mais de rechercher l’excellence. Celui ou celle qui vise l’excellence vise le bien. Voilà la grande leçon de morale de Zinedine Zidane et de Johannie Rochette.
*Il y a chez bon nombre de Québécois aujourd’hui, un désir jamais inassouvi de tout régler par des lois, par des chartes, des règlements, etc. Le débat actuel sur la laïcité de l’État en témoigne. Les tenants d’une laïcité stricte appellent de leurs vœux une charte sur la laïcité. D’autres, au contraire, en appel à plus de tolérance et d’ouverture; ce sont les «pluralistes» qui ont publié récemment un Manifeste pour un Québec pluraliste. Mais qu’on soit «pluraliste» ou en faveur d’une laïcité stricte, on reste dans les deux cas prisonnier d’une éthique «légaliste» des droits où tout ce qui est «morale» doit désormais passer par l’empire des lois, des règlements et des politiques.
Le philosophe Martin Blais s’était déjà élevé contre ce qu’il appelait l’emprise du «juridisme» en matière de moralité. «S’adonner à la culture de ces qualités que sont la justice, le courage et la modération, c’est administrer au poison du juridisme son seul antidote efficace.», écrivait le philosophe (Le chien de Socrate, 2000, p. 179). Sage parole.
Dans une récente et rare intervention, Lucien Bouchard disait s'opposer à l'interdiction de la burqa dans les lieux publics et à l'introduction d'une «police du voile». Selon lui, la question de la laïcité de l'État est «exagérée»; la laïcité n'étant pas menacée. Et Bouchard de renvoyer à un autre homme admirable par l’excellence, René Lévesque. «Je pense à René Lévesque. René Lévesque, c'était l'homme de la générosité. Il ne se posait pas de questions comme ça. Il n'avait pas peur de voir arriver les immigrants», a rappelé l'ancien chef péquiste.
Le monde dit «moderne» et son libéralisme politique a rejeté en bloc l’éthique de l’excellence d’Aristote. Il serait peut-être temps de la réhabiliter.