Magazine Beaux Arts
Délaissant, à tout le moins jusqu'à un éventuel prochain coup de coeur, la bien agréable évocation de mes amours estivales, - souvenez-vous, ami lecteur, de Marie, de Bruges, de Ginger, et de Prague, à partir du 10 octobre 2009 -, j'aimerais à présent, tout en restant symboliquement au bord de la Vltava comme déjà, avant le congé de Carnaval belge, en évoquant Chateaubriand, revenir aux rives du Nil, sujet qui constitue indubitablement une des raisons pour lesquelles, un jour de mars 2008, je décidai, "parrainé" par Louvre-passion, d'entrer dans la grande famille des blogueurs.
Nonobstant une agréable pointe de chauvinisme que nous serions en droit d'exciper à l'Ouest, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie et même en notre petite Belgique, il faut se féliciter de la présence sur le sol égyptien de savants et d'équipes d'archéologues provenant des pays scandinaves et de l'Europe centrale.
Je me contenterai, pour corroborer cette première assertion, de ne rappeler ici que l'extraordinaire travail accompli depuis le début des années 1960 à Deir el-Bahari par une mission polonaise de l'Université Jagellonne de Cracovie, vingt ans sous la direction de Kazimierz Michalowski, au temple d'Hatchepsout, alors en bien piteux état,
et par Jadwiga Lipinska, alors Conservatrice en chef des Antiquités égyptiennes du Musée national de Varsovie, au niveau de celui de Thoutmosis III, juste à côté ; fouilles et restaurations qu'un jour peut-être j'aurai ici l'opportunité de commenter bien plus en détail ...
Et en ex-Tchécoslovaquie ?
Son passé archéologique, comme d'ailleurs celui de bien d'autres pays européens, a magnifiquement contribué à rédiger d'importants chapitres de la récente mais déjà grande histoire de l'égyptologie : ses scientifiques ont sans conteste permis une avancée non négligeable dans les recherches égyptologiques, qu'elles soient de terrain ou ressortissant plus spécifiquement au domaine de l'épigraphie ; et cela, comme nous l'allons voir, dès l'aube du XXème siècle.
Pour plus facilement consulter ce tour d'horizon des activités tchèques en rapport direct avec la civilisation égyptienne que j'entame avec cet article, j'ai cru bon, comme précédemment pour d'autres pays, d'ouvrir une nouvelle rubrique tout naturellement intitulée "L'Egypte à l'Est".
Si en 2008, l'Institut tchèque d'égyptologie a célébré son cinquantième anniversaire, cela ne signifie nullement qu'il n'y a qu'un demi-siècle que ce pays s'intéresse aux rives du Nil. Dès après la Campagne de Bonaparte, le vent d'égyptomanie qui souffla sur bien des Etats européens atteignit également la Bohême : de nombreux nobles qui s'offrirent le "Voyage en Orient" ramenèrent en effet maints objets qui constituèrent le point de départ de collections particulières, de "cabinets de curiosités", comme on avait parfois coutume de les appeler à l'époque.
Mais c'est un mathématicien de formation, féru toutefois de philologie, qui, bien avant de visiter le pays des pharaons, joua véritablement le rôle cardinal, à un point tel qu'il est de nos jours unanimement considéré comme le fondateur de l'égyptologie techécoslovaque : Frantisek Lexa.
Né en 1876 à Pardubice, en Bohême occidentale, il décide d'aborder l'étude de la langue égyptienne par le biais du démotique qui, comme j'ai déjà ici eu l'occasion de l'expliquer, constituait une écriture de communications courantes employée par les scribes égyptiens à partir du milieu du VIIème siècle avant notre ère, hormis dans les textes religieux : c'était en fait l'abrégé d'une autre écriture cursive, le hiératique qui, pour sa part, dérivait directement des hiéroglyphes.
En 1895, F. Lexa sort diplômé de l'Université Charles de Prague, prestigieux établissement fondé en 1348 sous les auspices de Charles IV, alors à la tête du Saint Empire romain germanique.
En 1905, il se hasarde à publier en tchèque les premières traductions de textes égyptiens anciens. Mais ce ne fut qu'au lendemain de la Première Guerre mondiale que commença véritalement son prestigieux parcours : en 1919, il rejoint la Faculté des Lettres de l'Université Charles d'abord en tant que "Privatdozent", c'est-à-dire enseignant à titre privé - non rémunéré par le gouvernement, donc -, dans son cas : Maître de conférences en égyptologie ; puis, trois ans plus tard, paré du titre de Professeur extraordinaire dans la même discipline.
Et en 1925, l'Université crée spécifiquement pour lui une chaire d'égyptologie dont il sera, près de trente années durant, le titulaire.
Les sources tchèques que j'ai compulsées aiment à épingler le fait que Frantisek Lexa reçut en 1952 - il est alors âgé de 76 ans - le Prix national de Première classe, ce qui semble correspondre à la plus grande distinction que le gouvernement de la République d'alors décernait aux scientifiques nationaux de très haut niveau.
J'ajouterai pour ma part, si vous me permettez ce petit coquerico, qu'il fut également correspondant de notre Fondation Égyptologique Reine Elisabeth créée, souvenez-vous amis lecteurs, par le grand égyptologue belge Jean Capart immédiatement après avoir visité la tombe de Toutânkhamon en compagnie, entre autres, d'Elisabeth de Bavière, épouse du roi Albert Ier.
Dans son pays, Lexa entreprit de mettre sur pied, avec d'autres savants, l'importante revue orientaliste "Archiv Orientalni".
Philologue dans l'âme plutôt qu'archéologue de terrain, il se distingua essentiellement par la rédaction d'ouvrages consacrés à la langue égyptienne : je retiendrai de très pertinentes études sur les textes sapientiaux, mais surtout, oeuvre de toute une vie, une imposante "Grammaire démotique", en 7 volumes, parue de 1938 à 1950.
Certes, les thèses avancées dans ses travaux philologiques précurseurs furent parfois considérées comme très originales, pour ne pas écrire "révolutionnaires". Souvent, des confrontations de points de vue animèrent le petit cercle des philologues de son temps. Il n'en demeure pas moins qu'à l'heure actuelle, force m'est de constater qu'aussi hasardeuses qu'apparurent à l'époque ses hypothèses, à bon nombre d'entre elles, la majorité des grammaires font maintenant la part plus que belle.
Les différentes publications que nous lui devons, de très haute teneur et en anglais, unanimement célébrées par la communauté égyptologique internationale, voisinent avec nombre d'ouvrages de vulgarisation, en sa langue maternelle cette fois, sur la religion, la morale et la littérature égyptiennes aux fins d'initier ses compatriotes aux moeurs des anciens Egyptiens.
Projet éminemment louable s'il en est, nationalement parlant, mais grandement dommageable pour le savoir universel dans la mesure où, de nos jours encore, cette documentation de première main, brillante, brassant un éventail considérable de connaissances, n'a toujours pas trouvé son traducteur, fût-il anglophone ou francophone. Il s'agit là, dans le chef de bien des égyptologues patentés, et au-delà des expressions convenues et exagérément laudatives que l'on lit le plus souvent après un décès, d'un carence certaine, d'une véritable perte pour la science.
Enfin, et ce n'est évidemment pas un de ses moindres apports, ce savant ne compta jamais ses efforts pour former quelques disciples ayant embrassé non seulement la carrière d'égyptologue, mais celle aussi, non moins ardue, de philologue de la langue et des écritures égyptiennes : qu''il me soit permis d'au moins citer Michel Malinine, égyptologue et démotisant français d'origine moscovite à qui l'on doit, entre autres, un certain nombre de traductions de papyri du Louvre que j'ai eu, voici un an déjà, l'opportunité d'évoquer ici avec vous ; et bien évidemment Jaroslav Cerny, son compatriote, dont j'aurai plaisir à vous entretenir samedi prochain ...
Point d'orgue à tous ses travaux, à toute une carrière de chercheur, d'enseignant, de formateur, Frantisek Lexa créa, à la Faculté des Lettres et des Arts de l'Université Charles de Prague, en 1958, - il avait alors 82 ans -, l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie : c'est cet anniversaire, mais surtout la volonté d'établir un bilan de cinquante années de fouilles en terres pharaoniques que, sous l'égide du Narodni Muzeum (Muséum National), commémora en 2008 une grande exposition pragoise.
(Dawson/Uphill : 1970, 177 ; Onderka & alii : 2008, 15 ; Van de Walle : 1960, 193-5)
Je tiens à souligner que j'ai pris la liberté d'emprunter le portrait de Frantisek Lexa ci-dessus précisément au catalogue, acquis à Prague, de l'exposition "Discovering the land of the Nile" (Objevovani zeme na Nilu), célébrant le demi-siècle d'existence de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie que je mentionnais à l'instant.